Une instigatrice des fresh expressions en Suisse

Sabrina Müller est probablement l’une des meilleures spécialistes des « fresh expressions » [fx] en Suisse. Et pour cause : cette pasteure vient de rédiger une thèse à l’université de Zürich sur la question. Loin des seules perspectives académiques, la jeune femme s’implique dans sa paroisse pour faire émerger ces nouvelles formes de communauté. De plus, elle donne 20% à 30% de forces bénévoles pour faire progresser le mouvement en Suisse. Interview.

Que peut-on dire sur l’état des fx en Suisse aujourd’hui ?

Il y a un intérêt grandissant d’Eglises de dénominations différentes et de nombreuses personnes qui s’intéressent à titre individuel ou commencent quelque chose. Avec notre Table Ronde, nous essayons de mettre ces personnes en réseau. Nous avons déjà quelques fx en Suisse, mais la documentation à ce sujet est encore très pauvre. J’ai moi-même commencé ce travail depuis cet été. Un exemple s’intitule la Sonntagzimmer (chambre du dimanche, à Bâle). Pour le moment, je dirais qu’il en existe une douzaine en cours de documentation, mais il en existe certainement davantage.

Comment réagissent les grandes Eglises à cette idée ?

De manière très contrastée. Quelques directions d’Eglises ont manifesté de la bonne volonté, mais aussi des remarques du genre : tant que cela ne coûte rien, vous pouvez vous lancer. J’ai l’impression que les plus grandes réticences viennent des pasteurs qui ont l’impression que leur travail n’est pas assez bon ou qui ont peur que l’on marche sur leurs plates-bandes. Mais il ne s’agit pas de cela. Les fx proposent des compléments à l’offre existante.

Y a-t-il de l’intérêt de la part de l’Eglise catholique ?

Oui, l’une de ces fx répertoriées est catholique. Dans le noyau qui cherche à coordonner le mouvement en Suisse, il y a Rudolf Vögele délégué pour l’Eglise catholique.

Comment le mouvement est-il organisé en Suisse ?

De manière très légère. C’était simplement des personnes qui avaient de l’intérêt. Dans mes rencontres j’ai proposé à différentes personnes de voyager en Angleterre et l’intérêt a grandi. Nous avons organisé une première rencontre suite à laquelle s’est constitué un groupe de pilotage interconfessionnel. Des Evangéliques, des Méthodistes, des Réformés des Catholiques, le mouvement Chrichona.

En Suisse on est parfois un peu méfiant vis-à-vis de l’étranger et ce type de mouvement pourrait être considéré comme un produit d’importation. Cela pose-t-il des difficultés ?

C’est parfois problématique. Des gens disent : oui, c’est très bien ce que vous faites, mais en Suisse c’est tout différent. Mais je le constate bien moins que pour d’autres mouvements qui viennent d’Australie ou des Etats-Unis. On peut dire qu’il s’agit ici d’une Eglise d’Etat. Et que l’Eglise anglicane d’Angleterre soit capable de se réformer est encore plus exceptionnel que d’imaginer la chose de la part de nos Eglises. Et pourtant ceci s’est produit au sein même de la structure institutionnelle. De plus les fx sont en phase avec la tradition comme avec l’innovation. Elles ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain.

Quels sont les prochains pas et les objectifs en Suisse ?

La Table ronde nous permet à la fois de créer du réseau et de valider le travail du noyau de pilotage. A la dernière Table ronde, le noyau a été légitimé. Nous n’avons pas de structure associative et aucun financement. On nous a dit : faites quelque chose et invitez-nous. Nous voulons faire connaître la chose auprès des directions d’Eglises et trouver des pionniers actifs sur le terrain. Je rêve de former des bénévoles capables de porter la chose et d’en faire la promotion.

Quels sont, à vos yeux, les principaux obstacles à l’arrivée des fx en Suisse ?

J’en vois plusieurs. L’idée que le ou la pasteur est responsable de tout. Là où est le pasteur se trouve l’Eglise. C’est un obstacle et c’était aussi le cas en Angleterre. Notre ecclésiologie très attachée au bâtiment Eglise et au culte dominical. L’autre question est celle de la tolérance. Pouvons-nous laisser d’autres formes et d’autres théologies cohabiter ? Les fx n’ont pas une seule théologie, mais des styles très variés et on parle d’économie mixte pour exprimer une collaboration entre ces formes. Cela implique une générosité et même une promotion de l’autre qui perçoit les choses différemment.

Et puis, les finances, bien sûr… il faudra des finances ! Dans le noyau, certains peuvent prendre un peu de temps professionnel, pour ma part, je travaille entre 20 et 30% de manière bénévole.

Quelles sont les grandes forces, comme vous les percevez ?

Je trouve que les fx sont très orientées vers les personnes, vers leur contexte, qu’elles croient et développent l’Eglise avec les gens. Elles ne partent pas de modèles ou d’images d’Epinal, mais de cette question : comment pouvons-nous trouver et vivre Dieu avec les gens ? Il ne s’agit pas de dispenser un enseignement, mais d’apprendre ensemble ce que peut être l’Eglise. Je suis moi-même en train de construire une fx. J’ai écrit une thèse et suis pasteure depuis cinq ans et je constate que je dois toujours et encore réviser mes clichés, malgré que je sois autant impliquée dans ce développement.

Pour moi c’est une grande chance pour l’Eglise d’être plus près des gens, de redécouvrir son caractère communautaire et sa dimension missionnaire. Les Eglises ont une responsabilité.

Vous pouvez m’en dire davantage sur la fx que vous construisez ?

Il y a différentes choses. Je suis dans une paroisse traditionnelle. Nous avons un projet de législation qui projette la création de trois à cinq fx d’ici quatre ans. Actuellement, je construis une fx de tradition contemplative. C’est pour des personnes qui aiment l’extérieur et ne sentent peut-être pas bien dans une Eglise, des personnes qui ont une sensibilité ésotérique et sont intéressées au spirituel. J’ai remarqué qu’en allant promener mes chiens, j’ai de nombreux contacts avec les gens. La plupart ont quitté la paroisse, mais les recherches et les questions sont présentes. Ce que nous construisons avec quatre femmes, c’est pour ces personnes : comment combiner la nature, les animaux et Dieu ? Contempler, manger ensemble et être une église de l’extérieur.

Pour montrer à ma paroisse que l’Eglise doit sortir de ses murs, nous avons pris en banc d’Eglise. Nous avons fêté le déménagement de ce banc et nous l’avons installé à l’extérieur. Et nous avons parcouru le village avec ce banc. Nous sommes allés à la kermesse du village avec le banc. Et puis, le premier août, les organisateurs nous ont écrit : « cher banc d’Eglise serais-tu d’accord de venir à notre fête ? » Et nous avons voulu dire : l’Eglise est présente là où sont les gens ! Et chaque fois il s’est passé des choses ! Nous avons plaisanté au sujet de l’Eglise ou simplement joué avec des enfants autour du banc. A la kermesse nous avons offert du thé sur le banc et fait des causeries. Nous avons constaté que beaucoup de personnes ont peur des locaux Eglise, c’est pourquoi nous avons chaque année un marché de Noël dans et autour de l’Eglise. Chez nous à Bäretswil (Zh) cela n’existait pas avant. Il n’y a pas non plus de place de jeux dans notre village. Nous avons donc installé une petite place de jeu à côté de l’Eglise qui est entretenue par des bénévoles et nous devons maintenant en faire une place plus conséquente de manière à combiner la chose avec des activités créatives pour les familles. C’est quelques éléments de base, nous avons encore bien d’autres idées. Le plus fort a sans doute été lorsque durant une année nous avons fait une action intitulée : l’Eglise de Bäretswil écoute. Nous avons envoyé les paroissiens dans le village pour récolter des indications sur les besoins et les joies. Et nous en sommes à la phase « l’Eglise de Bäretswil sort de ses murs » et nous avons développé un logo pour ces activités.

Quelles ont été les résistances à ces nouveautés ?

C’est très contrasté. Le conseil d’Eglise est très créatif et motivé. Ils me font confiance et je leur fais confiance. Nous formons un groupe soudé. Je ne pars pas sans eux. Je m’interroge sur le sens et ils me soutiennent et participent à ces actions. Il y a des résistances de fidèles qui ont l’impression qu’on leur enlève quelque chose. Ils ont peur du changement. Je leur dit que nous n’allons pas supprimer la tradition. C’est une bonne chose, et je le pense sincèrement ! Mais la vie est aussi dans le changement. Et certains domaines doivent changer. Et la balance entre ces deux discours n’est pas facile à trouver.

Propos recueillis par Jean-Christophe Emery.

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