Andy Buckler est le « monsieur évangélisation » de l’Eglise Protestante Unie de France. Issu de l’Eglise anglicane du Royaume Uni, il nous propose une perspective historique et contemporaine sur la recherche autour de ce que le monde anglo-saxon appelle « l’Eglise émergente ».
Voici les notes de cette contribution faite le 31 mars 2014 à l’Université de Strasbourg, dans le cadre de la journée d’étude consacrée à l’évangélisation.
Le titre de cette contribution est ambigu : l’ « Eglise émergente » n’est pas un bloc uniforme. C’est un mouvement, un ensemble très divers et innovateur. Le contexte anglophone est fragmenté en une multitude de sous-cultures !
Les mots « évangélisation » et « mission » ont évoqué, dans l’histoire, deux dynamiques différentes. La mission désignait la réception de l’Evangile dans des cultures étrangères (inculturation). Alors que l’évangélisation était considérée comme la tâche de l’Eglise dans un contexte historiquement chrétien, destinée à renouveler le message. La mission est dialogue entre message évangélique et culture en vue de la création de quelque chose de nouveau. Cette démarche est plus complexe que la seule annonce de l’Evangile.
En vertu des bouleversements culturels actuels la distinction entre mission et évangélisation perd de sa pertinence. L’Eglise doit à nouveau devenir missionnaire. C’est un défi en Europe anglophone.
L’idée de percevoir le contexte socio-culturel comme une terre de mission vient de Brian McLaren (USA). Pour lui, un nouveau monde appelle à une nouvelle Eglise. Il s’agit de repenser la théologie. Ainsi naît le mouvement des Eglises émergentes en Amérique du Nord. Il se fonde en opposition aux Eglises historiques (main stream). En Angleterre, la dynamique s’exprime autrement. Au sein des structures de la Church of England (CoE), de nouvelles formes d’Eglises sont fondées en cohabitation souple et créative – il s’agit des fameuses « Fresh Expressions ».
Constatant l’écart grandissant entre Eglise et société, la CoE envisage un repositionnement radical. Ceci s’opère en trois temps successifs.
- 1945-1985 : la priorité consiste à présenter à nouveau une foi reçue dans l’enfance. Les outils principaux sont la prédication et la réunion d’évangélisation. De nombreuses paroisses organisent des « temps de mission » en sollicitant la présence d’un évangéliste dans le style Billy Graham. Au centre, la notion de réveil et donc l’appel à la conversion (relativement rapide). Cette perspective fait appel à du connu pour le stimuler.
- 1980-2000 : Le modèle précédent fait place à l’idée de présenter la foi à ceux qui n’ont pas grandi avec une éducation religieuse. Cependant les fruits sont décevants et le recul se poursuit. L’approche est de moins en moins frontale. Exemple avec les parcours de découverte de la foi (Alpha). On envisage l’adhésion par l’expérimentation et le cheminement collectif. Le modèle biblique est celui du chemin d’Emmaüs. La place de la communauté est mise en valeur. Il s’agit de souligner le lien avec la foi vécue localement. L’importance est placée sur les témoins (membres de l’Eglise).
- Depuis 2000, l’enjeu est d’entrer dans une logique centrifuge. On va vers ceux qui n’imaginent pas mettre les pieds à l’Eglise, les distancés voire les « non churched ». L’envoi missionnaire à destination de ces personnes passe par l’implantation de nouvelles formes de communauté contextuelles. Le modèle biblique est le schéma paulinien de fondation d’Eglises. En 1994, la CoE édite un rapport dans lequel il cherche un cadre pour ces essaimages de paroisses existantes. La validité du modèle est reconnue par l’institution. Cette stratégie d’implantation doit être complémentaire au modèle paroissial. En 2004, un nouveau rapport souligne une évolution importante. Il relève que de nouvelles formes locales émergent en beaucoup d’endroits. La question qui se pose est : Comment les encadrer ? Le rapport (Mission shaped church, Church planting and fresh expressions in a changing environnement) soutient cette évolution et signale un changement de stratégie de la CoE. En vertu d’une méthodologie contextuelle, un groupe de travail s’est mis à l’écoute des dynamiques locales. Il s’interroge sur la meilleure façon de soutenir ces initiatives. Le rapport identifie 12 types de nouvelles communautés en fonction des éléments suivants : Cultes innovants. Communautés de base. Eglises dans des cafés. Groupes de maison. Eglises issues d’engagements associatifs (social). Cultes en semaine. Eglises avec plusieurs cultes. Eglises de réseau. Eglises dans des Ecoles. Eglises de style adapté aux populations en recherche. Implantations traditionnelles. Formes de spiritualité traditionnelles renouvelées. Eglises pour jeunes. Par la suite, deux nouvelles catégories vont s’ajouter à cette liste : les Eglises pour les enfants et les Eglises pour familles avec jeunes enfants. Ce rapport se penche longuement sur les liens entre Eglise et société.Il souligne l’écart grandissant qui accompagne le déclin du christianisme. Mais il le relit théologiquement comme une occasion à saisir. Il développe la conviction que le déclin sera arrêté par la repentance de l’Eglise. Ainsi, la culture ambiante n’est pas perçue comme une menace, mais comme une chance. Ce rapport 2004 développe trois nouveaux concepts :
- Les « Fresh Expressions » représentent une transition vers une forme plus missionnaire de l’Eglise. La pratique précède la structure conceptuelle. Ces formes d’Eglise s’orientent vers une culture changeante. Elles sont tournées vers les personnes qui ne sont pas encore membres. Les valeurs de base sont l’écoute, la notion de service, l’idée de mission incarnée et le discipulat. Le texte déclare que ces communautés ont « un potentiel de pleine expression de l’Eglise ». Il reconnaît que ces groupes sont des formes à part entière. Le système paroissial traditionnel est toujours pertinent, mais ne peut plus accomplir son objectif missionnaire.
- L’idée d’économie mixte émerge. Elle désigne un partenariat actif dans un cadre plus large. Le cadre de la CoE permet aux nouvelles formes de coexister avec les formes traditionnelles avec une forte notion de solidarité et respect mutuels. Le modèle théologique s’appuie sur l’idée des relations trinitaires ainsi que le modèle biblique des Eglises de Jérusalem et d’Antioche. L’Eglise a besoin de ces deux approches. L’institution n’est pas là pour écraser, mais encourager et encadrer. Pour ce faire, elle dispose d’un fort élément d’unité : l’évêque. Celui-ci est garant des liens entre communautés.
- En troisième lieu, le rapport laisse émerger la notion de « double listening. » Il s’agit de se mettre à l’écoute de la culture comme de la tradition de l’Eglise. La dynamique est la suivante : A, Ecouter le contexte contemporain. B, valider certains éléments à la lumière de la foi. C, engendrer un processus initial de lancement de nouvelles formes de présence.
Cinq valeurs fondamentales permettent de valider et d’encadrer ces nouvelles démarches. 1 centré sur le Dieu de la trinité 2 « incarnationnel »3 transformationnel (rupture) 4 fait des disciples (croissance) 5 relationnel (communautaire).
L’encadrement passe par un processus d’accompagnement épiscopal qui s’oriente selon la philosophie suivante : quelle est la trajectoire pour arriver à définir les contours d’une « fresh expression » au sein du cadre fixé. Il s’agit non pas d’abord de sanctionner, mais de guider.
Quatre guides (marques) caractérisent toute démarche : le respect de la notion d’unité de l’Eglise ; la recherche de sanctification (verticalité) ; l’accent mis sur l’apostolat (démarche missionnaire) ; l’intégration dans l’idée de catholicité (universalité de l’ensemble – interdépendance avec les autres formes d’Eglises).
Rapport reçu avec enthousiasme – voté à l’unanimité par le synode et imprimé à 17’000 ex. Lancement du site web – En trois ans, plus de 700 expériences de nouvelles formes d’Eglises se manifestent. La CoE développe de nombreuses références et des documents pour encourager ces nouvelles formes. Des partenaires œcuméniques se joignent à la démarche – Eglises méthodiste, Eglises réformée unie, armée du salut, Eglise d’Ecosse, …
Un tiers des recommandations du rapport tourne autour de la formation (des ministres et laïcs). Economie mixte – 1, formation universitaire classique + modules d’évangélisation 2, nouvelle formation pour ceux qui ont une vocation spécifique. Ministère pionnier d’implantation de nouvelles Eglises pour laïcs et ministres. Encouragement pour discerner le charisme de pionniers. Formation menée à côté de l’exercice d’un ministère – en cours d’emploi. Dès 2005, la CoE définit les contours d’un ministère pionnier ordonné. En 2007, elle ajoute un ministère de pionnier laïc. Les outils à disposition des paroisses comprennent : des journées de sensibilisation à la dimension missionnaire de l’Eglise. Un parcours de 6 soirées pour introduire localement la dynamique de mission shaped church. Un parcours de formation d’un an (24 unités modulaire) pour leaders.
Eléments d’évaluation critique de cette démarche : 1, A propos de la stratégie : cette approche entre-t-elle en collusion avec la post-modernité (consumérisme, individualisme) ? La foi chrétienne est-elle capable de prendre de la distance. 2, Quid de la pérennité ? De la 2e génération ? Renouvellement permanent ? Réseau plus stable ? 3, Le principe de l’inculturation mène à un éclatement – une fragmentation de l’Eglise. Quid de l’aspect universel ? 4, Une économie mixe (paroisses traditionnelles et « fresh expressions ») peut-elle vraiment fonctionner ? Risque que les nouvelles expressions siphonnent les paroisses ?
Un nouveau rapport est édité en 2014. Il s’intéresse aux critères de croissance et de déclin. Il constate que l’idée d’une Eglise pour la mission traverse toutes les tendances de la CoE. Il enregistre que la croissance est aussi présente dans des paroisses plus traditionnelles (cathédrales, city churches). Les « Fresh expressions » restent en lien avec les paroisses traditionnelles. Depuis 2005, environ 2’000 nouvelles expressions sont nées dans la CoE (env. 50 par diocèse). Elles constituent le 10% des personnes qui fréquentent l’Eglise. La progression se poursuit entre 2004-2012. On distingue, en particulier, d’importants taux de croissance (250%) dans de petites équipes pionnières (3-12 personnes). Les « Fresh Expression » sont, en moyenne constituées : de 25% de fidèles, de 35% de sympathisants distancés et de 40% de néophytes complets. La recherche s’intéresse aux huit facteurs de croissance.
Quelques éléments autour du contexte français
Le contexte français, très différent. En particulier la notion d’Eglises issues de la migration.
Quelques défis :
- Changer de logique pour devenir une Eglise missionelle. EPUF – Eglise de témoins – il faut tout revoir par la perspective de l’évangélisation. Trouver notre place dans la mission de Dieu. Mourir à une certaine identité (une identité d’opposition – contre les catholiques, les évangéliques). Quitter l’idée de la maîtrise complète.
- Replacer l’évangélisation au cœur d’une dynamique communautaire.
- Avancer à plusieurs vitesses – pas de compétition, mais forces d’innovation.
- Développer une créativité tournée vers l’extérieur (double écoute)
- Soigner la formation de leaders et de laïcs. (notion de « mission shaped ministry » – ministère orienté sur la mission). Il s’agit de mettre en place une perspective dynamique et non pas statique.