Réinventer la Bible, à l’africaine

Cette année, le théologien et chercheur ghanéen Joseph Kwadwo Asuming va proposer plusieurs ateliers en Suisse francophone. Son but ? Apprendre à réancrer la Bible dans le vécu et le contexte local de chacun en s’inspirant des pratiques des Akans du Ghana. Interview.

Quels sont les objectifs de ces interventions ?

Le but est de faire découvrir une pratique chrétienne africaine que l’on retrouve chez mon peuple, les Akans, et que j’étudie dans le cadre d’un projet de recherche : la Bible Orale. Celle-ci consiste à recomposer à l’oral les textes bibliques en les contextualisant avec des éléments venant des traditions et de la vie locales. Cette tradition, d’après les personnes qui la perpétuent, permet de se sentir plus proche des auteurs bibliques considérés comme des conteurs qui ancraient ce qu’ils comprenaient de Dieu dans leur contexte local. Les ateliers présenteront la Bible Orale telle qu’on la trouve au Ghana, puis les participants s’essayeront à adapter la pratique et à créer eux-mêmes leur propre Bible Orale. J’espère générer des moments de partage et d’interculturalité créative autour d’un de mes sujets de recherche académique.

Que peut apporter le christianisme ghanéen à l’Europe ?

J’aime rappeler une phrase du théologien Thomas Oden : « depuis le début du christianisme, les Africains ont été très impliqués ». Longtemps la seule forme légitime du christianisme en Afrique étaient le modèle des pratiques européennes : tout ce qui venait d’Afrique était suspect. Aujourd’hui, nous revalorisons les pratiques chrétiennes développées en Afrique. C’est tout un patrimoine à redécouvrir et à partager avec l’Europe ! Pour prendre l’exemple de l’œcuménisme que j’étudie beaucoup dans ma thèse : là d’où je viens, il existe une liberté ecclésiale. Chacun, dans sa quête personnelle, peut se rendre dans des églises de différentes dénominations, sans que cela choque, crée de l’animosité ou de la suspicion. C’est une démarche appréciée et encouragée. Je pense que l’Europe a fort à gagner, en voyant ce qui se pratique ailleurs, et à s’en inspirer. L’intérêt est là. Des communautés travaillant dans des contextes interculturels, comme Témoigner Ensemble à Genève ou la Conférence des Eglises Francophones en Suisse Alémanique, ont tout de suite manifesté leur intérêt pour m’inviter.

D’où vient votre intérêt pour la théologie ?

C’est une vocation. Dès mes 6 ou 7 ans, je cherchais le sens théologique de tout ce qui m’entourait : la lumière, la lune, les montagnes… A cette époque, je commençais à peine à fréquenter l’école du dimanche et déjà ces questions m’habitaient. Ma « conscience de Dieu » s’est éveillée très tôt, et n’a fait que se renforcer dans le temps. Lorsque j’assistais aux cultes baptistes de mon enfance, je sentais vraiment la « réalité ultime » au fond de moi.

De là, la voie était tracée pour des études universitaires ?

Je suis fils de fermiers de la région de Kumasi : il y a eu du chemin de mon village jusqu’à l’université d’Accra, la capitale. J’ai eu la chance de pouvoir rentrer au lycée où j’ai rapidement rejoint une « scripture union » : c’est une forme d’association étudiante œcuménique que l’on rencontre beaucoup au Ghana. Dès lors, il y a eu une vraie énergie collective. On m’a nommé secrétaire de l’association, puis on m’a poussé à être chapelain du lycée. Pour moi c’était trop de responsabilités, je n’en voulais pas ! Mais les responsables ont laissé le poste vacant jusqu’à ce que finalement j’accepte. Lorsque j’ai été sélectionné pour faire partie des 4 étudiants de mon lycée qui iraient à l’université, mes professeurs m’ont inscrit en bachelor d’études religieuses sans même me consulter. Moi, à l’époque, je voulais faire du droit. Aujourd’hui, je vois cela comme faisant partie de mon destin. Je n’ai jamais regretté d’avoir entrepris ces études. Je suis maintenant en doctorat et en Europe grâce à une bourse Erasmus.

Informations complémentaires (en anglais) : https://ecclesiasticalhistorysociety.com/endorsed-projects

L’école des rites : le laboratoire cultuel belge s’ouvre aux Romands

Au sein du Prieuré de Malèves-Sainte-Marie en pays Wallon, l’Ecole des rites et de la célébration a ouvert en 2020. Sa mission: faire découvrir et même inventer de nouveaux rites à ses étudiants . Victime de son succès, le projet s’exporte en Suisse romande, à Morges et Crêt-Bérard. La pasteure Marie Cenec, porteuse du projet en Romandie nous en dit plus sur ce nouvel organe de formation rituel.

Dans un monde où les formations ecclésiales peinent à trouver des participants, L’Ecole des rites et de la célébration rencontre un succès grandissant. Son QG : Le Prieuré. Un lieu dédié à la culture et l’œcuménisme dans le Brabant wallon. Les futurs célébrants viennent s’y former depuis 2020, peu importe leurs confessions.

Des acteurs forts, un esprit ouvert

Pour Marie Cenec, Gabriel Ringlet est le pilier du projet. Ecrivain, poète et théologien catholique, il est connu pour ses positions ouvertes sur des questions comme l’ordination des femmes, le mariage des prêtres ou l’islam. Toute son action est tournée vers le dialogue. « L’Ecole des rites s’inscrit dans une perspective catholique, mais avec un grand esprit d’ouverture. Notre équipe est constituée d’un prêtre, d’une pasteure, et d’une célébrante laïque » précise la pasteure, « cela fait partie de ce qu’on appelle l’esprit Prieuré : l’ouverture culturelle et la sensibilité poétique sont au cœur de notre démarche ». 

Deux jours pour s’émanciper

Cette formation courte est fréquentée par des personnes d’horizons très différents: « nous avons de tout, des curieux aux professionnels du soin en passant par des grands-parents souhaitant mettre en place des rites pour leurs petits-enfants ». Le programme alterne sur deux jours des rencontres avec des professionnels, des discussions et des ateliers. Le but: amener les participants vers l’élaboration de leur propre rite personnalisé. « Via notre accompagnement, nous formons les futurs célébrants à être autonomes dans leur processus de mise en place des rites ».

Expérimenter par-delà les confessions…

Marie Cenec évoque de nombreux projets à suivre pour cette École des rites: une master class dédiée à la liturgie, un module de rites thérapeutiques et de grandes étapes de la vie. « Nous avons des pistes que nous aimerions explorer », ajoute Marie Cenec, « les menstruations, la ménopause, l’entrée et la sortie d’équipe. Ce sont des cycles et des moments de passages où la cadrage rituel prendrait tout son sens ». Ces considérations ne sont pas sans rappeler celles d’Espoir Adadzi, autre expérimentateur cultuel romand.

Et les frontières…

L’École s’exporte à Paris et en Romandie: « Nous avions des Français et des Romands qui faisaient le déplacement jusqu’en Belgique pour suivre nos formations, maintenant, nous venons à eux ». Le succès est au rendez-vous. Toutes les places ont été réservées pour les trois dates. L’équipe prévoit de proposer d’autres formations hors-les-murs à l’avenir.

Fière du bouillonnement intellectuel de son école et de l’engouement suscité, Marie Cenec conclut sur sa perspective de l’œcuménisme : « pour moi, l’œcuménisme est un  laboratoire où l’exploration est permise. Cela encourage  à élaborer des formes et des pratiques nouvelles et vivantes ».

Les prochaines sessions seront affichées sur le site de l’Office protestant de formation : https://www.protestant-formation.ch/

Un pont théologique entre les cultures

Depuis 2021, l’Institut œcuménique de Bossey accueille un cours de théologie interculturelle unique en Suisse et ouvert à tous. Rencontre avec Nicolas Monnier, un des instigateurs de la formation.

L’interculturalité, un nouveau sujet pour de nouveaux enjeux

Nicolas Monnier est directeur de DM, successeur du Département Missionnaires des Eglises de Suisse Romande. Avec son équipe, il est un des moteurs romands de la réflexion sur l’interculturalité en Église et l’un des instigateurs du cours de théologie interculturelle donné à l’Institut œcuménique de Bossey, issu d’une réflexion entamée en 2017 : « À DM, la conscience de l’importance de l’interculturalité nous est venue il y a plusieurs années, explique-t-il, lorsque nous nous sommes rendus compte de l’existence de centaines d’Églises issues de la migration sur le territoire suisse, dont certaines étaient même des antennes de communautés que nous aidions dans leurs pays d’origine ». Dès lors pour Nicolas Monnier et ses collègues, une réflexion s’est entamée sur la manière dont DM pourrait aller plus loin que l’action sur le terrain, et œuvrer également en Suisse auprès de ces nouvelles Églises. « Une des valeurs clefs de DM, c’est la réciprocité – il n’y a pas un qui donne et un qui reçoit, mais un échange continuel : on part du postulat que l’autre peut aussi nous donner quelque chose, même si l’on ne peut pas toujours définir initialement ce que ce sera. Dans cet esprit, nous nous sommes dit que nous devions également convier des gens venant des Églises du Sud à nos réflexions en Suisse. Depuis 2017, nous avons multiplié les collaborations de ce type. »

Un besoin d’apprendre

« L’idée d’une formation en interculturalité dans la région est devenue une évidence lorsque nous nous sommes rendus compte qu’en francophonie, il n’existait tout simplement rien de semblable. Nous avons rapidement pu trouver une série de partenaires : l’Institut œcuménique de Bossey bien sûr, mais aussi OPF, TEAG, IPT, Cevaa et Defap, tous ayant fait le même constat que nous. Ensemble, nous avons pu mettre en place ce cours, qui est donné depuis maintenant 3 ans. Cela peut être parfois un challenge de motiver les gens à participer. Beaucoup n’ont souvent jamais entendu parler d’interculturalité auparavant. Pourtant, qu’on soit un membre d’une Église de la migration qui vient d’arriver en Suisse, ou quelqu’un originaire d’ici qui voit le paysage ecclésial changer, l’interculturalité est capitale. Une éducation à la rencontre, à l’échange et au dialogue devient de plus en plus incontournable aujourd’hui en Église. »

Un cours polyphonique

A chacun des 8 modules, ce sont deux intervenants différents qui s’expriment tour à tour, l’un du Nord, l’autre du Sud, devant une quinzaine d’étudiants, de tous âges et de toutes origines. « On essaie de trouver un équilibre » nous dit Espoir Adadzi, pasteur d’origine togolaise et intervenant du cours « nous voulons que des gens de toutes origines et de tout niveau de formation puissent participer et y trouver leur compte ». Pour cela, le partage d’expériences est mis au centre de la formation – ainsi chacun peut apporter au dialogue des informations de son propre bagage culturel. S’en dégage un climat d’authenticité unique, loin de l’ambiance des cours magistraux classiques. En alternant louanges, exposés et ateliers de discussion, la stimulation intellectuelle et le partage sont au rendez-vous.

Une formation diplômante à l’avenir

Aujourd’hui, Nicolas Monnier et ses collègues cherchent à faire évoluer le cours vers un CAS (Certificate of Advanced Studies), permettant une meilleure reconnaissance de la formation. Pour lui, c’est l’Église Vaudoise du Piémont et son master en Théologie Interculturelle qui montrent la voie à la francophonie : « Les facultés de théologie suisses et françaises ne se sont pas encore réellement saisies de la question de l’interculturalité – qui est pourtant tellement actuelle à l’heure du christianisme mondial. En mettant en place une formation certifiante, équivalente à une formation universitaire, nous voulons montrer qu’il s’agit bien là d’un champ de compétence à part entière. Pour nous, ce serait un pas de plus dans la bonne direction ». Les inscriptions pour l’année 2024-2025 sont ouvertes.

« L’interculturalité en Église, ça se construit sur 25 ans », Interview avec Espoir Adadzi

Espoir Adadzi, le pasteur togolais dont le livre « L’interculturalité en Église » a fortement impacté la réflexion ecclésiale romande en 2021, prépare aujourd’hui un second livre sur la question. Il nous a accordé une interview pour parler de ce sujet au cœur des changements de notre temps.

Espoir, votre livre est introuvable en librairie, est-ce bon ou mauvais signe ?

« C’est le tout dernier que je tiens ici, il est en rupture de stock, mais de nouveaux devraient arriver bientôt » indique Espoir Adadzi en sortant son livre de sa sacoche, alors que nous nous installons à la table. Arrivé en 2017 du Togo sur demande de l’Église protestante de Genève, Espoir Adadzi est très vite devenu une figure incontournable dans le paysage ecclésial genevois de par sa proactivité et son regard neuf. « L’interculturalité en Église », un condensé des réflexions qu’il a eues depuis son arrivée en Suisse, a su communiquer l’énergie de son auteur à plusieurs communautés de la région : « ça a créé des remises en question, nous dit Espoir, depuis la publication, je reçois des messages de paroisses, romandes comme suisses-allemandes, qui veulent faire cette expérience du vivre ensemble dont je parle. Il y a un réel engouement ». Depuis la publication, Espoir est devenu le ministre en charge de Témoigner Ensemble à Genève (TEAG), une plateforme regroupant plus de 70 Églises issues de la migration dans la ville, à la paroisse d’Onex.

L’interculturalité, c’est donc pour vous le grand sujet d’avenir en Église ?

« L’interculturalité va devenir un enjeu de plus en plus central. Et cela ne concerne pas que les relations Nord-Sud : en Afrique, cela doit également être mis en place, car là-bas aussi les mouvements de population créent des communautés mixtes qui doivent créer du vivre-ensemble. Ainsi, c’est un sujet que nous devons traiter tous ensemble, et où toutes les voies doivent être prises en compte – même celles qui nous déplaisent de prime abord. En cela, l’interculturalité a beaucoup de lien avec l’œcuménisme. Et nous ne faisons pas ça que pour nous : une dimension à prendre en compte est que l’interculturalité se construit également dans l’intergénérationalité. J’ai l’habitude de dire qu’en Église, l’interculturalité, ça se construit sur 25 ans. Ce n’est que lorsque l’on peut voir la nouvelle génération, celle qui a grandi dans ce climat de dialogue, et en regardant sa capacité à évoluer dans les mondes qui l’entourent, que nous pouvons vraiment juger de la qualité de nos actions. L’interculturalité, cela touche ainsi à toutes les transversales de l’Église ».

Au Nord comme au Sud, pour vous, les cultures doivent elle s’adapter à la Bible ou est-ce l’inverse ?

« Je ne pense pas que l’enjeu est de savoir qui de la Bible ou de la culture locale doit avoir le dessus. Ce qui compte, c’est la modalité que l’on choisit pour établir le dialogue. Pour moi, la bienveillance, combinée au respect et à la patience, est la clef. C’est à partir de ces bases que l’on doit procéder au cas par cas, sans tomber dans des logiques de dominations, ou la poursuite d’idées figées. Ce que j’ai découvert dans mon parcours, c’est qu’avant même de parler de la Bible, de son interprétation ou de toute autre chose, c’est qu’il faut poser un cadre : celui du bon sens. C’est si trivial que l’on tend à l’oublier, mais il faut pourtant en faire le principe de toute démarche. »

Dans la seconde partie de votre livre, vous présentez plusieurs pistes de nouvelles célébrations, pour les départs à la retraite, ou encore les sorties de prisons. D’où vous viennent ces idées et où en sont-elles ?

« Ces nouvelles propositions sont à la fois inspirées de ce qu’on peut voir dans certaines Églises du Sud, et des besoins que je constate sur le terrain. L’objectif, c’est d’épouser le quotidien des gens d’aujourd’hui dans leurs diversités, voir ce qu’ils vivent et ce dont ils ont besoin. Pour ma part, je cherche à mettre en place une Eglise qui accompagne la vie. Et cela passe par des innovations. Pour l’instant, la plupart de ces célébrations sont effectuées pour des petits groupes, sur demande, mais c’est la première pierre pour aller plus loin, et les retours sont d’ailleurs très positifs. Les Églises ont tout intérêt à diversifier leurs offres. »

Vous êtes en train d’écrire un deuxième livre, sur quoi va-t-il porter ?

« Il traitera également de l’interculturalité, j’ai envie qu’il soit une suite plus étoffée de celui qui est déjà paru, et qui était principalement basé sur mon expérience. Je veux notamment y parler plus longuement des défis d’avenir, et d’autres dimensions que je n’avais pas traitées. Je compte aussi développer encore de nouvelles pistes de célébrations. Il faut expérimenter et expérimenter encore – dans le dialogue ».

La Crypte

A deux pas du Temple de Nyon, quelques aventureux peuvent découvrir au bas d’un escalier une petite cave aménagée en lieu de rencontre. Activités variées pour un bar-atelier marqué d’un esprit d’accueil et de partage.

C’est dans une cave, Rue du Prieuré, proche du Temple de Nyon, que se trouve la Crypte. Descendues les quelques marches, l’endroit est charmant. Je m’y rend seul ce soir-là, un peu peur de déranger. Je suis immédiatement accueilli par le pasteur Kevin Bonzon, grand sourire, qui m’invite à m’asseoir avec les autres et à prendre une boisson. Un bar sert quelques softs, mais offre surtout un large — et séduisant — choix de bières de toutes sortes. Quelques tables, quelques sièges, le tout éclairé et décoré de charmantes guirlandes. L’endroit est chaleureux, les échanges rapidement amicaux et enthousiastes. 

La Crypte est un espace de rencontre s’adressant principalement aux jeunes adultes. Au programme des différents événements : soirées karaoké, dégustations de whisky et discussions abordant diverses thématiques comme le bonheur, la mort, l’argent, le destin…

Les différentes personnes présentes sont de la région principalement. Certains sont des amis d’enfance, d’autres des couples mariés, d’autres encore des parents venus avec leurs jeunes enfants. « Liberté! Mais pour quoi ? » est le thème de la soirée à laquelle j’assiste. Nos échanges sont animés par Jacques-Etienne Deppierraz, pasteur depuis 2011 dans la paroisse du Cœur de la Côte.

Qu’est-ce qui nous empêche aujourd’hui d’être libres? Le travail? Les contraintes de la vie? Ne faudrait-il pas aussi se pencher sur des causes intérieures? Où se trouve la liberté devant un besoin à satisfaire? Céline, une participante partage ses questionnements quant à la liberté telle qu’on peut la vivre en couple. Est-ce être libre que d’attendre de l’autre ce que l’on souhaite vivre? Se reposer sur l’autre, subir ses désirs, ce n’est pas finalement laisser le pouvoir de sa liberté à autrui?

Le pasteur Deppierraz encourage les différents participants à poser un regard vrai  Les slogans se suivent et invitent à un approfondissement. Votre liberté viendra de la vérité. Il importe de toujours partir de soi. Faire à l’autre ce que l’on souhaite pour soi-même. Donner, partager, donner du sens et non des récompenses. Partir du fond de soi-même. Et l’homme d’Église  finit par rappeler l’Exode en affirmant que la libération passe par l’entraide, la confiance et l’amour de l’autre. 

Si la dimension spirituelle et religieuse est présente en filigrane, la Crypte incarne l’essence même d’un lieu d’échange et de partage. Chaque visiteur y devient un maillon essentiel d’une chaîne d’échanges, contribuant à l’enrichissement mutuel et à l’épanouissement collectif. Avis aux esprits curieux et aux cœurs ouverts. 

La page dédiée à la Crypte du site de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), ainsi que les pages Facebook et Instagram publient le programme

Trois communautés pour un culte

Depuis quelques mois à la Paroisse de Bellevaux – Saint-Luc, le diacre Jules Neyrand célèbre des cultes en commun avec des réformés suisses, des réformés camerounais, et des érythréens pentecôtistes. Coup d’œil sur ces cultes mixtes dit « mosaïques ».

Un vrai « tous ensemble »

Depuis quelques mois, la Paroisse réformée de Bellevaux – Saint-Luc propose, trois dimanches par mois, des célébrations  « mosaïques ». Celles-ci réunissent les membres historiques de la paroisse, mais aussi la communauté réformée camerounaise locale et la communauté érythréenne pentecôtiste de Lausanne. Jules Neyrand, diacre nouvellement arrivé dans la paroisse, est le moteur et le principal célébrant de ces temps de spiritualité. Lui et les pasteurs des deux communautés africaines mettent les traditions de chacun sur un pied d’égalité dans un esprit de dialogue.

L’histoire d’un rapprochement

« Tout est parti d’une étude de terrain quand je suis arrivé en poste à la paroisse » explique le diacre. « J’ai vu qu’il y avait deux communautés d’origines africaines qui étaient des forces vives dans le quartier. Notre paroisse leur prêtait les locaux le week-end, mais on se croisait sans vraiment se parler. Chacun avait beaucoup de clichés sur les autres ». Jules Neyrand a donc démarché les deux communautés, qui se sont montrées très enthousiastes à l’idée de collaborer. En basant le rapport sur la confiance, l’ouverture et l’égalité, l’idée d’un culte « mosaïque » a émergé. « Il s’agit d’un projet collectif, porté par toutes les communautés, pas seulement par moi », assure le professionnel avec énergie. Célébrés depuis 6 mois, ces temps partagés de spiritualité ont servi de tremplin à un rapprochement plus large. « Aujourd’hui, le Conseil de paroisse compte un représentant de chacun des deux groupes », explique avec fierté Jules Neyrand, heureux d’avoir contribué à bâtir un dialogue entre les communautés.

Les valeurs du culte mosaïque

« Une des lectures qui a le plus stimulé ma réflexion paroissiale est le livre sur l’Église interculturelle d’Espoir Adadzi, le pasteur genevois originaire du Togo », raconte encore le bouillonnant diacre. Il ne s’agit pas simplement de cohabiter mais de créer une véritable mosaïque de pratiques. «Il y a de très beaux éléments liturgiques de ces communautés que j’ai voulu mettre en avant et qui, je pense, peuvent être une réelle source d’inspiration pour d’autres» . Et de citer des gestes  de bénédiction en binôme ou des chants liturgiques d’origine africaine.

«Mettre en place ces cultes et y participer, c’est une vraie initiation au pluralisme religieux, pour les Suisses comme pour les autres». Dans ces cultes, l’idée est de mettre en avant la diversité des paroissiens, les invitant à prier et à chanter dans différentes langues. « Tout le monde doit se sentir un peu déplacé par la rencontre et le dialogue », affirme le diacre. « Une autre chose très belle que j’ai prise de ces communautés, c’est l’intergénérationnalité », ajoute-t-il. « Aux cultes mosaïques, on essaie de mettre en avant les enfants, petits et grands, et de les faire participer au maximum. Nous nous souhaitons inclusifs à plus d’un titre».

Des défis et des espoirs

Si le pari du rapprochement semble réussi, il existe encore des défis à relever. L’ambitieux diacre rêve de mettre les trois communautés sur un pied d’égalité. « Le problème que je rencontre n’est souvent pas tant le racisme qu’une forme de condescendance. C’est la principale chose à combattre dans notre effort de dialogue. Aujourd’hui, je suis toujours l’officiant principal , mais on œuvre pour que les choses changent, et pour laisser une place égale à chacun. Ce qui soulève parfois des résistances : la barrière de la langue est parfois aussi un obstacle, surtout pour la communauté érythréenne.  Je milite pour que la paroisse se fasse appeler ‘paroisse mosaïque’ au lieu de simplement ‘paroisse réformée’, afin de pleinement embrasser notre nouvelle identité et ce nouveau dynamisme venant de la rencontre. Mais il y a encore du chemin à parcourir avant que tout le monde saisisse l’enjeu de cette démarche » confie le jeune ministre, déterminé mais pragmatique. S’il n’y a pas encore eu de projet analogue dans d’autres paroisses du Canton de Vaud, Jules Neyrand assure que de plus en plus de personnes se disent séduites par la proposition et envisagent de suivre l’exemple.

Ce vent de fraîcheur liturgique ne souffle pas que sur les membres des trois communautés : « La semaine dernière, nous avons eu notre premier nouveau venu au culte grâce aux réseaux sociaux : il a vu nos cultes sur notre compte Instagram et est venu célébrer avec nous. C’est une victoire pour notre équipe, qui travaille depuis plusieurs mois sur l’identité digitale de la paroisse et de nos cultes particuliers. On espère que ce nouveau participant sera le premier d’une longue série », conclut Jules Neyrand.

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Un espace pour élargir la paroisse

L’espace 4C de l’église de la Sallaz à Lausanne est un endroit pensé pour les projets de paroissiaux. En 2017, les bancs sont remplacés par de moelleux canapés à l’heure du culte. Aujourd’hui, labyrinthes méditatifs, expositions de photographies et soirées jeux s’y côtoient. Bilan de six années d’un espace de vie pas comme les autres.

La vision 4C associe les mots cultuel, chrétien, culturel et communautaire. « Nous avions besoin d’un outil de travail performant et innovant pour accueillir les paroissiens et leur famille lors  des cultes du dimanche, mais pas seulement ! » résume Emmanuel Schmied, diacre pour la région Sallaz-les Croisettes. Et de poursuivre : « L’église de la Sallaz était impersonnelle, sans âme. L’endroit était très peu utilisé en dehors des cultes. Nous voulions réinvestir le lieu différemment pour que la communauté s’y sentent bien et que des activités se développent en dehors des cultes dominicaux. » Un comité de pilotage – composé de ministres, laïques et une personne du conseil de paroisse –  4 mois de travail en 2017 et une réunion d’assemblée de paroisse plus tard, le projet « espace 4C » est lancé. 

Cultuel et communautaire

Emmanuel Schmied explique le sens du mot cultuel: « c’est important de se centrer sur les cultes. Ils rassemblent une communauté stable qui fait vivre l’Église. » Une part est donc réservée à l’aspect communautaire : « Nous voulions prendre soin des gens qui sont  là,  construire ce projet avec la communauté existante  ». Peu avant le premier culte 4C, le comité de pilotage demande aux paroissiens d’amener ce qu’ils n’utilisent plus pour meubler l’église, comme des canapés et des chaises. « La communauté a activement participé à l’aménagement de son église », se souvient le diacre.

Une attention particulière est réservée aux nouveaux venus.. Un groupe badgé « accueil » les guide dès leur arrivée en leur offrant à boire. Valérie Bronchi, membre du conseil de paroisse et du groupe de pilotage souligne : « On veille à créer une atmosphère conviviale pour ouvrir des espaces où la communauté peut se retrouver avant et après le culte avec des agapes. »  Des temps de prière personnels après le culte sont prévus pour les paroissiens.

Culturelle et chrétien

Outre les cultes avec canapés, l’église de la Sallaz désire accueillir  des expositions de peinture ou de photographie, des concerts, des pièces de théâtre ou des soirées de jeux de société.  « Nous voulons une offre culturelle qui permette de faire des liens avec la foi chrétienne » explique Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Ce n’est pas un centre de loisir. Notre ancrage chrétien est affirmé. » Quand le comité de pilotage 4C reçoit une nouvelle proposition, il examine les liens avec la spiritualité chrétienne. Par exemple, l’idée a été  évoquée d’un cours de dégustation de vin en lien avec sa place dans le récit biblique. 

Un brassage générationnel

Qui dit offre culturelle diversifiée dit aussi croisement générationnel. Certaines activités attirent un public paroissial différent des cultes du dimanche. « Les habitués viennent aux événement comme les terrasses estivales, le labyrinthe à Pâques », déclare Valérie Bronchi, « pour les soirées jeux, des gens du quartier et externes à la communauté sont présents. » Et son collègue diacre de renchérir : « J’aime dire que cet espace 4C constitue un carrefour, un lieu de croisement entre les générations qui se découvrent grâce à leurs intérêts communs. »

Se réapproprier son église

Emmanuel Schmied explique : « En développant le projet 4C, nous voulions disposer entièrement du lieu de la Sallaz. » En conséquence, les contrats de location fixe de la salle de paroisse sont rompus. « Même si nous perdons un peu d’argent, la liberté gagnée est très appréciable. Elle nourrit le projet en nous offrant un espace pour développer et personnaliser le lieu. » Auparavant, la salle devait être neutre car différentes communautés religieuses l’utilisaient. « Maintenant ce lieu n’est plus anonyme. Cela change tout. On peut faire de cet espace un vrai outil de travail. »

Temps et confiance

Valérie Bronchi, conseillère de paroisse, explique : « J’apprécie la confiance de la communauté pour développer et expérimenter des projets.  » Gourmand en ressources humaines, l’espace 4C offre aux bénévoles de participer selon leurs intérêts et dans un cadre limité dans le temps. Ceux qui réalisent les projets changent selon leurs affinités avec les activités créées. « Comme bénévole on peut s’impliquer en bonne complémentarité avec les professionnels ecclésiaux », souligne la conseillère de paroisse. Et son collègue diacre de continuer : « Dans ce projet 4C, je réalise l’importance d’avoir une communauté existante qui fonctionne, une paroisse qui a des habitudes. » Avoir la confiance d’un groupe stable offre un point de départ solide pour innover. « Il faut prendre soin de cette confiance pour continuer à faire de nouvelles choses. » déclare Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Les multiples projets 4C m’ont fait redécouvrir la notion du temps. C’est un facteur très important dans la réalisation de projets. Par moment j’avais envie de le presser. J’ai appris qu’en pressant le temps souvent on malmène quelque chose, que ce soit le projet ou quelqu’un. »

Au service de la stratégie paroissiale

L’espace 4C s’inscrit dans une stratégie paroissiale plus large : « C’est un modèle, un état d’esprit et une dynamique que l’on veut pour notre paroisse », affirme le professionnel. Les paroissiens ont adopté la vision ouverte du projet, Valérie Bronchi explique : « Cette perspective que nous avons développée dans le groupe de pilotage est devenue une vision pour la paroisse sur le modèle de « que voulons-nous pour notre Église et comment le voulons-nous ? » ». Complètement intégré, le projet 4C est devenu celui de la paroisse et de ses membres. « Il y a un renouveau dans la dynamique qui contribue à changer les habitudes des participants. Ils passent de consommateurs à consom’acteurs. » conclut la conseillère.

Pour en savoir plus sur l’espace 4C et ses activités, suivez le lien.

Va et découvre ton pays : un projet d’aide humanitaire en Suisse

De 2018 à 2022, une vingtaine de jeunes de 16 à 24 ans partent aider des paysans suisses de montagne. Zoom et bilan d’un projet d’aide humanitaire locale original.

Tous les 4-5 ans, les « JP » (jeunes paroissiens) de la région Lausanne Epalinges mettent sur pied un projet d’entraide. Leur but : apporter leur force de travail pendant trois semaines. «En 2018, l’idée était de réaliser un projet humanitaire écologique sans partir à l’autre bout du monde», explique Lise Messerli, animatrice d’Eglise et encadrante du groupe de JP. Son collègue diacre, Yann Wolff, ajoute : « J’avais envie d’emmener nos jeunes aider des gens d’ici.» Après de longues recherches, le groupe et leurs ministres entrent en contact avec une exploitation bio en montagne. Ils mettent le cap sur le Pré-la-Patte au-dessus de Bienne.

Dépaysement local et écologique

L’engagement des JP pour cette action d’aide aux paysans de montagne est édifiant. Le projet rencontre un écho très fort chez les paroissiens qui n’hésitent pas à le soutenir généreusement. Le groupe décide de voyager à vélo dans une volonté de zéro émission. «Il y a une vision très forte chez ces jeunes d’être cohérents sur l’ensemble de la démarche», commente Lise Messerli, «bien que je les suive en conduisant un bus avec les bagages.» Après trois jours de vélo, le groupe arrive à la ferme et les travaux ne manquent pas. Eline André, une participante, raconte : «Il y a un travail non-stop à fournir. Tout dépend des cycles de la nature. Nous devions vite faire les foins en fin de journée à cause d’une annonce de pluie pour le lendemain.»

Yann Wolff quant à lui décrit : «Je suis profondément émerveillé de l’enthousiasme des JP à se mettre au service de ces paysans. Ils se sont levés tous les matins très tôt. Ils ont travaillé parfois sous la pluie et dans le froid. Ils se sont organisés pour vivre à vingt dans une maison au confort très rudimentaire. J’ai été impressionné par leur volonté d’adaptation.» Et Lise Messerli d’ajouter : «Les jeunes se sont rendu compte que d’aller à vélo jusqu’à Bienne puis de vivre au rythme d’un alpage dépaysait beaucoup, même si c’est proche de chez eux.»

Une aide exigeante mais abordable

JP et accompagnants s’affairent autour de quatre priorités : le travail quotidien à la ferme, les nécessité ponctuelles – comme le rangement intensif d’une grange – la mise en place de trois biotopes humides et murgiers (des abris à reptiles en hiver) pour aider à préserver la faune et du bûcheronnage pour le paysan et le propriétaire de la maison dans laquelle loge le groupe. « L’expérience est intéressante car l’argent est remplacé par le force de travail amenée », commente Yann Wolff. Enfin, une équipe de cuisine composée de quelques jeunes s’occupe de nourrir le groupe. «L’une des grandes forces de ce projet est qu’il fournit une aide concrète et de proximité sans que cela nous coûte trop cher (ndr : En 2018, le budget était d’environ 25’000.- pour vingt personnes) », souligne Lise Messerli. «Nous avons été mis en lien par Caritas Montagnards. Le projet s’est ensuite fait sans autre intermédiaire. Nous sommes partis rencontrer les personnes que nous avons contactées.» Ce qui n’est pas une évidence dans un tel projet. En général, des organismes (associations, ONG) font le lien et gèrent les relations entre les aidants et les aidés.

Protéger la nature et sa complexité

«Nous avons accompli un grand travail invisible comme retaper les clôtures des pâturages, enlever les pierres des champs pour que les vaches ne se blessent pas et débroussailler les orées de forêt de manière sélective», explique Yann Wolff. Les JP découvrent la complexité du vivant et les exigences de la protection  de la nature. Eline André réalise : «L’équilibre naturel est précaire. Chaque petit geste entraîne une conséquence. On ne peut pas y aller sans réfléchir. Des spécialistes et la famille paysanne nous ont permis de comprendre bien des choses avec la mise en place des zones humides.» Et le diacre de s’interroger:«Être chrétien en se mettant au service de la nature, de la création, qu’est-ce que cela veut dire face à une nature parfois très hostile?» 

Le choc des réalités, créer des ponts

Ce projet permet à des mondes qui se rencontrent peu de communiquer. «Des citadins se rapprochent et dialoguent avec des paysans de montagne. Les premiers s’initient au travail des seconds.. Pour beaucoup de JP c’est un choc de découvrir une réalité de vie diamétralement opposée à la leur dans leur propre pays.» explique Lise Messerli. Et son collègue d’ajouter : «Cette expérience décloisonne la perception de la société suisse de ces jeunes. Ils comprennent qu’il y a des réalités beaucoup plus exigeantes qui demandent un engagement et dévouement total. En la vivant, ils apprennent à conscientiser les travaux de l’ombre si essentiels au bon fonctionnement de nos équilibres.»

Se transformer et évoluer

Forte de son succès, l’initiative de 2018 est reconduite trois printemps jusqu’en 2022. Eline André souligne : «Dans notre société du tout tout de suite, ce projet permet de se rendre compte d’un processus. Le travail à la ferme et les trajets à vélo nous ont permis d’expérimenter des mouvements où la satisfaction ne vient pas sur le moment. Je trouve cela très gratifiant. On a voyagé à la force de nos jambes.» Inutile donc d’aller à l’autre bout de la terre pour vivre une expérience édifiante et riche d’enseignements. «Ces jeunes découvrent un monde, je le vois dans leur regard. Ils pensent que c’est partout la même chose dans leur pays et se rendent compte que ce n’est pas le cas, conclut le diacre Yann Wolff, ce qui m’émerveille c’est qu’ils y sont allés au culot. Certains craignaient les chevaux, d’autres pensaient qu’un râteau était un peigne. Certains avaient des vélos d’enfants. Tous ont évolué et sont redescendus de l’alpage différents et grandis.»

La bénédiction peut représenter cet instant où le banal, la passion ou l’amour sont valorisés, parce qu’ils sont ce qui fait le sens et ce qui permet l’échange.

La bénédiction : sacraliser le banal sans banaliser le sacré

Les Assises romandes de liturgie se sont tenues en novembre 2022 à l’Université de Lausanne autour du thème de la bénédiction et de la superstition. Retour sur toute une série d’innovations présentées et discutées.

L’épineuse question des nouvelles formes de bénédictions était au cœur de cette rencontre organisée par l’Office protestant de la formation et l’Institut lémanique de théologie pratique. Il s’agit d’interroger un difficile jeu d’équilibre. Celui auquel se confronte l’Église aujourd’hui, dans une perspective critique exigeante. Une pratique à la fois promesse du don de l’amour de Dieu d’un côté, mais sujette à quelques craintes. Celles de ne laisser voir qu’un geste d’utilité sous couvert de popularité, alimentant des demandes égoïstes voire superstitieuses. 

La veille, une rencontre consacrée aux expériences et aux pratiques d’accompagnement des personnes LGBTQI+ dans l’Église prenait place à l’UNIL. Cet événement, titré extravagantes bénédictions, a permis aux participants de repenser et imaginer le futur de l’innovation dans les rapports avec les traditions. Parmi les intervenantes et intervenants, on pouvait retrouver des chercheurs, des théologiens et même des drags queens théologiennes! L’auteur et artiste Ari Lee qui pratique l’accompagnement spirituel et le maquillage artistique était présent ce jour-là. On en trouve un reflet dans cet article.

Une matinée de découvertes

Durant toute la matinée, les participants et participantes ont pris part  à différents ateliers. Les sujets étaient aussi divers que fascinants : bénédictions d’animaux, des motards, spécificités de la bénédiction dans l’Église catholique, les déclinaisons de la bénédiction nuptiale, l’usage de la gestuelle dans les rites ou encore la bénédiction malagasy (ou malgache). L’après-midi a permis d’élargir l’échange autour des ateliers et des idées exprimées. La qualité des débats et la bienveillance des participants permettent d’exprimer des paroles sereines face à ces propositions d’innovations, sans feindre d’ignorer les enjeux contemporains auxquels l’Église est confrontée. Au moment de discuter des déclinaisons de la bénédiction nuptiale, la question du déclin de la pratique est rejetée pour souligner la diversité des attentes. « Ces nouvelles liturgies, inclusives et novatrices, se présentent moins comme des changements utiles faces aux individualités que comme de véritables offres créatives à l’intention de toute la communauté protestante » explique une participante, pour qui la créativité n’est rien de moins que le message de Dieu.

Se prévenir de la banalisation

La bénédiction des motards soulève un certain nombre de questions propres.. Comment inclure réellement les pratiques motorisées dans le projet d’une Église sensibilisée par l’écologie ? L’Église a-t-elle vocation à n’être qu’un hobby ou une partie de celui-ci ? N’y a-t-il pas un risque de banaliser la bénédiction elle-même? Animateur de cette thématique, le pasteur Guy Labarraque offre quelques pistes de réflexion : « L’église doit s’envisager aussi comme un espace de rencontre. Rien ne nous empêche de partir d’un facteur commun, ici le hobby de la moto, pour aller vers celle-ci ensuite. » La bénédiction n’est pas une pratique que l’on réserve aux objets de valeur. Au contraire, la bénédiction est une mise en valeur qui jamais ne dévalorise. « Un hobby, une passion, est beau parce qu’il donne sens à la vie. Dans le même temps, il nous permet, dans une communauté, d’entrer en contact et de parler à des personnes d’horizons tout autres que ceux qui peuvent être les nôtres » précise le pasteur.

Le précieux du quotidien

Dans le prolongement, la bénédiction des animaux apporte d’autres éléments. L’une des particularités du protestantisme est la crainte de faire du banal un sacré indu. Une superstition. Ces formes de bénédictions pour animaux se doivent d’être perçues, au contraire, comme des moments de foi qui viennent du quotidien. C’est une grâce inattendue où le précieux n’est jamais banalisé. La pasteure Françoise Surdez considère que « S’ouvrir à la réalité du lien qui unit une personne à son animal, un lien qui parcourt la Bible de la Genèse au livre de Job, c’est s’ouvrir plus, et donc mieux. »

Loin de n’être qu’un geste liturgique mécanique, la bénédiction peut représenter cet instant où le banal, la passion ou l’amour sont valorisés, parce qu’ils sont ce qui fait le sens et ce qui permet l’échange. C’est du quotidien, de la vie ordinaire, qu’émergent de nouveaux horizons pour la bénédiction. Leur faire une place c’est accueillir et toucher d’autres publics en renouvelant le sens d’une bénédiction plus englobante. 

Les sites respectifs de l’Office protestant de la formation et de l’Institut lémanique de théologie pratique vous permettront de vous tenir au courant des prochains évènements.

L’inclusivité en Eglise, ce n’est pas ce que l’on croit !

L’inclusivité est un terme que l’on tend à réduire à la question LGBTIQ+. Pourtant cette expression recèle  un potentiel plus large pour les communautés. C’est la conviction de la conseillère paroissiale Eloïse Miceli et du pasteur Nicolas Lüthi. Ils proposent des éléments pour comprendre la réflexion sur l’inclusivité des églises protestantes romandes.

«Limiter l’inclusivité en Eglise à la question LGBT, c’est passer à côté de toute la richesse du mot.» Affirme Eloïse Miceli, ex-conseillère paroissiale du LAB de Genève, que nous avons interviewée avec Nicolas Lüthi, également pasteur au LAB. « Le fait que l’on confonde souvent le LAB avec l’Antenne LGBT en dit long sur la tendance à limiter l’action en termes d’inclusivité du LAB à la question LGBT », ajoute le pasteur. L’Antenne LGBT est maintenant une structure indépendante du LAB de Genève, qui, d’après Eloïse Miceli et Nicolas Lüthi, n’a pas perdu en dynamisme par ce changement : « L’inclusivité, c’est également prendre en compte les questions d’âge, de genre, d’œcuménisme, d’interculturalité, de background religieux et de conditions sociales. Le LAB essaie d’œuvrer sur tous ces tableaux.»

Agir pour tous

Pour agir sur chacun de ces plans, le LAB a construit une offre adaptée, et mis en place des propositions nouvelles, plus horizontales. Plutôt que des prêches, des sessions de Godly Play sont proposées, avec des moments d’échange. Des groupes de parole se sont formés pour créer un cadre de confiance favorisant le dialogue. Le culte du dimanche s’est changé en « Sun Day », plus inclusif et chaleureux. « Pour mettre en place une activité participative en Eglise, le principe fondamental est d’admettre qu’on est tous capables d’avoir une parole juste, peu importe ses origines ou son parcours » commente Eloïse Miceli.

Les changements pour plus d’inclusivité se font autant sur la forme que sur le fond. Nicolas Lüthi, pasteur au LAB, s’inscrit dans la pratique du lieu qui consiste à chanter deux fois la prière traditionnelle du “Notre Père” en remplaçant par “Notre Mère” la seconde fois. Il n’hésite pas à affirmer: « je n’ai pas conscience de Dieu comme un ‘Père’, mais comme un ‘Parent’, et je précise que nous pardonnons à ceux et celles qui nous ont offensé.e.s ».

Les limites de l’inclusivité

L’inclusivité promue par le LAB n’est pas sans risque.Ses acteurs en sont conscients. « Lors des prises de parole , on a vu des personnes tenir des propos racistes, haineux, et éloignés du message de l’Evangile » nous dit Eloïse Miceli. Mais le danger se trouve ailleurs : « le vrai risque, c’est que les protestants ne se retrouvent pas dans le LAB car nous prenons nos distances avec les codes classiques. »

Des portes ouvertes sur l’avenir

Néanmoins, pour le pasteur et la conseillère, le LAB n’est pas un concurrent aux paroisses traditionnelles. Il essaie de toucher un autre public qui ne se rend pas aux cultes. De plus, les autres paroisses ne se montrent pas insensibles aux propositions du LAB. Le groupe de femmes encadré par le LAB va  être répliqué par d’autres paroisses en Suisse Romande. « Beaucoup de choses peuvent être mises en place pour l’Evangile. Le tout, c’est de ne pas rester les bras croisés », conclut Eloïse Miceli.

Photo : Rencontre au Lab durant la Grève des femmes 2022 – crédit : EPG/Anne Buloz

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