Choisir son Église, des frontières et des ponts

Quarante charismatiques qui chantent intensément dans un sous-sol à deux pas de Wall-Street. Quatre cent fidèles, plutôt âgés, dignement recueillis face à d’imposantes orgues et une chorale cristalline. Deux mille jeunes immergés dans une célébration festive qui tient plus du concert rock que de la liturgie classique. Les contrastes sont saisissants. En quelques heures, notre périple nous expose à une vaste palette d’offres chrétiennes. Le choix du Newyorkais est-il défini par la proximité géographique ou le style de la cérémonie ? Lorsqu’on gratte la surface, la réponse s’avère complexe.

La méga-église Hillsong NYC

De fortes identités confessionnelles

De manière spontanée, on imagine que le fidèle va sans doute s’orienter d’abord selon son appartenance confessionnelle : baptiste, catholique, luthérien, pentecôtiste, presbytérien, épiscopalien, etc. Celle-ci joue un rôle majeur, dès l’origine, sur le continent nord-américain. Mais le pratiquant peut aussi brouiller les cartes, chercher à dépasser ces divisions et opter pour une communauté non confessionnelle. Leur développement rapide, dès les années 1970, a bouleversé les codes. Le marketing des méga-églises est passé par là. D’ailleurs, une même confession peut proposer des styles de célébrations très variés. Les différentes Églises presbytériennes que nous avons visitées en témoignent. Ainsi nous faut-il chercher des pistes complémentaires.

Options stratégiques

Sam Wheatley (g) et Jeff White (d)

Nous avons posé la question de leur stratégie à Jeff White et Sam Wheatley, deux pasteurs de Redeemer Downtown. L’histoire de cette Église presbytérienne est riche d’enseignements. Née au début des années 1990, la communauté grandit rapidement, portée par la popularité de son pasteur Tim Keller. Se pose alors la question de la gestion du nombre. Faut-il garder un lieu unique et basculer dans le modèle des méga-églises en cherchant des salles plus imposantes ? Les responsables optent pour une autre approche. Ils décident de constituer une Église multi-sites et installent des succursales dans différents quartiers de la ville. Ils cherchent ainsi à favoriser la proximité géographique tout en conservant leur marque de fabrique.

Aujourd’hui, ils ne se considèrent plus comme une Église de proximité. Ils valorisent une dynamique régionale qui offre une grande autonomie à chaque congrégation. A l’automne 2018, ils implanteront une cinquième communauté dans la perspective de proposer un culte en milieu de semaine. Le facteur géographique est croisé avec l’agenda pour mieux quadriller les habitudes.

Division raciale

Progressivement, Jeff White nous met sur une nouvelle piste lorsqu’il nous raconte son expérience pastorale. Durant dix-sept ans, il a pris soin d’une communauté qu’il a fondée dans le quartier de Harlem. Forte de plus de cent personnes, cette Église aujourd’hui disparue, a fortement valorisé la proximité. Près de 90% des fidèles y venaient à pied. Constituée à 70% d’afro-américains, elle revendiquait sa dimension multiethnique. Une véritable gageure dans le contexte des États-Unis. Ici, la principale frontière n’est pas géographique ou culturelle, elle est raciale.

Jeff et son épouse incarnent cette réalité. Alors qu’ils sont blancs, leurs trois enfants adoptifs sont noirs. Le pasteur de Redeemer Downtown se dit profondément marqué par le théologien et écrivain John M. Perkins, un militant des droits civiques. Dans les années 1970, celui-ci a développé une ecclésiologie basée sur l’idée d’un engagement de proximité marqué par la réconciliation et la redistribution des richesses. Lorsqu’il évoque cette aventure, une ombre passe dans le regard de Jeff White. Il n’hésite pas à la décrire comme la plus belle et la plus difficile de sa vie. Il restera sobre sur les raisons du déclin, nous laissant entendre que les divisions ont eu gain de cause.

A Redeemer Downtown, cette question raciale se pose vis-à-vis de l’importante population d’origine asiatique qui fréquente l’Église. D’où la nomination de John Lin, un américain d’extraction coréenne, au poste de « Senior Pastor » de cette communauté.

Niche ou proximité ?

Faut-il privilégier la proximité géographique et donc l’accessibilité ou faut-il miser sur le voisinage culturel en cherchant à travailler la forme liturgique pour correspondre à un public-cible ? Les témoignages que nous avons recueillis ne donnaient pas une réponse unique. Mais nous avons repéré un point commun chez nos interlocuteurs : ils savent d’où viennent les gens et comment ils arrivent chez eux. Autrement dit, ces responsables ne laissent pas la loi du hasard décider quel type de population est rejoint par quel style de musique, quelle population ethnique, quel genre de liturgie ou quelle distance parcourue.

Et loin de vouloir tout contrôler, ces pasteurs admettent une large part d’inconnu pour laquelle ils expriment leur confiance et, parfois, leurs échecs. Toujours, ils se remettent en question pour mieux accompagner les changements sociaux. C’est peut-être là la grande leçon qui les travaille – et nous, avec eux.

Sous nos latitudes, un tel constat pourrait nous amener à analyser plus finement la circulation – lorsqu’elle existe – des personnes qui fréquentent nos cercles. Il s’agit de visualiser et de créer des lieux de proximité entre la dynamique paroissiale et les groupes sociaux environnants. Ces éléments de stratégie communautaire pourraient alors engendrer de nouvelles manières d’envisager les activités et les événements.

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