Église du passé composé, Église du futur antérieur

L’harmonie entre le temple et les fidèles frise la caricature. Le bâtiment, sur la célèbre 5e Avenue, se démarque des buildings environnants. A l’intérieur, un orgue majestueux surplombe une galerie qui abrite la chorale. Des boiseries sombres et des tapis feutrés installent une atmosphère digne et confortable. Les bancs en amphithéâtre mettent en valeur la centralité de la parole théologique. La Fifth Avenue Presbyterian Church offre un accueil efficace et souriant.

Un coup d’œil à l’assistance révèle une classe sociale élevée. De même, les têtes blanches sont surreprésentées : elles étaient absentes des autres cultes que nous avons fréquentés.

Beaucoup de monde, près de 400 personnes présentes, pourtant les échanges sont chaleureux. L’intensité des salutations laisse imaginer que c’est de longue date. Les conversations vont bon train et la chorale commence à chanter.

Dieu dans nos histoires

L’assemblée glisse en douceur dans la célébration. L’ensemble allie un ton décontracté et une tenue liturgique impeccable. L’excellence de la musique – une chorale classique de haut vol soutenue par un organiste virtuose –, les références de la prédication et une solide équipe pastorale mènent la danse. L’enthousiasme de l’assistance fort nombreuse s’exprime lors des chants et des applaudissements, notamment quand l’un des pasteurs annonce qu’il a reçu une bourse pour développer un programme intergénérationnel.

Ce jour-là, Scott Black Johnston, le pasteur principal, fête ses dix ans de ministère dans la communauté. Il renouvelles ses vœux avec ferveur entouré par trois collègues et autant de laïcs. Sa prédication annonce une série de messages autour des matriarches et des patriarches du livre de la Genèse. Il évoque son arbre généalogique qui comprend l’un des illustres fondateurs de la communauté, c’était au début du 20e siècle. Sa parole allie humour et intelligence. Les exemples tirés de son vécu sont mis au service d’une idée forte : les histoires de famille sont le lieu où Dieu noue des alliances.

Un Rotary Club

La communauté apparaît comme un groupe solide et établi. Rien ne vient troubler ce qui s’apparente à une fête de famille célébrée dans un club privé. Ce n’est pas faute de chercher de nouveaux membres, d’ailleurs un ministère spécialisé dans le domaine a été créé en juin dernier. L’intégration des arrivants éventuels semble être un processus rôdé. Au verso du livret du culte, le nouveau venu trouvera un formulaire pour prendre contact. En début de célébration, ces personnes sont invitées à s’identifier en levant la main. Quant aux membres réguliers, ils jouent leur part en accueillant ces visiteurs. Ceux-ci ont aussi, comme presque partout, accès aux nombreux groupes de partage et de prière qui gravitent autour de la paroisse. Une formation sur les bases de la foi leur permet même d’en comprendre rapidement les arcanes.

Un lent déclin ?

Pourtant quelque chose semble grippé. Le groupe de jeunes qui bénéficie d’un programme adapté durant le service est d’une maigreur effarante. Peu de visiteurs de passage se signalent alors que l’assemblée est bien étoffée. La pyramide des âges est en fort décalage avec cette société new-yorkaise qui affiche un âge moyen de 35 ans.

Pourtant, aucune fausse note n’indique que la communauté serait en proie à une crise. L’atmosphère est sereine et positive. Mais la paroisse peine visiblement à toucher les jeunes et les classes populaires. D’autres offres religieuses concurrentes s’en chargent. On a le sentiment d’être en présence d’une congrégation qui s’éteint tranquillement, fidèle à ses racines, à ses standards et à ses engagements sociaux. Elle est encore forte de son prestige, de son histoire, de ses murs, mais elle semble déconnectée de la vie trépidante qui agite la métropole. Aujourd’hui, elle joue un rôle indéniable dans le concert des Églises que nous avons croisé sur notre route.

Fausse sécurité

Une Église qui a des moyens donc, sûre de sa culture élitiste et de sa place dans la société. Pourtant, le décalage entre cette assemblée vieillissante et la population new-yorkaise, jeune pour l’essentiel, interroge. Les changements culturels ne semblent pas troubler les habitudes de ce cercle protégé qui cultive un certain entre-soi. Pourtant, le fossé continue de s’accroître en regard de la société, et le dynamisme risque de s’essouffler. Sous les apparences de sécurité, sans s’en rendre compte, Fifth Avenue Presbyterian Church prend  la voie de ces paroisses fossilisées qui consacrent l’essentiel de leur énergie à la célébration de leur mémoire.

 

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