Le boom des célébrants laïcs

En Romandie, de nouvelles figures sont apparues dans les temples protestants pour unir les couples et rendre les derniers hommages aux défunts : les célébrants laïcs. Rencontre avec l’un d’entre eux, Mathias Neri.

De nouveaux venus dans les églises

Le nombre de protestants romands préférant un célébrant laïc à un pasteur pour un mariage ou un enterrement augmente, et cela même si la cérémonie funèbre a lieu dans une église. Matthias Neri, célébrant laïc depuis 2021, évoque les interactions qu’il a avec le monde ecclésial. «Beaucoup de gens se font de fausses idées sur nous, et ne réalisent ce qu’on fait réellement que lorsqu’ils assistent à une de nos célébrations.»

La laïcité comme une invitation

L’idée que la laïcité signifie l’exclusion de tout aspect religieux, surprend Matthias Neri : « Je n’ai jamais vu les choses comme ça, pour un célébrant laïc, c’est tout le contraire. Nous cherchons à ce que chacun se sente à l’aise d’amener avec lui sa propre religion et sa propre spiritualité». Dans ce type de cérémonie, la religion sous toutes ses formes est la bienvenue. C’est une démarche profondément inclusive. Concevoir et animer une célébration qui réunit plusieurs confessions est un vrai défi. Et le célébrant d’ajouter: «Certains protestants, même très pratiquants, font appel à mes services, pour que tous leurs proches, même d’autres confessions, puissent se reconnaître dans la cérémonie et ne pas se sentir exclus.»

Mathias Neri, célébrant laïc
Mathias Neri, célébrant laïc

Dieu au travers de l’humain

Pour lui, chaque cérémonie est différente, car chacune se basera sur la spiritualité des mandants qui font appel à ses services. Si parfois Dieu est absent des cérémonies, il peut être fortement mobilisé dans d’autres. Pour Matthias Neri il n’y a là pas de contradiction avec son statut de laïc : «Dieu n’est évoqué qu’au travers des gens et de leurs propos. C’est le vrai centre de notre travail. Nous relatons la foi et les croyances de nos mandants sans avoir d’agenda religieux.»

Une spiritualité de l’accompagnement

Bien qu’il soit né dans un foyer catholique, la nourriture spirituelle de Matthias Neri ne réside pas dans la tradition chrétienne. Il estime que les moteurs de son activité sont l’accueil et l’accompagnement des personnes dans des moments importants de leur vie. «Je me considère comme très ouvert et très spirituel.» Et d’ajouter: «Pendant de longues années, je me suis réalisé dans l’accompagnement des personnes en fin de vie et des polyhandicapés. j’ai été aide-soignant pendant 22 ans. C’est lors du mariage de deux amis voulant être unis par un célébrant laïc que je me suis vu en devenir un. La place de l’accompagnement est centrale dans cette profession».

Laïc en Eglise

Pour lui, les célébrants laïc n’ont rien inventé: «Nous sommes très proches de ce qu’offre un service religieux.» Cette proximité peut parfois causer des problèmes. «Je crois que certains ministres ont peur qu’on leur vole leur travail. Il y a la question de nos tarifs, qui n’est pas toujours bien comprise non plus», poursuit-il : en effet, les célébrants laïques sont des indépendants payés pour leur services directement par les mandants, et non par l’église ou une autre institution. En certaines occasions, il se rend dans des églises protestantes à la demande de familles endeuillées. «C’est regrettable qu’il n’y ait pas de moments de rencontre avec les pasteurs et les diacres outre le moment où ils nous ouvrent l’église. Nous avons beaucoup à nous dire. Nous pouvons briser les clichés que nous avons les uns sur les autres par le dialogue» conclut Matthias Neri, membre de l’ACOR, l’association des célébrants laïcs de Romandie.

 

Dans les médias :

Le 19:30 du 19 mai 2022

Une série Vacarme de 2021

Une émission Temps Présent de 2009

Des outils pour coopérer dans les Églises

Auteure du livre « coopérer sur la durée dans l’Eglise locale » sorti en 2022, la sociologue Marie Carayol invite à une meilleure collaboration ecclésiale. Témoignages et analyses de terrain sont au menu de cet ouvrage qui interroge la gouvernance d’Église et la coopération sur le long terme. Interview.

D’où vient votre démarche d’accompagnatrice en coopération ?

Dans mes années de jeune travailleuse sociale, j’ai permis à des habitants de quartiers populaires de se prendre en main. Ils ont amélioré leurs conditions de vie pour eux-mêmes et l’endroit où ils habitent. J’ai innové dans ce milieu d’éducation sociale en adoptant une démarche humaniste qui autorise la personne à prendre une posture d’acteur capable et conscient.

Quelques schémas tirés du livre

Qu’avez-vous constaté dans le domaine ecclésial ?

En m’intéressant à la gouvernance d’église, j’ai vu que ses membres ne sont pas dans cette posture d’acteur. Alors qu’ils souhaitent l’avoir. Mais elle n’est pas facilitée par les dirigeants ecclésiaux. Résultat : il y a de la frustration des deux côtés. On reproche aux gens de ne pas assez s’engager et rien n’encourage à faire plus.

Quelles observations tirez-vous de cette situation paradoxale ?

J’ai étudié les représentations des deux côtés et les postures freinant la collaboration. Fondamentalement, mon texte traite de la peur qui nous empêche d’aller vers l’autre, de se confronter à lui et de collaborer. Se confronter à différentes personnes, c’est rencontrer nos propres angoisses. Il est nécessaire d’effectuer un travail sur soi qui passe par un constat de difficultés, d’échecs, de frustration, de découragement. C’est seulement après cette prise de conscience qu’on s’interroge sur la façon de construire quelque chose de différent avec les gens.

Et comment fait-on pour ne plus avoir peur ?

En s’inspirant des autres. J’ai travaillé pendant un an et demi avec quinze pasteurs des milieux évangéliques et réformés. J’ai recueilli les témoignages d’une quarantaine de personnes engagées dans des églises pour qu’elles parlent de ce qu’elles vivent. Ce livre mêle une approche théologique à une approche psycho-sociale systémique. C’est un ouvrage-outil pour questionner les postures qui facilitent ou non la coopération en milieu ecclésial. Le but est d’aboutir à des actions concrètes à impact collectif, quitte à faire bouger les lignes de forces hiérarchiques de l’institution.

Par exemple ?

Un des pasteurs participant au projet du livre a mis en place dans son église de manière très intentionnelle le « ensemble ou rien » dans une culture très hiérarchisée. Bien que chacun ait son mot à dire à égalité avec la parole des autres, les gens étaient complètement perdus. Grâce à un travail de mise en confiance et en sécurité, ce pasteur a pu mettre en place son projet. Résultat : le nombre de personnes qui fréquentent l’église n’a pas augmenté mais celui des personnes engagées a bondi. De plus, les personnes engagées dans cette église le sont en lien avec leurs dons, leurs souhaits, leurs envies.

Votre livre s’intéresse beaucoup au milieu évangélique. Or, il y a des différences de construction dans la dynamique des communautés protestantes et évangéliques, ainsi que dans leurs rapports institutionnels. Comment cela joue-t-il un rôle ?

Le milieu protestant est riche de gens qui soutiennent, parfois à bout de bras, des initiatives. Il y a des personnes très motivées qui en même temps composent avec les contraintes de leurs instances décisionnelles ecclésiales. J’ai été fasciné de constater que ces personnes envisagent les difficultés rencontrées comme un chemin de transformation, de croissance spirituelle. Cependant, dans chaque milieu, j’ai vu une souffrance de l’enfermement. Les personnes avec lesquelles j’ai travaillé ont été très heureuses de se rencontrer, au-delà de leurs peurs ou de leurs représentations de l’autre. Cela les sortait de la solitude.

La coopération, repose-t-elle sur de bonnes techniques ou de bonnes intentions ?

Les deux à la fois. Une personne seule qui a envie de vivre la gouvernance partagée par exemple, ne peut pas faire face à d’autres individualités qui ont des envies et des enjeux différents. Il faut mettre en place des outils qui permettent d’arriver à des décisions soutenues par un engagement commun et qui induisent une responsabilité collective. L’intention seule conduit à un éparpillement. En mettent trop de poids sur les personnes on en oublie l’objectif à atteindre. C’est la porte ouverte aux conflits. La technique est un garde-fou. On met l’intention au service de l’outil.

S’il fallait résumer le but de ce livre, quel est-il ?

Pour construire une communauté et faire des choses ensemble, il faut que la confrontation avec l’autre soit constructive. Grandir en conscience de soi, même en présence de personnes dysfonctionnelles, c’est possible. Ce qu’on n’aime pas chez l’autre, ce qui nous dérange, nous rappelle ce qu’on ne veut pas pour soi. L’inverse est aussi vrai quand on admire quelqu’un. C’est dans la rencontre et le travail avec l’autre que l’on s’interroge sur la manière de s’améliorer en tant que personne. Finalement, le projet est de vivre ensemble en nous confrontant les uns aux autres, pour nous transformer et savoir coopérer sur la durée dans chacun de nos choix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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