En séjour au pays de Sa Majesté, l’occasion m’est donnée de rencontrer quelques chercheurs et experts en matière de statistiques et d’autres (parfois les mêmes) en matière de Church Growth, c’est à dire « Croissance d’Eglise ».
De nombreux chiffres indiquent que les Eglises progressent dans certaines régions et régressent dans d’autres. L’intérêt réside non pas dans les grandes généralités, mais dans les motifs explicatifs de ces évolutions. Bien entendu, les facteurs externes sont nombreux : réalités économiques ou flux migratoires qui infléchissent la géographie des populations. D’autres facteurs sont liés à la globalisation du christianisme, aux mouvements charismatiques et aux méga-églises. Des éléments internes jouent également un rôle. Plusieurs chercheurs et instituts se sont spécialisés dans l’analyse des données statistiques en vue de proposer aux ministres et aux laïcs des outils de travail. Le pragmatisme britannique est en action permanente. La formule magique du graal de la progression numérique hante les uns et fait sourire les autres.
Selon Peter Brierley, réputé comme l’un des meilleurs connaisseurs des statistiques du christianisme britannique, l’Eglise d’Angleterre est au centre de toutes les attentions. La ville de Londres en particulier. Elle cumule le privilège de rassembler une large proportion des pratiquants anglais mais surtout, la progression numérique de certains quartiers intrigue largement. A ses yeux, cette évolution démontre pour la première fois un infléchissement de la sécularisation. Mais cette proposition fait débat. Selon Steve Bruce de l’université d’Aberdeen (Ecosse) la sécularisation progresse encore. Le révérend David Goodhew s’inscrit en faux dans un débat qui agite les milieux spécialisés depuis 2013.
David Goodhew, à la tête du Centre for Church Growth Research, s’échine à promouvoir la progression du christianisme. Son institut, rattaché à l’Université de Durham, au nord de l’Angleterre s’efforce d’exploiter les résultats statistiques pour définir les causalités et élaborer des formations pour les personnes engagées dans les communautés. Dans ce processus, une mise en lumière théologique est un processus indispensable, ajoute le chercheur. Pour David Goodhew, les groupes évangéliques voire charismatiques ont le vent en poupe. Les statistiques londoniennes le confirment en ajoutant la notion d’église ethnique. Mais certains groupes « libéraux » enregistrent également des progressions. Ainsi, l’affluence dans les cathédrales du pays est-elle en forte augmentation et de nombreux programmes permettent aux touristes de passage d’assister à un service religieux ou de participer à une proposition spirituelle.
Bev Botting dirige le service des statistiques de l’Eglise anglicane d’Angleterre. Elle commente la récente recherche from anecdote to evidence publiée au début de l’année 2014. Nous avons tenté d’identifier les éléments qui entrent en corrélation avec les paroisses qui grandissent. Nous nous intéressons en particulier aux jeunes. L’évidence suggère que les Eglises qui grandissent ont davantage d’enfants et de jeunes. Nous avons découvert que la moitié des 60’000 Eglises du pays n’ont au maximum que 5 enfants qui participent régulièrement aux cultes. Et de toute évidence, les Eglises qui grandissent sont celles dont les enfants participent activement aux cultes. L’un des intervenants de la Conférence sur la croissance des Eglises londoniennes, le professeur émérite David Martin renchérit : je suis convaincu que le déclin des paroisses traditionnelles est moins lié aux personnes qui ont quitté la religion qu’à leur incapacité à socialiser les enfants.
Autre élément de progression : nous avons constaté que chaque personne engagée dans un mouvement pionnier a été capable de fidéliser 2,5 personnes nouvelles se réjouit Bev Botting. En filigrane, elle désigne les désormais fameuses Fresh Expressions of Church. Ces groupes ont émergé dès les années 70 explique George Lings, un autre sociologue engagé par un groupe indépendant, la « Church Army »., également expert dans ces nouvelles formes de communautés. Le phénomène alors marginal s’est très largement imposé comme l’Eglise montante dès 2004, à la publication d’un rapport sur l’Eglise d’Angleterre : mission-shaped church. Ce document, devenu un best-seller, a popularisé la notion de « Fresh Expression » et normalisé ainsi 15 types de groupes différents. Aujourd’hui ces églises sont estimées à 2’000, elles se déploient dans 20 formes canoniques. Certaines naissent et progressent, d’autres meurent. Environ un quart d’entre-elles enregistrent des progressions, précise Bev Botting. Quant on l’interroge sur les dérives de ces groupes très autonomes vis-à-vis de l’autorité ecclésiastique, George Ling se lance dans une nouvelle démonstration du pragmatisme flegmatique qui pétrit sa culture : « ces groupes ont un ADN commun qui permet à leurs membres de se sentir proche de l’Eglise Anglicane. Nous n’avons pas besoin de contrôle plus strict. Les groupes les plus marginaux s’éloignent d’eux-mêmes et les cas sont extrêmement rares ».
Influencées par cet élan de fraîcheur, certaines paroisses traditionnelles trouvent des forces pour soutenir de nouvelles implantations de Fresh Expressions. Et si Justin Welby, l’archevêque de Canterbury parle d’économie mixte, il faut constater que la cohabitation entre les différentes initiatives ne semble pas porter de préjudice. Un débat a néanmoins lieu autour de formes de concurrence entre groupes ou à propos de l’aspect éphémère de certains noyaux.
Pour poursuivre : Une édition de Hautes Fréquences, sur La Première, consacrée aux Fresh Expressions.