Les modèles missionnaires du Nouveau Testament

Dans notre monde déchristianisé l’évangélisation n’a pas bonne presse et pourtant elle est constitutive de la vocation de l’Église, qui est d’être pour les autres et pour le monde une Église de témoignage et de rencontre.

Christian Grappe, Prof. Nouveau Testament à l’Université de Strasbourg

Alors comment partager l’Évangile d’une nouvelle manière aujourd’hui ? Un retour aux sources permet de distinguer quatre modèles missionnaires stimulants dans le Nouveau Testament : la mission centripète ou d’édification de la communauté, la mission centrifuge ou de création de nouvelles communautés, la mission par contagion et la mission par immersion. Ces modèles ont été présentés par Christian Grappe, professeur de Nouveau Testament à l’Université de Strasbourg.

Les modèles centripète et centrifuge


Le modèle centripète se focalise sur la communauté à faire grandir.

Jésus de Nazareth semble limiter sa propre proclamation et son action au seul peuple d’Israël : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24). Mais déjà là, il y a une immense ouverture car le Royaume de Dieu fait irruption par sa proclamation et son action n’est pas limitée au Temple de Jérusalem. Contrairement aux autres mouvements de son temps, Jésus s’adresse à tous, sans aucune exclusion ou préférence. Par ailleurs, il associe les Douze à sa proclamation de la bonne nouvelle. On peut considérer cette approche comme centripète puisqu’elle se focalise sur un noyau à faire grandir.
Le grand changement à lieu après Pâques. On le voit clairement dans le contraste dans l’évangile de Matthieu entre l’envoi des Douze (Mt 10,5-15) et après la résurrection (Mt 28,16-20). Dans le premier cas, Jésus interdit de prendre le chemin de païens ou d’entrer dans une ville des Samaritains et dans le second, le Ressuscité ordonne de faire de toutes les nations des disciples. Cinquante ans se sont passés entre le temps du ministère de Jésus et la rédaction de l’évangile. La mission au loin fait donc appel à un modèle centrifuge à l’origine de nouvelles communautés.
Après Pâques les deux modèles, centripète et centrifuge, cohabitent et sont parfois mis en œuvre par les mêmes personnes.
Dans les premiers chapitres des Actes, la communauté de Jérusalem pratique une mission centripète en accueillant les pèlerins avec l’emblématique texte de la Pentecôte comprenant la liste des peuples (Ac 2,1-13). Il se peut qu’aux origines, l’Église primitive de Jérusalem ait envisagé le pèlerinage des nations de manière exclusivement centripète.

A l’image de la plante que l’on place dans un pot ou un terreau, le modèle centrifuge s’emploie à fonder des communautés nouvelles.

Paul est le principal acteur du modèle centrifuge. Convaincu de la proximité du retour du Christ, il est habité par un sentiment d’urgence qui l’amène à porter le plus rapidement possible l’Évangile aux confins du monde alors connu : l’Espagne. Cet inlassable propagateur de la bonne nouvelle est convaincu que l’Évangile doit être annoncé à toutes et à tous en tout lieu.
Mais Paul est aussi un promoteur du modèle centripète. En effet, une fois de nouvelles communautés fondées, il poursuit son apostolat et leur envoie des épîtres. Celles-ci sont davantage marquées par un souci d’édification communautaire que par un élan missionnaire.
Le livre des Actes témoigne également de la présence des deux modèles évoqués. Son auteur reprend, lui aussi, la dynamique d’une mission qui se conçoit à l’échelle du monde. Il n’est cependant pas sensible à l’urgence missionnaire de Paul. Dans Actes 1, 6-8 c’est le Ressuscité en personne qui assigne aux disciples comme mission le témoignage, dans une dynamique centrifuge, à partir de Jérusalem. Le « retard » du retour du Christ invite dans les années 80 à 90, à concevoir une histoire qui se déploierait sur la longue durée.
Le livre des Actes promeut un universalisme qui se limite au monde connu à l’époque, à savoir les frontières de l’Empire romain. Il est, dès lors, intéressant et important de constater que grâce au livre des Actes, l’Europe se trouve pourvue d’un récit de fondation dont ne dispose aucun autre continent.

Le modèle d’une mission par contagion

A l’image de la greffe qui grandit sur une autre plante dans l’idée d’une association fructueuse.

Ce modèle invite les croyants à être, à la suite du Christ, sel de la terre et lumière du monde. Le sermon sur la montagne (Mt 5,13-16) illustre ce modèle en insistant sur le témoignage dans le quotidien et sur l’exemplarité de la conduite. Ce modèle d’une mission conçue par contagion est aussi illustré par l’évangile de Jean. La prière de Jésus, au chapitre 17, affirme que l’objectif de l’unité des disciples et des croyants est le témoignage au monde. La démonstration de l’unité révèle la perfection de l’amour et du salut donnés par Dieu.
Mais c’est surtout dans la Première épître de Pierre que ce modèle est attesté. Ainsi dans 1P 2,12 les destinataires de l’épître sont exhortés à avoir une belle conduite au milieu des païens, afin qu’ils remarquent leurs bonnes œuvres et glorifient Dieu, au jour où il les visitera. Et 1P 2,15 renforce le propos en précisant que c’est en pratiquant le bien que les croyants réduisent au silence les hommes ignorants et insensés.

Le modèle d’une mission par immersion

L’idée de l’immersion correspond à la perspective des semailles qui se concentre sur la dissémination du message.

Ce modèle s’appuie essentiellement sur l’évangile de Jean. Il est frappant de voir, au début de cet évangile, Jésus réaliser des signes inhabituels pour la tradition juive et aller à la rencontre de personnages non-juifs ou syncrétistes. En Jean 2, il réalise à Cana un signe étranger à la tradition d’Israël, plutôt associé au culte de Dionysos très répandu jusqu’en Palestine et en Samarie. Et en Jean 4, il rejoint la Samaritaine sur ses terres au puits de Jacob. On observe donc une mission par immersion dans la mesure où le Jésus présenté par Jean prend en compte la situation de ses interlocuteurs et les rejoint sur leur propre terrain pour apporter une réponse à leurs attentes.

Des modèles d’actualité

Les récits du Nouveau Testament témoignent d’une créativité missionnaire capable de donner des réponses différenciées et contextuelles. Celles-ci ont permis l’essor de la nouvelle foi dans le cadre d’une société indifférente ou même hostile. On peut risquer quelques parallèles avec la situation actuelle de post-chrétienté. Bien que tributaire d’un lourd héritage dans lequel la mission s’est accompagnée de contraintes, voire de terreur, le mouvement missionnaire, tel qu’il est pensé dans le cadre du COE (Conseil Œcuménique des Eglises), a opéré une large remise en question. L’enjeu actuel est de redécouvrir une forme de fraîcheur que l’on découvre dans les quatre modèles présentés ici. Les modèles « par contagion » et « par immersion » insistent encore davantage que les autres sur la nécessité du profond respect dû à ceux et celles auxquels l’Évangile est annoncé.

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