Un culte au théâtre

Depuis quelques années le mouvement des méga-églises impacte les grandes villes européennes. Les cultes-spectacles séduisent beaucoup de jeunes. Ils y trouvent un style qui leur correspond et ils se laissent immerger dans une masse croyante qui leur procure sécurité et stimulation.

La communauté Hillsong se réunit à Bobino, le célèbre music-hall parisien. À 9h45, une foule bigarrée se presse déjà dans la cour et dans l’entrée. Un important personnel d’accueil propose du café. L’ambiance est amicale, des rires et des salutations joyeuses jaillissent de toutes parts.

Un homme d’un certain âge m’aborde et me demande si c’est la première fois que je viens. La discussion se noue, nous nous découvrons des connaissances communes. J’apprends qu’il a été pasteur dans des communautés évangéliques jusqu’au milieu des années 90. Un divorce, une compagne avec laquelle il n’est pas marié. Il est devenu persona non grata au sein de sa propre Eglise. Ce n’est qu’ici, à Hillsong, qu’il retrouve une communauté accueillante dans laquelle il peut vivre la louange.

Avec un quart d’heure de retard, les portes qui conduisent à la salle s’ouvrent. Les places se remplissent rapidement. Le personnel se charge de guider les quelques retardataires vers les sièges encore inoccupés. Un journal attend chacun. Le show peut commencer, comme au théâtre !

La musique est bonne ! La musique sonne ! Une demi-heure de louange conduite par des professionnels : une chorale d’une quinzaine de personnes, six musiciens, deux chanteurs dans la lumière et quatre autres à leurs côtés. L’assistance, debout, reprend les refrains, les mains en l’air pour certains. La sono est si forte que je dois me boucher les oreilles. Je n’ai pas pensé à prendre des tampons auriculaires !

Brendan White, le pasteur principal prend la parole. En anglais, traduit par une jeune femme. C’est l’occasion d’entendre deux fois le même message. Simple et direct : Dieu est présent, il va répondre à toutes les prières que l’assistance a pu écrire sur des feuilles de couleur disposées à l’entrée. Le pasteur invite régulièrement à dire Amen ! L’assemblée y répond joyeusement, avec des applaudissements.

Je filme depuis quelques minutes. Une tape sur mon épaule. Un des équipiers me signale que je ne suis pas autorisé à filmer de longs moments.

Le pasteur annonce une pause de trois minutes pour faire connaissance avec une personne voisine. Pour moi, une jeune femme de couleur qui désire savoir si c’est la première fois que je viens à Hillsong. Ce n’est qu’à la fin du temps imparti que je peux lui demander qui elle est !

Les cinquante minutes suivantes sont consacrées à deux offrandes. L’offrande dominicale ordinaire, suivie d’une offrande spéciale intitulée « Un cœur pour la maison ». Si la première offrande est rapidement présentée, la seconde fait l’objet d’une attention très particulière : présentation d’un film-témoignage, quasi publicitaire d’une vingtaine de minutes suivi d’une exhortation à donner « pour aller de l’avant », pour « agrandir l’espace de la tente » (Es 54,2-3). On comprend que Hillsong se trouve à l’étroit dans ses locaux actuels. Le don que chacun.e est invité à faire est comparé à un sacrifice auquel Dieu répondra en ouvrant les « écluses des cieux » (Ml 3,10). Pour discerner ce qu’il faut offrir, la chanteuse du jour interprète une ballade.
Un piano et une guitare soulignent des paroles qui demandent à Dieu de faire de sa vie une « chambre haute » et lui promettent de donner le peu qu’elle possède. Enfin, le pasteur et son épouse prient encore pour cette offrande et pour celles et ceux qui vont donner.

Le culte se termine abruptement sur un appel à la conversion et un dernier chant.

Je sors un peu déboussolé de tout ce bruit dans mes oreilles. Personne ne m’arrête ni ne cherche à prendre contact. C’est que, déjà, le public du prochain culte emplit la cour.

Pourquoi va-t-on à Hillsong ? Pour l’accueil, sans doute, et l’atmosphère décontractée. Pour la musique participative employant les tempi, rythmes et lignes mélodiques de la musique anglo-saxonne contemporaine. Pour l’affirmation répétée de la présence de Dieu et la conviction que c’est ici et maintenant qu’à lieu la rencontre avec Dieu.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

L’avantage des méga-églises c’est la foule, justement. On peut y vivre un moment incognito, tisser des liens et se faire connaître à son propre rythme. Progressivement, on en vient à faire partie des réguliers qui se réjouissent de retrouver des visages connus. C’est libre ! Le récit de Bernard Bolay nous amène à analyser quelques ingrédients qui font la qualité de l’accueil.

Le café, le guide pour les retardataires, l’ambiance musicale et le sourire des bénévoles favorisent l’intégration dans le groupe. L’expérience immersive de la masse vient alors renforcer le sentiment d’appartenance. Tout est fait pour que l’expérience de cette rencontre soit marquante parce qu’elle est « orientée utilisateur ».

Et si on se mettait « dans la position » des visiteurs de nos cultes ? Quels seraient les ingrédients à adapter, à renouveler et à créer ? Et quelles seraient les personnes le mieux à même de générer une expérience communautaire positive ?

Une oasis liturgique au milieu de Paris

La fraternité monastique de Jérusalem est un mouvement international dont l’objectif est de vivre une vie monastique au cœur des villes. Elle anime des offices religieux qui offrent aux visiteurs des espaces de prière ressourçants.

Caroline Bretones, pasteure dans la paroisse du Marais, à la fin d’un entretien me demande : « Aimes-tu la liturgie ? Alors va à St-Gervais ! ». J’y vais.

17h50, en l’église de St-Gervais – St-Protais, une dizaine de personnes occupe l’immense espace de la nef, dans une relative obscurité. Dans le chœur, vêtus de blanc et agenouillés, les membres de la Famille de Jérusalem. Une douzaine d’hommes à gauche, une petite vingtaine de femmes à droite. Ce sont deux fraternités monastiques réunies sous un même toit. Un même esprit de famille les anime, un même appel les rassemble : contempler Dieu dans la cité des humains, leurs frères et sœurs. La plupart travaille à mi-temps à l’extérieur, l’autre mi-temps étant consacré à la prière, à l’adoration et à l’étude de la Bible.

18h, office des vêpres. La lumière se fait dans l’église. L’assistance s’est étoffée. Nous devons être une quarantaine pour chanter les psaumes, écouter une page de St-Augustin et prier.

18h30, messe. Je compte au moins septante personnes rassemblées pour la célébration de l’eucharistie. Une brève homélie sur la parabole de l’économe malhonnête et avisé (Lc 16,1-8), en écho au texte d’Augustin qui méditait ce même passage de l’évangile. La liturgie est traditionnelle. Elle est agrémentée du chœur des sœurs et des frères.

Au moment du souhait de paix que chacune et chacun est invité à adresser à ses voisins, les hommes et les femmes de la Famille de Jérusalem viennent à la rencontre de l’assistance. C’est un beau moment de fraternité où le blanc de leur habit se mélange aux couleurs plus ternes de nos vestes et de nos manteaux.

Au cœur de Paris, entre foule pressée et circulation intense, une communauté prie et offre à celles et ceux qui le désirent une pause bienvenue. Après plus d’une heure et demie passée dans cette église, je ressors plus léger.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Du côté protestant, le nouveau monachisme se développe à la fin des années 90. L’idée est de vivre un engagement communautaire de prière au centre de la vie trépidante. C’est aussi le constat de la prééminence de l’activité professionnelle et du besoin de trouver des espaces de sérénité. Le rapprochement des « deux mondes » permet un ajustement entre la prière et l’environnement. Et puis, la visibilité de l’engagement spirituel interroge. Parfois, il suscite un chemin de foi chez celles et ceux qui croisent ces communautés. Une telle visibilité bouscule quelque peu nos habitudes protestantes de retenue et de discrétion. Et pourtant ! Nombreux sont les groupes ou cellules de prières de nos villes et villages qui prient pour le monde qui les entoure. Pourquoi ne pas les mettre en lumière ? Leur visibilité et leur ouverture à l’accueil du passant permettrait certainement des rencontres spirituelles fructueuses. Certains lieux comme l’Oasis nomade à Vevey proposent des temps de spiritualité avec une « liturgie » simple et en adéquation avec les demandes des participants. Faire un effort de visibilité augmente la surface de contact avec ceux qui sont parfois bousculés dans notre société.

Un poumon au cœur de la Défense

Au cœur de la vie trépidante du quartier high-tech de la métropole française, l’Église catholique dispose d’un lieu multi-fonctionnel. Il abrite des groupes d’entraide, un lieu de célébration, une librairie et des espaces de convivialité.

Cachée derrière l’énorme bâtiment du CNIT, comme écrasée par les facades de la skyline parisienne, la Maison d’Eglise Notre Dame de Pentecôte est difficile à trouver. Ni mon GPS, ni la personne du stand d’information ne savent me conduire jusqu’à elle. Après plusieurs demandes infructueuses, je trouve un habitué des lieux qui m’aide à y parvenir.

Le quartier parisien est un monde à part. 70 gratte-ciel et 180 000 personnes y travaillant chaque jour. Le recteur de la Maison d’Eglise, le prêtre Hugues Morel d’Arleux, m’explique que plusieurs mondes se superposent. Celui, impeccable, des immeubles d’acier et de verre qui impressionnent le visiteur. Les rues et les places où mêmes les habitués se perdent et n’empruntent alors que les chemins qu’ils connaissent. Et enfin, sous les immeubles, dans l’obscurité des entrailles urbaines, il faut imaginer des autoroutes à quatre voies, un nœud ferroviaire et d’innombrables caves, des locaux et des couloirs. Des lieux témoins de multiples trafics. Des espaces de refuge pour des adolescents qui ne peuvent plus rentrer chez eux parce qu’une bande rivale occupe le terrain. La plus grande richesse des membres du CAC 40 côtoie, sans la croiser voire même la deviner, la plus grande solitude et la misère.

Comme l’affirme l’une des 80 bénévoles, la Maison d’Eglise est un poumon au cœur de la Défense. Un lieu où des employé.e.s des grandes entreprises, des patron.e.s, des retraité.e.s trouvent apaisement, le temps d’une pause spirituelle. Chaque jour ouvrable, la messe est célébrée dans l’église « Notre Dame de Pentecôte ». Elle rassemble régulièrement 200 personnes venues se recueillir et communier. L’atmosphère y est chaleureuse, amicale, la liturgie traditionnelle est simple, les chants sont entonnés a capella et l’homélie invite à retrouver le sens des priorités.

Chaque mercredi à l’issue de la messe, un repas simple est proposé pour un prix dérisoire. Plus de 70 personnes viennent partager la table et prolonger la communion. C’est que cette Maison n’est pas qu’une église. C’est aussi un lieu de rencontres ouvert à de nombreuses associations. Au jour de ma visite, il y a au sous-sol les Alcooliques Anonymes dans une salle, et la mission Portes Ouvertes en faveur des chrétiens persécutés dans une autre. La conférence est organisée par une communauté pentecôtiste.

Au rez-de-chaussée, dans un grand espace ouvert, je découvre une exposition de peinture et une petite librairie. C’est aussi dans ce hall qu’ont lieu des cycles de conférence. Durant ce mois de novembre 2019, elles sont consacrées à l’environnement, la finance et l’homme.

À la fin de la messe, le Père Hugues dit publiquement qu’il a rendez-vous avec un pasteur protestant et m’invite à me manifester. De multiples sourires se tournent vers moi et plusieurs personnes me saluent à la sortie. Ici l’œcuménisme n’est pas un vain mot et c’est pour moi une vraie respiration !

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Un poumon au cœur de la vie, voilà une démarche intéressante. Installer ou faire vivre une communauté au beau milieu de l’activité trépidante d’une ville, d’un quartier de bureaux ou d’entreprises. D’autre exemples démontrent toutefois que le lien entre le poumon, lieu du souffle, et le reste du corps ne fonctionne pas toujours aisément. Toute la question est de savoir comment faire passer « les globules » par ce lieu de souffle pour leur donner « de l’oxygène ». Créer un lieu de passage diversifié, dans lequel on n’a pas besoin de s’attarder, et qui permet en peu de temps de se remplir d’autre chose. Reprendre des forces, faire une brève expérience de partage, vivre un moment de calme, ou de méditation, selon l’envie ou le besoin du moment. Et les défis sont nombreux : communiquer efficacement, générer un climat de confiance, amener un bénéfice identifiable dans la vie des gens. Audace, ténacité et créativité sont requises pour de tels projets. Mais avant cela, nous pourrions simplement prendre conscience de nos apnées quotidiennes qui sont autant d’invitations à ne pas perdre le lien au souffle de l’Esprit.

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