Au service de la créativité liturgique

On le sent un peu amusé lorsqu’il évoque ses racines, au pays de la « Bible belt » la ceinture conservatrice des Etats-Unis. Ses parents, des immigrés de Taiwan de tradition bouddhiste, se sont installés à Jackson, Mississipi. Au cœur du territoire des puissantes Églises baptistes du sud, Gerald Liu découvre la foi chrétienne au détour d’une soirée musicale et d’une invitation à participer à un culte. Impressionné par la menace de l’enfer, il se tourne vers la foi à l’instar de ses deux grands frères et se met à dévorer la Bible en catimini. En famille on considère qu’il s’assimile à la culture du pays.

A douze ans, un voisin méthodiste l’emmène dans sa communauté. Il y restera. C’est dans cette tradition qu’il est ordonné ministre en 2005. A l’entrée à l’Université, il se verrait bien dans le business ou la musique. Sa passion pour la guitare l’emporte et il obtient un diplôme remarqué. Un ami le convainc alors de poursuivre en théologie. Il envoie sa candidature dans différentes universités. A sa grande surprise, il est reçu à l’Université Emory à Atlanta (Géorgie) avec une bourse prestigieuse. Une expérience d’échange universitaire en Allemagne, puis une affectation pastorale en Angleterre, confirment son goût pour la pratique. Sa thèse achevée en 2013, il s’oriente vers l’enseignement et occupe différents postes au Tennessee, dans le Kentucky puis dans le New Jersey. Aujourd’hui, il enseigne la prédication et la liturgie au Séminaire théologique de l’Université de Princeton.

Quelles sont les Église de New York que vous considérez comme créatives ?

Beaucoup d’Églises effectuent des expériences. Je pense à un collectif intitulé Not so churchy (pas si Église que ça) dont les formes sont très démocratiques. La méga-église Hillsong fait aussi des choses intéressantes et se préoccupe de questions sociales comme le racisme ou l’homosexualité. Ce n’est pas forcément très novateur mais il faut souligner le succès numérique et la créativité musicale. Cela dit, je pense qu’il y a peu de projets vraiment expérimentaux. Je verrais d’un bon œil des formes qui s’inspireraient de Taizé ou du monastère d’Iona (Ecosse). La culture populaire américaine a eu, à mon sens, une influence planétaire très forte qui nous a éloigné d’autres découvertes culturelles. L’enjeu que je vois est celui d’un mélange culturel capable de combattre l’un des plus grands péchés à l’échelon planétaire qui est celui du racisme. Notre pays a été conquis par un génocide et ses infrastructures ont été forgées par l’esclavage. Les Églises devraient être à la pointe de la réconciliation alors que leurs cultes restent des lieux de profonde ségrégation.

Vous estimez que les protestants ont un problème avec les cultures populaires en vogue dans les milieux plus évangéliques. Que voulez-vous dire par là ?

Je suis méthodiste et sans vouloir trop romancer notre fondateur, John Welsey, j’aimerais souligner qu’il a étudié à Oxford. Cette éducation d’élite ne l’a pas empêché de prêcher dans les campagnes, les cimetières et les pubs. Sa motivation à ramener les foules dans les Églises n’a pas connu de succès de son vivant, ni en Angleterre, ni aux États-Unis, mais son mouvement a donné naissance à une nouvelle forme d’Église. Je pense aussi à Jésus lui-même. Du haut de sa divinité, il s’abaisse à laver les pieds de ses disciples. Là encore, c’est en contraste avec les codes culturels de son époque. Notre protestantisme libéral, parfois élitiste, doit s’interroger sur la manière de rejoindre les masses. Les évangéliques utilisent la musique pour le faire. Je ne dis pas qu’il faut les imiter, mais que nous devrions mettre un accent moins grand sur l’élitisme de nos services religieux au profit d’une meilleure accessibilité.

Comment envisagez-vous la question du succès numérique des Églises ?

Une partie de notre idéalisation des Églises de petite taille traduit de l’insécurité. Une sorte de déni de ce que nous sommes. Beaucoup de protestants sont en décroissance. Ma propre tradition méthodiste est aujourd’hui plus petite qu’à ses débuts sur le sol américain. Nous nous réfugions dans un discours anti-croissance pour éviter de reconnaitre nos échecs. C’est une manière romantique d’accepter notre diminution. Le discours consiste à décrier les évangéliques à cause de leurs succès, et à identifier ces succès à des simplifications ou à des dérives théologiques et liturgiques. C’est peut-être correct, mais peut-être que ce ne l’est pas. Je ne suis pas opposé aux petites communautés, mais ce je lis dans les textes bibliques me conduit plutôt à l’expansion. Abraham est appelé père d’une multitude. Le message de Jésus s’adresse d’abord à la « maison d’Israël » pour ensuite s’étendre aux « gentils ». Les langues de la Pentecôte me semblent aussi rejoindre cette dimension fondamentale d’élargissement.

Les Églises qui se développement reposent souvent sur le charisme d’un petit nombre de personnes. Qu’en dites-vous ?

Il y a de bonnes raisons d’être prudent avec les charismes personnels. Les dérives autoritaires sont faciles, on l’a vu dans l’histoire récente, mais chaque mouvement qui se développe est porté par la personnalité de ses meneurs. Le charisme c’est avant tout un don, c’est le sens de ce mot. A mon sens il ne faut pas voir que le côté négatif. Je suis convaincu que nous avons besoin de leaders aujourd’hui. Et pour moi le défi est plutôt celui de donner de bonnes formations à ces responsables. Si je me réfère aux figures de Jésus ou de Paul, je ne peux pas considérer qu’avoir de fortes personnalités soit une mauvaise chose.

En tant que professeur de théologie, qu’enseignez-vous à vos étudiants ?

Je pense à un cours avant-gardiste et expérimental que je donne autour de la liturgie. Je me réfère à une étude d’un sociologue de la religion, Mark Chaves, qui met en lumière que les Églises font globalement trois choses : elles transmettent la foi, elles célèbrent et elles produisent de l’art. Il s’agit d’éviter toute distinction entre arts majeurs et mineurs : tous les aspects d’un service religieux sont de nature artistique. Avec cette idée, nous nous intéressons aux artistes avant-gardistes et cherchons à comprendre comment leur travail peut nous amener des innovations liturgiques. Je pense à l’une de mes étudiantes qui écrit de la poésie. Elle a organisé une sorte de performance de prédication de nature musicale et poétique dans un bar de Brooklyn. Elle m’a raconté qu’il y avait 100 à 150 personnes, – c’est bien plus que dans un service religieux ordinaire aux États-Unis. Je souhaite que mes étudiants connaissent les liturgies classiques et les traditions, mais j’espère qu’ils seront assez courageux pour chercher de nouvelles formes. La nouveauté n’est pas une fin en soi, mais un moyen de rejoindre d’autre personnes.

Une anecdote personnelle, en lien avec la créativité que vous appelez de vos vœux ?

Je pense à une expérience que nous avons fait dans un bar en Angleterre. C’était il y a quelques années. Noël tombait sur un dimanche. J’avais congé ce jour-là et je me suis arrangé avec un tenancier de pub pour organiser une veillée de Noël dans son établissement. Je me souviens de ces 300 personnes qui ont partagé la Cène à 23h45. La musique et les écrans de télévisions ont soudain laissé la place au silence. On m’a donné un micro pour quelques paroles d’explication. Je portais un col romain ce qui m’identifiait comme ministre de la Parole. J’ai balbutié quelques paroles dans la foule. Une personne s’est avancée, puis une deuxième, et finalement le bar tout entier a pris la communion distribuée par les serveurs. Je crois que nous avons vécu là une intervention divine. Je ne suis pas certain qu’il faille en faire une tradition, mais je suis convaincu qu’il nous faut faire diminuer nos inhibitions. Cela afin de permettre aux personnes de comprendre pourquoi le fait de fréquenter une Église est une bonne chose, pourquoi l’amour de Dieu et des autres amène une vie meilleure. Pour ce faire, nous devons quitter notre zone de confort et faire des choses nouvelles.

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