De 2018 à 2022, une vingtaine de jeunes de 16 à 24 ans partent aider des paysans suisses de montagne. Zoom et bilan d’un projet d’aide humanitaire locale original.
Tous les 4-5 ans, les « JP » (jeunes paroissiens) de la région Lausanne Epalinges mettent sur pied un projet d’entraide. Leur but : apporter leur force de travail pendant trois semaines. «En 2018, l’idée était de réaliser un projet humanitaire écologique sans partir à l’autre bout du monde», explique Lise Messerli, animatrice d’Eglise et encadrante du groupe de JP. Son collègue diacre, Yann Wolff, ajoute : « J’avais envie d’emmener nos jeunes aider des gens d’ici.» Après de longues recherches, le groupe et leurs ministres entrent en contact avec une exploitation bio en montagne. Ils mettent le cap sur le Pré-la-Patte au-dessus de Bienne.
Dépaysement local et écologique
L’engagement des JP pour cette action d’aide aux paysans de montagne est édifiant. Le projet rencontre un écho très fort chez les paroissiens qui n’hésitent pas à le soutenir généreusement. Le groupe décide de voyager à vélo dans une volonté de zéro émission. «Il y a une vision très forte chez ces jeunes d’être cohérents sur l’ensemble de la démarche», commente Lise Messerli, «bien que je les suive en conduisant un bus avec les bagages.» Après trois jours de vélo, le groupe arrive à la ferme et les travaux ne manquent pas. Eline André, une participante, raconte : «Il y a un travail non-stop à fournir. Tout dépend des cycles de la nature. Nous devions vite faire les foins en fin de journée à cause d’une annonce de pluie pour le lendemain.»
Yann Wolff quant à lui décrit : «Je suis profondément émerveillé de l’enthousiasme des JP à se mettre au service de ces paysans. Ils se sont levés tous les matins très tôt. Ils ont travaillé parfois sous la pluie et dans le froid. Ils se sont organisés pour vivre à vingt dans une maison au confort très rudimentaire. J’ai été impressionné par leur volonté d’adaptation.» Et Lise Messerli d’ajouter : «Les jeunes se sont rendu compte que d’aller à vélo jusqu’à Bienne puis de vivre au rythme d’un alpage dépaysait beaucoup, même si c’est proche de chez eux.»
Une aide exigeante mais abordable
JP et accompagnants s’affairent autour de quatre priorités : le travail quotidien à la ferme, les nécessité ponctuelles – comme le rangement intensif d’une grange – la mise en place de trois biotopes humides et murgiers (des abris à reptiles en hiver) pour aider à préserver la faune et du bûcheronnage pour le paysan et le propriétaire de la maison dans laquelle loge le groupe. « L’expérience est intéressante car l’argent est remplacé par le force de travail amenée », commente Yann Wolff. Enfin, une équipe de cuisine composée de quelques jeunes s’occupe de nourrir le groupe. «L’une des grandes forces de ce projet est qu’il fournit une aide concrète et de proximité sans que cela nous coûte trop cher (ndr : En 2018, le budget était d’environ 25’000.- pour vingt personnes) », souligne Lise Messerli. «Nous avons été mis en lien par Caritas Montagnards. Le projet s’est ensuite fait sans autre intermédiaire. Nous sommes partis rencontrer les personnes que nous avons contactées.» Ce qui n’est pas une évidence dans un tel projet. En général, des organismes (associations, ONG) font le lien et gèrent les relations entre les aidants et les aidés.
Protéger la nature et sa complexité
«Nous avons accompli un grand travail invisible comme retaper les clôtures des pâturages, enlever les pierres des champs pour que les vaches ne se blessent pas et débroussailler les orées de forêt de manière sélective», explique Yann Wolff. Les JP découvrent la complexité du vivant et les exigences de la protection de la nature. Eline André réalise : «L’équilibre naturel est précaire. Chaque petit geste entraîne une conséquence. On ne peut pas y aller sans réfléchir. Des spécialistes et la famille paysanne nous ont permis de comprendre bien des choses avec la mise en place des zones humides.» Et le diacre de s’interroger:«Être chrétien en se mettant au service de la nature, de la création, qu’est-ce que cela veut dire face à une nature parfois très hostile?»
Le choc des réalités, créer des ponts
Ce projet permet à des mondes qui se rencontrent peu de communiquer. «Des citadins se rapprochent et dialoguent avec des paysans de montagne. Les premiers s’initient au travail des seconds.. Pour beaucoup de JP c’est un choc de découvrir une réalité de vie diamétralement opposée à la leur dans leur propre pays.» explique Lise Messerli. Et son collègue d’ajouter : «Cette expérience décloisonne la perception de la société suisse de ces jeunes. Ils comprennent qu’il y a des réalités beaucoup plus exigeantes qui demandent un engagement et dévouement total. En la vivant, ils apprennent à conscientiser les travaux de l’ombre si essentiels au bon fonctionnement de nos équilibres.»
Se transformer et évoluer
Forte de son succès, l’initiative de 2018 est reconduite trois printemps jusqu’en 2022. Eline André souligne : «Dans notre société du tout tout de suite, ce projet permet de se rendre compte d’un processus. Le travail à la ferme et les trajets à vélo nous ont permis d’expérimenter des mouvements où la satisfaction ne vient pas sur le moment. Je trouve cela très gratifiant. On a voyagé à la force de nos jambes.» Inutile donc d’aller à l’autre bout de la terre pour vivre une expérience édifiante et riche d’enseignements. «Ces jeunes découvrent un monde, je le vois dans leur regard. Ils pensent que c’est partout la même chose dans leur pays et se rendent compte que ce n’est pas le cas, conclut le diacre Yann Wolff, ce qui m’émerveille c’est qu’ils y sont allés au culot. Certains craignaient les chevaux, d’autres pensaient qu’un râteau était un peigne. Certains avaient des vélos d’enfants. Tous ont évolué et sont redescendus de l’alpage différents et grandis.»