La nouvelle évangélisation dans le contexte catholique romain

Le F. Enzo Biemmi est frère de la Sainte-Famille, directeur de l'Institut Supérieur de Sciences religieuses de Vérone (Italie), directeur de la revue nationale de catéchèse Evangelizzare et président de l'équipe européenne de catéchèse.

La brillante contribution d’Enzo Biemmi au sujet de la Nouvelle Evangélisation telle qu’elle est conçue dans l’Eglise catholique romaine déploie une perspective historique, mais aussi quelques enjeux sous forme de courants, de postures et de priorités.

Voici les notes de cette contribution faite le 31 mars 2014 à l’Université de Strasbourg, dans le cadre de la journée d’étude consacrée à l’évangélisation.

A) Emergences de la Nouvelle Evangélisation [NE]. Paul VI (1975). L’expression est de Jean-Paul II – réinterprétation de Benoît XVI – et du Pape François Evangelii Gaudium.

  1. Paul VI – défi d’une nouvelle inculturation de l’Eglise en Europe. Evangéliser = identité profonde de l’Eglise – Expression : proximité avec toutes et tous. Critère : l’évangile et l’évangélisation sont indépendants de toutes les cultures – pas d’identification, mais lien avec la culture. Eléments de la culture et des cultes à emprunter.
  2. Jean-Paul II – Il « invente » l’expression Nouvelle Evangélisation en 1979 – comme s’il s’agissait d’une 2e annonce. Il ne s’agit pas d’une ré-évangélisation, mais d’une évangélisation nouvelle dans les méthodes, ardeurs, expressions. Pas dans la ligne de l’inculturation, mais de retour à la foi des pays sécularisés. Perspective (1988) – urgence de refaire le tissus chrétien de la société humaine – d’abord tissus communautaire des communautés ecclésiales. Régression ou évolution ? Régression = retour de l’Europe à la chrétienté. Evolution : il faut commencer par le renouvellement de la communauté ecclésiale.
  3. Benoit XVI – le problème est ad-intra de l’Eglise. Motu proprio du 10.09.2010. Besoin d’un élan missionnaire renouvelé. Premier devoir : nous rendre docile à l’œuvre de l’Evangile. Expérience profonde de Dieu avant de témoigner. Défi anthropologique – préoccupé par le relativisme et la dérive éthique. Modèle de la cour des gentils = dialogue avec les non-croyants.

B) Synode 2012 et Pape François. Prise de conscience à l’intérieur du synode : 262 pères synodaux du monde entier – déplacement des débats. Trois représentations de l’évangélisation :

  1. Charismatique – témoignage direct sans filtre – passage à l’acte immédiat, centré sur l’expérience spirituelle du témoin, abstraction de l’expérience spirituelle des destinataires – impact fort dans des contextes d’absence de traces de christianisme. Confiance et enthousiasme. Pas de jugement sur la culture – mais privatisation du message.
  2. Dogmatique – côté objectif de la foi. Il faut revenir à la proclamation claire de la vérité (dogmes et morale) – jugement négatif sur la culture actuelle et sur les méthodes d’évangélisation de catéchèse (jugées trop pédagogiques et anthropologiques et responsables de la situation actuelle de sécularisation). L’annonciateur se protège derrière l’objectivité de son message.
  3. Anthropologique – inculturation de la foi. Vient surtout d’Europe. Evangélisation est un processus complexe d’assomption d’éléments de la culture pour reformuler des éléments de compréhension de l’Evangile. Evangélisation s’appuie sur des éléments de culture et de foi – la foi sauve la culture en l’intégrant dans la dynamique du salut – idée de la rendre désirable dans le contexte actuel.

Synode : la conception charismatique a gagné du terrain au cours du synode – plus efficace dans ses résultats (y compris dans la vocation religieuse et presbytérale) – parfois en conflit avec la paroisse.

Déplacement extrinsèque du thème. Le renouvellement n’est pas affaire de changement de stratégie (communication), mais action spirituelle (question de l’Eglise sur elle-même). Toute l’Eglise est mise en cause dans son essence et sa vie. L’infécondité de l’Evangélisation est un problème ecclésiologique : incapacité de l’Eglise à se configurer en une communauté réelle – mais machine. Déposer le tactique et chercher la sincérité et supprimer ce qui n’est que convention ou habitude. Les paroles qui ne passent pas : non pas lié aux destinataires ou aux méthodes dépassées – mais parce que les paroles de l’Evangile ne parlent plus à l’Eglise elle-même. Renvoi à une nouvelle écoute de la Parole de Dieu. Prise de conscience – appel à la conversion. Résultat de la crise institutionnelle de l’Eglise Catholique – luttes de pouvoir, pédophilie, banque du Vatican. Evangélisation nouvelle à partir du moment où les membres de l’Eglise se convertiront.

Evangelii Gaudium – encyclique – 24.11.2013 – Pape François. Forme et motivation de l’Evangélisation : la joie. Fin : dans l’Esprit. Motivation fondamentale n’est pas de sauver les autres, mais un excès de joie. Finalité : que la joie soit complète. Evangélisateurs de l’Esprit, dans l’Esprit. Vraie nouveauté : le document quitte le langage ecclésiastique. La conversion réclame la réforme – la sainteté personnelle exige la sainteté des structures institutionnelles. Remise en question de l’exercice de l’autorité !!!

C) Notion de 1ère et 2e annonce. Pratique catéchétique – des adultes. Conviction : toute action pastorale a une perspective de 1ère et 2e annonce. Tâche missionnaire n’est pas de recommencer à zéro – paroisses qui fonctionnent comme si les gens absorbent la foi sociologique – agit « comme si… » – ne pas bâtir sur les ruines de ce constat. Mais intervenir en donnant à toutes les activités une perspective de 1ère annonce. Ex. demande d’actes pastoraux sans expérience personnelle de la foi. Changement des objectifs. Passage de la conservation à la proposition. De l’encadrement à l’engendrement.

  1. 1ère annonce : kerygme – rôle fondamental au centre de tout objectif de renouvellement. Cette 1ère annonce est première au sens qualitatif : jamais dépassée, rien de plus solide. 2e annonce : parole de bénédiction au cœur de la traversée de la vie humaine – rappel de la 1e annonce – 2e appel à la liberté. C’est le 2e « oui » décisif qui confirme le premier « oui » romantique. Ricoeur fidélité première et seconde. Temps de la 2e annonce : fissures dans les expériences humaines – pas en période de stabilité, mais de crise – par excès (amour inattendu, surprise) ou par défaut (fragilité, échec, etc.). « Dieu était là et je ne le savais pas ».
    Détails sur la conception de première annonce à lire sur le site de la catéchèse diocésaine de Liège
  1. La 2e annonce : le mystère de Dieu n’est jamais compris. Il a besoin d’être rappelé. Appel à intégrer la perspective christologique et pneumatologique.

Spiritualité et éthique de l’Evangélisation. 1, voir Dieu en chaque personne (Ignace de Loyola). 2, mettre des mots sur ce processus = reconnaître, annonce. 3, but final : disparaître – la personne arrive à reconnaître Dieu elle-même. Cercle herméneutique de l’autre (réciprocité) qui m’aide à redécouvrir mes richesses.

Gratuité de l’acte de l’évangélisation. De l’ordre de la charité, de l’excès (amour et non pas religion). Ce qui nous a humanisé le plus. Pas de contradiction entre mission et prosélytisme. L’évangélisation mène à la liberté de réponse.

 

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