Ils sont légion, les sociologues et théologiens qui analysent le décrescendo du christianisme. Ils élaborent des thèses pour en déceler les mécanismes fins. Ils esquissent les contours précis d’une société qui a parqué le religieux en certains lieux. Parmi eux, l’historien et sociologue Marcel Gauchet a fait date, au milieu des années 1980, à la publication de son livre «le désenchantement du monde». De passage à l’Université de Genève à la fin du mois de septembre 2019, il a livré quelques éléments de sa lecture. En voici une appréciation critique.
D’emblée, Marcel Gauchet oriente son regard sur l’exception européenne et nord-américaine. Il y voit deux phénomènes concomitants et liés. La sortie du religieux et l’affaiblissement de la cellule familiale. Ces symptômes de l’individualisation radicale des sociétés s’inscrivent dans un processus plus vaste de globalisation décrit comme « occidentalisation culturelle et désoccidentalisation politique » de notre monde. L’historien et philosophe y voit là une explication de l’explosion des fondamentalismes religieux. Ils naissent en réaction à une domination de la culture occidentale qui balaie et déstructure les sociétés jadis marquées par le religieux et la famille.
De nombreux sociologues avaient décrit la sécularisation comme une disparition des éléments politiques du religieux. Le conférencier va plus loin. Il décrit le processus qui a conduit à la dissolution de l’idée même de sacralité (au sens de la capacité à se sacrifier). Désormais, l’économie est seule « garante de dynamisme collectif et d’une transformation future dont personne ne sait où elle va ». La religion qui était « la chose collective par excellence » devient « la chose individuelle par excellence ». Marcel Gauchet énumère alors quatre éléments dont la lente disparition témoigne de ce phénomène. Les institutions s’affaiblissent, les rites ne sont plus pratiqués ou compris, le langage symbolique s’évanouit et les communautés se délitent.
« Nous assistons à la dissolution du christianisme sociologique » ajoute le conférencier. Il ajoute : « la religion n’a pas disparu pour autant, elle est même appelée à revivre d’une autre façon ». Il décrit alors le glissement du religieux dans la sphère existentielle et intime. Le bricolage individuel, comme construction des croyances, induit pour lui l’émergence d’un nouveau continent dont il n’est possible de décrire que le périmètre. Marcel Gauchet termine son intervention en précisant que pour lui la condition humaine est d’ordre symbolique. Elle échappe aux seules réalités juridiques, politiques ou économiques. Et même si le langage des religions ne convient plus pour la décrire correctement, le domaine du spirituel est « tout ce que nos sociétés ignorent ou refoulent ». De ce point de vue, il se réjouit « des surprises de ce retour du refoulé ».
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Les impulsions du Labo Khi
Les multiples constats de la fin du religieux sont de nature à générer chez les croyants un sentiment de stress intense mêlé de culpabilité. Comment éviter de sombrer dans un fatalisme dépressif, un déni de réalité ou une spiritualisation excessive ou fondamentaliste ? L’enjeu est de rester lucide sur les chiffres tout en ouvrant des pistes nouvelles. Seul l’engagement et ses conséquences peuvent faire mentir les projections statistiques. L’essor du pentecôtisme en constitue une démonstration frappante. Peut-être s’agit-il précisément de profiter de la disparition de ce christianisme sociologique pour générer un vent de liberté et de créativité nouvelle, affranchi de tant de lourdeurs héritées, tout en restant fidèle à nos racines émancipatrices.