Les Églises réformées romandes investissent dans une formation à l’innovation. Son but : apprendre à rejoindre plus largement en ciblant mieux les activités et les publics. Zoom sur cette nouvelle initiative qui a conquis une trentaine de participants.
En juin 2021,une nouvelle formation à l’innovation pour des professionnels des Églises réformées romandes voit le jour. Son centre d’attention se porte sur les familles : « Nous voulons réinventer notre offre avec des familles distancées ou absentes de notre Église afin de créer du lien communautaire et spirituel » rapporte Sophie Wahli-Raccaud, pasteur et co-responsable de la formation continue à l’Office protestant de la formation. La mélodie est posée, maintenant il faut danser.
Rencontrer l’inconnu
Savoir se rapprocher et aborder de nouveaux publics qui ne font pas partie du cheptel des fidèles habituels. Voilà le défi relevé par la première volée de la formation à l’innovation qui a touché différentes catégories de professionnels en Église. «Le but principal est d’inventer de nouvelles formes de services pour se rapprocher des publics qui font rarement ou jamais appel aux services ecclésiaux», explique Valérie Bauwens, formatrice et intervenante principale du projet.
Créativité dirigée
Pour Sophie Wahli-Raccaud la créativité est une compétence innée qui demande à être stimulée et investie dans des projets professionnels. La formation s’organise autour d’approches bien connues du monde de l’innovation en ingénierie : le Design Thinking et la théorie U. Venus tout droit des universités américaines, ces deux outils structurent le processus de créativité. Leurs atouts : aboutir à l’émergence d’une nouveauté en phase avec les besoins réels du public cible. «Cette méthode permet d’innover sans tomber à côté», explique Valérie Bauwens. Et d’enchaîner : «Une innovation réussie est désirable pour les gens qu’elle concerne parce qu’elle répond à un réel besoin.» Pour Anne Rochat, animatrice d’Église et participante : «La formation me permet de structurer des choses que je percevais intuitivement. Elle me donne une méthode, un fil conducteur pour innover.»
Tout voyage commence par un premier pas
Mais alors, c’est quoi un projet «innovant» ? Pour Valérie Bauwens pas besoin de s’appeler Steve Jobs pour oser créer : «Le chemin parcouru durant le processus créatif est tout aussi important que les idées issues de la démarche. On ne s’intéresse pas tout de suite au résultat.» Donc l’innovation s’apprend. Une étape-clé est de regarder sa situation avec d’autres points de vue. La participante Anne Rochat explique sa prise de conscience à la suite de cet exercice : «C’est indispensable de rencontrer la réalité de la personne qu’on veut rejoindre.» Pour l’animatrice, il ne suffit pas de deviner ce que l’autre pense ou aimerait. Il faut prendre le risque d’aller le lui demander. «Partir à la recherche d’expériences et de faits, plutôt que des idées ou des opinions, c’est vraiment la base pour innover correctement.»
Les participants ressortent riches de ces entretiens. Anne Rochat d’ajouter: «Se présenter en enquêteurs et non en « prêcheurs » change beaucoup la relation. Nous sommes centrés sur la réalité de l’autre et pas sur le souci de transmettre quelque chose. Les gens se sentent écoutés et parlent plus volontiers.»
Créer pour rejoindre
A partir des besoins collectés avec les entretiens, les participants élaborent, en groupe, des prototypes pour rencontrer les personnes distancées. Pour donner la direction à l’élan créatif, ces prototypes sont construits sur la base d’une vision et d’un objectif concret. Neuf prototypes sont actuellement testés en Romandie. Par exemple, un groupe imagine ouvrir les portes de l’église lors d’un jour du marché et en faire un lieu d’accueil et de rencontre pour tous. «La vision et l’objectif de ce prototype est qu’à travers l’échange on peut vivre l’évangile en allant voir l’autre, le rencontrer sans même parler de religion», détaille Valérie Bauwens. D’autres participants ont choisi de faire un Géocaching (chasse au trésor) aux abords de lieux potentiellement symboliques, comme des ponts. «Une famille peut donc aller d’une cache à l’autre et trouver question anodine ou fondamentale sur l’existence. Chacun a la liberté de creuser.»
Sortir de l’ombre
Pour Sophie Wahli-Raccaud, «ces prototypes permettent de rencontrer et d’élargir les échanges à des familles distancées.» Et d’ajouter que ces activités de rencontre partagent implicitement des valeurs d’Évangile mais disent explicitement qu’elles sont organisées par l’Église. «Ce sont des projets actuels et pertinents pour le grand public qui rafraîchissent la perception de l’Église.» La participante Anne Rochat abonde : «Il y a une bonne dizaine d’années, j’ai réalisé qu’il fallait changer de méthode pour approcher le public des familles. Il ne suffit plus de communiquer notre programme et d’attendre que les gens viennent à nous, il faut aller les chercher là où ils sont. Parfois loin de nos cercles.»
Une formation exigeante
Innover demande un gros effort mental pour remettre en perspective les acquis et trouver d’autres manières de faire face aux difficultés à résoudre. «Nous nous sommes rendus compte que très peu de participants sont allé parler à des personnes sans lien avec l’Église. Entrer en contact avec ce type de public semblait être un vrai défi», constate Valérie Bauwens. Une autre difficulté est de s’autoriser à lâcher, à inventer quelque chose de nouveau hors du cahier des charges habituel. «Cela va de pair avec une démarche d’innovation. On balaie les anciennes habitudes rassurantes pour en construire d’autres, sans être sûr du résultat et de son acceptabilité par l’organisation actuelle. Cela demande beaucoup de courage», ajoute la formatrice.
Apprendre entre pairs
Le soutien d’un groupe de trente personnes permet d’évoluer sur le chemin de l’innovation, tout en luttant contre la solitude professionnelle. «Travailler en équipe a été une aide. Pour une fois, je n’avais pas l’impression de devoir tout faire toute seule», explique Anne Rochat. Et de continuer : «J’ai aimé que cette formation rassemble des collègues de tout le canton et au-delà. J’ai pu découvrir ce qui se fait ailleurs, dans des contextes parfois assez différents. J’ai élargi ma vision et agrandi mon réseau.»
Grandir dans sa pratique professionnelle
Ceux qui réussissent à sortir de leur zone de confort grandissent. «Peu à peu des participants osent formuler des envies de projet en trouvant une autre valeur ajoutée qu’ils apportent en tant que professionnel ecclésial», explique Valérie Bauwens. Pour la formatrice cela ne fait aucun doute, ces personnes évoluent dans leur posture. Elles se connectent à d’autres réalités et besoins. Résultat : elles intègrent une nouvelle dynamique professionnelle. Elles ont une autre vision de ce qu’elles font. Elles réfléchissent et osent réinventer leurs pratiques pour trouver une place renouvelée dans le paysage sociétal.
Une nouvelle formation à l’innovation est prévue pour 2023. Jetez-y un œil sur le site de l’Office protestant de formation !