Trois communautés pour un culte

Depuis quelques mois à la Paroisse de Bellevaux – Saint-Luc, le diacre Jules Neyrand célèbre des cultes en commun avec des réformés suisses, des réformés camerounais, et des érythréens pentecôtistes. Coup d’œil sur ces cultes mixtes dit « mosaïques ».

Un vrai « tous ensemble »

Depuis quelques mois, la Paroisse réformée de Bellevaux – Saint-Luc propose, trois dimanches par mois, des célébrations  « mosaïques ». Celles-ci réunissent les membres historiques de la paroisse, mais aussi la communauté réformée camerounaise locale et la communauté érythréenne pentecôtiste de Lausanne. Jules Neyrand, diacre nouvellement arrivé dans la paroisse, est le moteur et le principal célébrant de ces temps de spiritualité. Lui et les pasteurs des deux communautés africaines mettent les traditions de chacun sur un pied d’égalité dans un esprit de dialogue.

L’histoire d’un rapprochement

« Tout est parti d’une étude de terrain quand je suis arrivé en poste à la paroisse » explique le diacre. « J’ai vu qu’il y avait deux communautés d’origines africaines qui étaient des forces vives dans le quartier. Notre paroisse leur prêtait les locaux le week-end, mais on se croisait sans vraiment se parler. Chacun avait beaucoup de clichés sur les autres ». Jules Neyrand a donc démarché les deux communautés, qui se sont montrées très enthousiastes à l’idée de collaborer. En basant le rapport sur la confiance, l’ouverture et l’égalité, l’idée d’un culte « mosaïque » a émergé. « Il s’agit d’un projet collectif, porté par toutes les communautés, pas seulement par moi », assure le professionnel avec énergie. Célébrés depuis 6 mois, ces temps partagés de spiritualité ont servi de tremplin à un rapprochement plus large. « Aujourd’hui, le Conseil de paroisse compte un représentant de chacun des deux groupes », explique avec fierté Jules Neyrand, heureux d’avoir contribué à bâtir un dialogue entre les communautés.

Les valeurs du culte mosaïque

« Une des lectures qui a le plus stimulé ma réflexion paroissiale est le livre sur l’Église interculturelle d’Espoir Adadzi, le pasteur genevois originaire du Togo », raconte encore le bouillonnant diacre. Il ne s’agit pas simplement de cohabiter mais de créer une véritable mosaïque de pratiques. «Il y a de très beaux éléments liturgiques de ces communautés que j’ai voulu mettre en avant et qui, je pense, peuvent être une réelle source d’inspiration pour d’autres» . Et de citer des gestes  de bénédiction en binôme ou des chants liturgiques d’origine africaine.

«Mettre en place ces cultes et y participer, c’est une vraie initiation au pluralisme religieux, pour les Suisses comme pour les autres». Dans ces cultes, l’idée est de mettre en avant la diversité des paroissiens, les invitant à prier et à chanter dans différentes langues. « Tout le monde doit se sentir un peu déplacé par la rencontre et le dialogue », affirme le diacre. « Une autre chose très belle que j’ai prise de ces communautés, c’est l’intergénérationnalité », ajoute-t-il. « Aux cultes mosaïques, on essaie de mettre en avant les enfants, petits et grands, et de les faire participer au maximum. Nous nous souhaitons inclusifs à plus d’un titre».

Des défis et des espoirs

Si le pari du rapprochement semble réussi, il existe encore des défis à relever. L’ambitieux diacre rêve de mettre les trois communautés sur un pied d’égalité. « Le problème que je rencontre n’est souvent pas tant le racisme qu’une forme de condescendance. C’est la principale chose à combattre dans notre effort de dialogue. Aujourd’hui, je suis toujours l’officiant principal , mais on œuvre pour que les choses changent, et pour laisser une place égale à chacun. Ce qui soulève parfois des résistances : la barrière de la langue est parfois aussi un obstacle, surtout pour la communauté érythréenne.  Je milite pour que la paroisse se fasse appeler ‘paroisse mosaïque’ au lieu de simplement ‘paroisse réformée’, afin de pleinement embrasser notre nouvelle identité et ce nouveau dynamisme venant de la rencontre. Mais il y a encore du chemin à parcourir avant que tout le monde saisisse l’enjeu de cette démarche » confie le jeune ministre, déterminé mais pragmatique. S’il n’y a pas encore eu de projet analogue dans d’autres paroisses du Canton de Vaud, Jules Neyrand assure que de plus en plus de personnes se disent séduites par la proposition et envisagent de suivre l’exemple.

Ce vent de fraîcheur liturgique ne souffle pas que sur les membres des trois communautés : « La semaine dernière, nous avons eu notre premier nouveau venu au culte grâce aux réseaux sociaux : il a vu nos cultes sur notre compte Instagram et est venu célébrer avec nous. C’est une victoire pour notre équipe, qui travaille depuis plusieurs mois sur l’identité digitale de la paroisse et de nos cultes particuliers. On espère que ce nouveau participant sera le premier d’une longue série », conclut Jules Neyrand.

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Un espace pour élargir la paroisse

L’espace 4C de l’église de la Sallaz à Lausanne est un endroit pensé pour les projets de paroissiaux. En 2017, les bancs sont remplacés par de moelleux canapés à l’heure du culte. Aujourd’hui, labyrinthes méditatifs, expositions de photographies et soirées jeux s’y côtoient. Bilan de six années d’un espace de vie pas comme les autres.

La vision 4C associe les mots cultuel, chrétien, culturel et communautaire. « Nous avions besoin d’un outil de travail performant et innovant pour accueillir les paroissiens et leur famille lors  des cultes du dimanche, mais pas seulement ! » résume Emmanuel Schmied, diacre pour la région Sallaz-les Croisettes. Et de poursuivre : « L’église de la Sallaz était impersonnelle, sans âme. L’endroit était très peu utilisé en dehors des cultes. Nous voulions réinvestir le lieu différemment pour que la communauté s’y sentent bien et que des activités se développent en dehors des cultes dominicaux. » Un comité de pilotage – composé de ministres, laïques et une personne du conseil de paroisse –  4 mois de travail en 2017 et une réunion d’assemblée de paroisse plus tard, le projet « espace 4C » est lancé. 

Cultuel et communautaire

Emmanuel Schmied explique le sens du mot cultuel: « c’est important de se centrer sur les cultes. Ils rassemblent une communauté stable qui fait vivre l’Église. » Une part est donc réservée à l’aspect communautaire : « Nous voulions prendre soin des gens qui sont  là,  construire ce projet avec la communauté existante  ». Peu avant le premier culte 4C, le comité de pilotage demande aux paroissiens d’amener ce qu’ils n’utilisent plus pour meubler l’église, comme des canapés et des chaises. « La communauté a activement participé à l’aménagement de son église », se souvient le diacre.

Une attention particulière est réservée aux nouveaux venus.. Un groupe badgé « accueil » les guide dès leur arrivée en leur offrant à boire. Valérie Bronchi, membre du conseil de paroisse et du groupe de pilotage souligne : « On veille à créer une atmosphère conviviale pour ouvrir des espaces où la communauté peut se retrouver avant et après le culte avec des agapes. »  Des temps de prière personnels après le culte sont prévus pour les paroissiens.

Culturelle et chrétien

Outre les cultes avec canapés, l’église de la Sallaz désire accueillir  des expositions de peinture ou de photographie, des concerts, des pièces de théâtre ou des soirées de jeux de société.  « Nous voulons une offre culturelle qui permette de faire des liens avec la foi chrétienne » explique Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Ce n’est pas un centre de loisir. Notre ancrage chrétien est affirmé. » Quand le comité de pilotage 4C reçoit une nouvelle proposition, il examine les liens avec la spiritualité chrétienne. Par exemple, l’idée a été  évoquée d’un cours de dégustation de vin en lien avec sa place dans le récit biblique. 

Un brassage générationnel

Qui dit offre culturelle diversifiée dit aussi croisement générationnel. Certaines activités attirent un public paroissial différent des cultes du dimanche. « Les habitués viennent aux événement comme les terrasses estivales, le labyrinthe à Pâques », déclare Valérie Bronchi, « pour les soirées jeux, des gens du quartier et externes à la communauté sont présents. » Et son collègue diacre de renchérir : « J’aime dire que cet espace 4C constitue un carrefour, un lieu de croisement entre les générations qui se découvrent grâce à leurs intérêts communs. »

Se réapproprier son église

Emmanuel Schmied explique : « En développant le projet 4C, nous voulions disposer entièrement du lieu de la Sallaz. » En conséquence, les contrats de location fixe de la salle de paroisse sont rompus. « Même si nous perdons un peu d’argent, la liberté gagnée est très appréciable. Elle nourrit le projet en nous offrant un espace pour développer et personnaliser le lieu. » Auparavant, la salle devait être neutre car différentes communautés religieuses l’utilisaient. « Maintenant ce lieu n’est plus anonyme. Cela change tout. On peut faire de cet espace un vrai outil de travail. »

Temps et confiance

Valérie Bronchi, conseillère de paroisse, explique : « J’apprécie la confiance de la communauté pour développer et expérimenter des projets.  » Gourmand en ressources humaines, l’espace 4C offre aux bénévoles de participer selon leurs intérêts et dans un cadre limité dans le temps. Ceux qui réalisent les projets changent selon leurs affinités avec les activités créées. « Comme bénévole on peut s’impliquer en bonne complémentarité avec les professionnels ecclésiaux », souligne la conseillère de paroisse. Et son collègue diacre de continuer : « Dans ce projet 4C, je réalise l’importance d’avoir une communauté existante qui fonctionne, une paroisse qui a des habitudes. » Avoir la confiance d’un groupe stable offre un point de départ solide pour innover. « Il faut prendre soin de cette confiance pour continuer à faire de nouvelles choses. » déclare Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Les multiples projets 4C m’ont fait redécouvrir la notion du temps. C’est un facteur très important dans la réalisation de projets. Par moment j’avais envie de le presser. J’ai appris qu’en pressant le temps souvent on malmène quelque chose, que ce soit le projet ou quelqu’un. »

Au service de la stratégie paroissiale

L’espace 4C s’inscrit dans une stratégie paroissiale plus large : « C’est un modèle, un état d’esprit et une dynamique que l’on veut pour notre paroisse », affirme le professionnel. Les paroissiens ont adopté la vision ouverte du projet, Valérie Bronchi explique : « Cette perspective que nous avons développée dans le groupe de pilotage est devenue une vision pour la paroisse sur le modèle de « que voulons-nous pour notre Église et comment le voulons-nous ? » ». Complètement intégré, le projet 4C est devenu celui de la paroisse et de ses membres. « Il y a un renouveau dans la dynamique qui contribue à changer les habitudes des participants. Ils passent de consommateurs à consom’acteurs. » conclut la conseillère.

Pour en savoir plus sur l’espace 4C et ses activités, suivez le lien.

Va et découvre ton pays : un projet d’aide humanitaire en Suisse

De 2018 à 2022, une vingtaine de jeunes de 16 à 24 ans partent aider des paysans suisses de montagne. Zoom et bilan d’un projet d’aide humanitaire locale original.

Tous les 4-5 ans, les « JP » (jeunes paroissiens) de la région Lausanne Epalinges mettent sur pied un projet d’entraide. Leur but : apporter leur force de travail pendant trois semaines. «En 2018, l’idée était de réaliser un projet humanitaire écologique sans partir à l’autre bout du monde», explique Lise Messerli, animatrice d’Eglise et encadrante du groupe de JP. Son collègue diacre, Yann Wolff, ajoute : « J’avais envie d’emmener nos jeunes aider des gens d’ici.» Après de longues recherches, le groupe et leurs ministres entrent en contact avec une exploitation bio en montagne. Ils mettent le cap sur le Pré-la-Patte au-dessus de Bienne.

Dépaysement local et écologique

L’engagement des JP pour cette action d’aide aux paysans de montagne est édifiant. Le projet rencontre un écho très fort chez les paroissiens qui n’hésitent pas à le soutenir généreusement. Le groupe décide de voyager à vélo dans une volonté de zéro émission. «Il y a une vision très forte chez ces jeunes d’être cohérents sur l’ensemble de la démarche», commente Lise Messerli, «bien que je les suive en conduisant un bus avec les bagages.» Après trois jours de vélo, le groupe arrive à la ferme et les travaux ne manquent pas. Eline André, une participante, raconte : «Il y a un travail non-stop à fournir. Tout dépend des cycles de la nature. Nous devions vite faire les foins en fin de journée à cause d’une annonce de pluie pour le lendemain.»

Yann Wolff quant à lui décrit : «Je suis profondément émerveillé de l’enthousiasme des JP à se mettre au service de ces paysans. Ils se sont levés tous les matins très tôt. Ils ont travaillé parfois sous la pluie et dans le froid. Ils se sont organisés pour vivre à vingt dans une maison au confort très rudimentaire. J’ai été impressionné par leur volonté d’adaptation.» Et Lise Messerli d’ajouter : «Les jeunes se sont rendu compte que d’aller à vélo jusqu’à Bienne puis de vivre au rythme d’un alpage dépaysait beaucoup, même si c’est proche de chez eux.»

Une aide exigeante mais abordable

JP et accompagnants s’affairent autour de quatre priorités : le travail quotidien à la ferme, les nécessité ponctuelles – comme le rangement intensif d’une grange – la mise en place de trois biotopes humides et murgiers (des abris à reptiles en hiver) pour aider à préserver la faune et du bûcheronnage pour le paysan et le propriétaire de la maison dans laquelle loge le groupe. « L’expérience est intéressante car l’argent est remplacé par le force de travail amenée », commente Yann Wolff. Enfin, une équipe de cuisine composée de quelques jeunes s’occupe de nourrir le groupe. «L’une des grandes forces de ce projet est qu’il fournit une aide concrète et de proximité sans que cela nous coûte trop cher (ndr : En 2018, le budget était d’environ 25’000.- pour vingt personnes) », souligne Lise Messerli. «Nous avons été mis en lien par Caritas Montagnards. Le projet s’est ensuite fait sans autre intermédiaire. Nous sommes partis rencontrer les personnes que nous avons contactées.» Ce qui n’est pas une évidence dans un tel projet. En général, des organismes (associations, ONG) font le lien et gèrent les relations entre les aidants et les aidés.

Protéger la nature et sa complexité

«Nous avons accompli un grand travail invisible comme retaper les clôtures des pâturages, enlever les pierres des champs pour que les vaches ne se blessent pas et débroussailler les orées de forêt de manière sélective», explique Yann Wolff. Les JP découvrent la complexité du vivant et les exigences de la protection  de la nature. Eline André réalise : «L’équilibre naturel est précaire. Chaque petit geste entraîne une conséquence. On ne peut pas y aller sans réfléchir. Des spécialistes et la famille paysanne nous ont permis de comprendre bien des choses avec la mise en place des zones humides.» Et le diacre de s’interroger:«Être chrétien en se mettant au service de la nature, de la création, qu’est-ce que cela veut dire face à une nature parfois très hostile?» 

Le choc des réalités, créer des ponts

Ce projet permet à des mondes qui se rencontrent peu de communiquer. «Des citadins se rapprochent et dialoguent avec des paysans de montagne. Les premiers s’initient au travail des seconds.. Pour beaucoup de JP c’est un choc de découvrir une réalité de vie diamétralement opposée à la leur dans leur propre pays.» explique Lise Messerli. Et son collègue d’ajouter : «Cette expérience décloisonne la perception de la société suisse de ces jeunes. Ils comprennent qu’il y a des réalités beaucoup plus exigeantes qui demandent un engagement et dévouement total. En la vivant, ils apprennent à conscientiser les travaux de l’ombre si essentiels au bon fonctionnement de nos équilibres.»

Se transformer et évoluer

Forte de son succès, l’initiative de 2018 est reconduite trois printemps jusqu’en 2022. Eline André souligne : «Dans notre société du tout tout de suite, ce projet permet de se rendre compte d’un processus. Le travail à la ferme et les trajets à vélo nous ont permis d’expérimenter des mouvements où la satisfaction ne vient pas sur le moment. Je trouve cela très gratifiant. On a voyagé à la force de nos jambes.» Inutile donc d’aller à l’autre bout de la terre pour vivre une expérience édifiante et riche d’enseignements. «Ces jeunes découvrent un monde, je le vois dans leur regard. Ils pensent que c’est partout la même chose dans leur pays et se rendent compte que ce n’est pas le cas, conclut le diacre Yann Wolff, ce qui m’émerveille c’est qu’ils y sont allés au culot. Certains craignaient les chevaux, d’autres pensaient qu’un râteau était un peigne. Certains avaient des vélos d’enfants. Tous ont évolué et sont redescendus de l’alpage différents et grandis.»

La bénédiction peut représenter cet instant où le banal, la passion ou l’amour sont valorisés, parce qu’ils sont ce qui fait le sens et ce qui permet l’échange.

La bénédiction : sacraliser le banal sans banaliser le sacré

Les Assises romandes de liturgie se sont tenues en novembre 2022 à l’Université de Lausanne autour du thème de la bénédiction et de la superstition. Retour sur toute une série d’innovations présentées et discutées.

L’épineuse question des nouvelles formes de bénédictions était au cœur de cette rencontre organisée par l’Office protestant de la formation et l’Institut lémanique de théologie pratique. Il s’agit d’interroger un difficile jeu d’équilibre. Celui auquel se confronte l’Église aujourd’hui, dans une perspective critique exigeante. Une pratique à la fois promesse du don de l’amour de Dieu d’un côté, mais sujette à quelques craintes. Celles de ne laisser voir qu’un geste d’utilité sous couvert de popularité, alimentant des demandes égoïstes voire superstitieuses. 

La veille, une rencontre consacrée aux expériences et aux pratiques d’accompagnement des personnes LGBTQI+ dans l’Église prenait place à l’UNIL. Cet événement, titré extravagantes bénédictions, a permis aux participants de repenser et imaginer le futur de l’innovation dans les rapports avec les traditions. Parmi les intervenantes et intervenants, on pouvait retrouver des chercheurs, des théologiens et même des drags queens théologiennes! L’auteur et artiste Ari Lee qui pratique l’accompagnement spirituel et le maquillage artistique était présent ce jour-là. On en trouve un reflet dans cet article.

Une matinée de découvertes

Durant toute la matinée, les participants et participantes ont pris part  à différents ateliers. Les sujets étaient aussi divers que fascinants : bénédictions d’animaux, des motards, spécificités de la bénédiction dans l’Église catholique, les déclinaisons de la bénédiction nuptiale, l’usage de la gestuelle dans les rites ou encore la bénédiction malagasy (ou malgache). L’après-midi a permis d’élargir l’échange autour des ateliers et des idées exprimées. La qualité des débats et la bienveillance des participants permettent d’exprimer des paroles sereines face à ces propositions d’innovations, sans feindre d’ignorer les enjeux contemporains auxquels l’Église est confrontée. Au moment de discuter des déclinaisons de la bénédiction nuptiale, la question du déclin de la pratique est rejetée pour souligner la diversité des attentes. « Ces nouvelles liturgies, inclusives et novatrices, se présentent moins comme des changements utiles faces aux individualités que comme de véritables offres créatives à l’intention de toute la communauté protestante » explique une participante, pour qui la créativité n’est rien de moins que le message de Dieu.

Se prévenir de la banalisation

La bénédiction des motards soulève un certain nombre de questions propres.. Comment inclure réellement les pratiques motorisées dans le projet d’une Église sensibilisée par l’écologie ? L’Église a-t-elle vocation à n’être qu’un hobby ou une partie de celui-ci ? N’y a-t-il pas un risque de banaliser la bénédiction elle-même? Animateur de cette thématique, le pasteur Guy Labarraque offre quelques pistes de réflexion : « L’église doit s’envisager aussi comme un espace de rencontre. Rien ne nous empêche de partir d’un facteur commun, ici le hobby de la moto, pour aller vers celle-ci ensuite. » La bénédiction n’est pas une pratique que l’on réserve aux objets de valeur. Au contraire, la bénédiction est une mise en valeur qui jamais ne dévalorise. « Un hobby, une passion, est beau parce qu’il donne sens à la vie. Dans le même temps, il nous permet, dans une communauté, d’entrer en contact et de parler à des personnes d’horizons tout autres que ceux qui peuvent être les nôtres » précise le pasteur.

Le précieux du quotidien

Dans le prolongement, la bénédiction des animaux apporte d’autres éléments. L’une des particularités du protestantisme est la crainte de faire du banal un sacré indu. Une superstition. Ces formes de bénédictions pour animaux se doivent d’être perçues, au contraire, comme des moments de foi qui viennent du quotidien. C’est une grâce inattendue où le précieux n’est jamais banalisé. La pasteure Françoise Surdez considère que « S’ouvrir à la réalité du lien qui unit une personne à son animal, un lien qui parcourt la Bible de la Genèse au livre de Job, c’est s’ouvrir plus, et donc mieux. »

Loin de n’être qu’un geste liturgique mécanique, la bénédiction peut représenter cet instant où le banal, la passion ou l’amour sont valorisés, parce qu’ils sont ce qui fait le sens et ce qui permet l’échange. C’est du quotidien, de la vie ordinaire, qu’émergent de nouveaux horizons pour la bénédiction. Leur faire une place c’est accueillir et toucher d’autres publics en renouvelant le sens d’une bénédiction plus englobante. 

Les sites respectifs de l’Office protestant de la formation et de l’Institut lémanique de théologie pratique vous permettront de vous tenir au courant des prochains évènements.

L’inclusivité en Eglise, ce n’est pas ce que l’on croit !

L’inclusivité est un terme que l’on tend à réduire à la question LGBTIQ+. Pourtant cette expression recèle  un potentiel plus large pour les communautés. C’est la conviction de la conseillère paroissiale Eloïse Miceli et du pasteur Nicolas Lüthi. Ils proposent des éléments pour comprendre la réflexion sur l’inclusivité des églises protestantes romandes.

«Limiter l’inclusivité en Eglise à la question LGBT, c’est passer à côté de toute la richesse du mot.» Affirme Eloïse Miceli, ex-conseillère paroissiale du LAB de Genève, que nous avons interviewée avec Nicolas Lüthi, également pasteur au LAB. « Le fait que l’on confonde souvent le LAB avec l’Antenne LGBT en dit long sur la tendance à limiter l’action en termes d’inclusivité du LAB à la question LGBT », ajoute le pasteur. L’Antenne LGBT est maintenant une structure indépendante du LAB de Genève, qui, d’après Eloïse Miceli et Nicolas Lüthi, n’a pas perdu en dynamisme par ce changement : « L’inclusivité, c’est également prendre en compte les questions d’âge, de genre, d’œcuménisme, d’interculturalité, de background religieux et de conditions sociales. Le LAB essaie d’œuvrer sur tous ces tableaux.»

Agir pour tous

Pour agir sur chacun de ces plans, le LAB a construit une offre adaptée, et mis en place des propositions nouvelles, plus horizontales. Plutôt que des prêches, des sessions de Godly Play sont proposées, avec des moments d’échange. Des groupes de parole se sont formés pour créer un cadre de confiance favorisant le dialogue. Le culte du dimanche s’est changé en « Sun Day », plus inclusif et chaleureux. « Pour mettre en place une activité participative en Eglise, le principe fondamental est d’admettre qu’on est tous capables d’avoir une parole juste, peu importe ses origines ou son parcours » commente Eloïse Miceli.

Les changements pour plus d’inclusivité se font autant sur la forme que sur le fond. Nicolas Lüthi, pasteur au LAB, s’inscrit dans la pratique du lieu qui consiste à chanter deux fois la prière traditionnelle du “Notre Père” en remplaçant par “Notre Mère” la seconde fois. Il n’hésite pas à affirmer: « je n’ai pas conscience de Dieu comme un ‘Père’, mais comme un ‘Parent’, et je précise que nous pardonnons à ceux et celles qui nous ont offensé.e.s ».

Les limites de l’inclusivité

L’inclusivité promue par le LAB n’est pas sans risque.Ses acteurs en sont conscients. « Lors des prises de parole , on a vu des personnes tenir des propos racistes, haineux, et éloignés du message de l’Evangile » nous dit Eloïse Miceli. Mais le danger se trouve ailleurs : « le vrai risque, c’est que les protestants ne se retrouvent pas dans le LAB car nous prenons nos distances avec les codes classiques. »

Des portes ouvertes sur l’avenir

Néanmoins, pour le pasteur et la conseillère, le LAB n’est pas un concurrent aux paroisses traditionnelles. Il essaie de toucher un autre public qui ne se rend pas aux cultes. De plus, les autres paroisses ne se montrent pas insensibles aux propositions du LAB. Le groupe de femmes encadré par le LAB va  être répliqué par d’autres paroisses en Suisse Romande. « Beaucoup de choses peuvent être mises en place pour l’Evangile. Le tout, c’est de ne pas rester les bras croisés », conclut Eloïse Miceli.

Photo : Rencontre au Lab durant la Grève des femmes 2022 – crédit : EPG/Anne Buloz

Formation à l’innovation : atteindre l’inatteignable

Les Églises réformées romandes investissent dans une formation à l’innovation. Son but : apprendre à rejoindre plus largement en ciblant mieux les activités et les publics. Zoom sur cette nouvelle initiative qui a conquis une trentaine de participants.

En juin 2021,une nouvelle formation à l’innovation pour des professionnels des Églises réformées romandes voit le jour. Son centre d’attention se porte sur les familles : « Nous voulons réinventer notre offre avec des familles distancées ou absentes de notre Église afin de créer du lien communautaire et spirituel » rapporte Sophie Wahli-Raccaud, pasteur et co-responsable de la formation continue à l’Office protestant de la formation. La mélodie est posée, maintenant il faut danser.

Rencontrer l’inconnu

Savoir se rapprocher et aborder de nouveaux publics qui ne font pas partie du cheptel des fidèles habituels. Voilà le défi relevé par la première volée de la formation à l’innovation qui a touché différentes catégories de professionnels en Église. «Le but principal est d’inventer de nouvelles formes de services pour se rapprocher des publics qui font rarement ou jamais appel aux services ecclésiaux», explique Valérie Bauwens, formatrice et intervenante principale du projet.

Créativité dirigée

Pour Sophie Wahli-Raccaud la créativité est une compétence innée qui demande à être stimulée et investie dans des projets professionnels. La formation s’organise autour d’approches bien connues du monde de l’innovation en ingénierie : le Design Thinking et la théorie U. Venus tout droit des universités américaines, ces deux outils structurent le processus de créativité. Leurs atouts : aboutir à l’émergence d’une nouveauté en phase avec les besoins réels du public cible. «Cette méthode permet d’innover sans tomber à côté», explique Valérie Bauwens. Et d’enchaîner : «Une innovation réussie est désirable pour les gens qu’elle concerne parce qu’elle répond à un réel besoin.» Pour Anne Rochat, animatrice d’Église et participante : «La formation me permet de structurer des choses que je percevais intuitivement. Elle me donne une méthode, un fil conducteur pour innover.»

Tout voyage commence par un premier pas

Mais alors, c’est quoi un projet «innovant» ? Pour Valérie Bauwens pas besoin de s’appeler Steve Jobs pour oser créer : «Le chemin parcouru durant le processus créatif est tout aussi important que les idées issues de la démarche. On ne s’intéresse pas tout de suite au résultat.» Donc l’innovation s’apprend. Une étape-clé est de regarder sa situation avec d’autres points de vue. La participante Anne Rochat explique sa prise de conscience à la suite de cet exercice : «C’est indispensable de rencontrer la réalité de la personne qu’on veut rejoindre.» Pour l’animatrice, il ne suffit pas de deviner ce que l’autre pense ou aimerait. Il faut prendre le risque d’aller le lui demander. «Partir à la recherche d’expériences et de faits, plutôt que des idées ou des opinions, c’est vraiment la base pour innover correctement.» 

Les participants ressortent riches de ces entretiens. Anne Rochat d’ajouter: «Se présenter en enquêteurs et non en « prêcheurs » change beaucoup la relation. Nous sommes centrés sur la réalité de l’autre et pas sur le souci de transmettre quelque chose. Les gens se sentent écoutés et parlent plus volontiers.»

Créer pour rejoindre

A partir des besoins collectés avec les entretiens, les participants élaborent, en groupe, des prototypes pour rencontrer les personnes distancées. Pour donner la direction à l’élan créatif, ces prototypes sont construits sur la base d’une vision et d’un objectif concret. Neuf prototypes sont actuellement testés en Romandie. Par exemple, un groupe imagine ouvrir les portes de l’église lors d’un jour du marché et en faire un lieu d’accueil et de rencontre pour tous. «La vision et l’objectif de ce prototype est qu’à travers l’échange on peut vivre l’évangile en allant voir l’autre, le rencontrer sans même parler de religion», détaille Valérie Bauwens. D’autres participants ont choisi de faire un Géocaching (chasse au trésor) aux abords de lieux potentiellement symboliques, comme des ponts. «Une famille peut donc aller d’une cache à l’autre et trouver question anodine ou  fondamentale sur l’existence. Chacun a la liberté de creuser

Sortir de l’ombre

Pour Sophie Wahli-Raccaud, «ces prototypes permettent de rencontrer et d’élargir les échanges à des familles distancées.» Et d’ajouter que ces activités de rencontre partagent implicitement des valeurs d’Évangile mais disent explicitement qu’elles sont organisées par l’Église. «Ce sont des projets actuels et pertinents pour le grand public qui rafraîchissent la perception de l’Église.» La participante Anne Rochat abonde : «Il y a une bonne dizaine d’années, j’ai réalisé qu’il fallait changer de méthode pour approcher le public des familles. Il ne suffit plus de communiquer notre programme et d’attendre que les gens viennent à nous, il faut aller les chercher là où ils sont. Parfois loin de nos cercles.»

Une formation exigeante

Innover demande un gros effort mental pour remettre en perspective les acquis et trouver d’autres manières de faire face aux difficultés à résoudre. «Nous nous sommes rendus compte que très peu de participants sont allé parler à des personnes sans lien avec l’Église. Entrer en contact avec ce type de public semblait être un vrai défi», constate Valérie Bauwens. Une autre difficulté est de s’autoriser à lâcher, à inventer quelque chose de nouveau hors du cahier des charges habituel. «Cela va de pair avec une démarche d’innovation. On balaie les anciennes habitudes rassurantes pour en construire d’autres, sans être sûr du résultat et de son acceptabilité par l’organisation actuelle. Cela demande beaucoup de courage», ajoute la formatrice.

Apprendre entre pairs

Le soutien d’un groupe de trente personnes permet d’évoluer sur le chemin de l’innovation, tout en luttant contre la solitude professionnelle. «Travailler en équipe a été une aide. Pour une fois, je n’avais pas l’impression de devoir tout faire toute seule», explique Anne Rochat. Et de continuer : «J’ai aimé que cette formation rassemble des collègues de tout le canton et au-delà. J’ai pu découvrir ce qui se fait ailleurs, dans des contextes parfois assez différents. J’ai élargi ma vision et agrandi mon réseau.»

Grandir dans sa pratique professionnelle

Ceux qui réussissent à sortir de leur zone de confort grandissent. «Peu à peu des participants osent formuler des envies de projet en trouvant une autre valeur ajoutée qu’ils apportent en tant que professionnel ecclésial», explique Valérie Bauwens. Pour la formatrice cela ne fait aucun doute, ces personnes évoluent dans leur posture. Elles se connectent à d’autres réalités et besoins. Résultat : elles intègrent une nouvelle dynamique professionnelle.  Elles ont une autre vision de ce qu’elles font. Elles réfléchissent et osent réinventer leurs pratiques pour trouver une place renouvelée dans le paysage sociétal.

Une nouvelle formation à l’innovation est prévue pour 2023. Jetez-y un œil sur le site de l’Office protestant de formation !

Le boom des célébrants laïcs

En Romandie, de nouvelles figures sont apparues dans les temples protestants pour unir les couples et rendre les derniers hommages aux défunts : les célébrants laïcs. Rencontre avec l’un d’entre eux, Mathias Neri.

De nouveaux venus dans les églises

Le nombre de protestants romands préférant un célébrant laïc à un pasteur pour un mariage ou un enterrement augmente, et cela même si la cérémonie funèbre a lieu dans une église. Matthias Neri, célébrant laïc depuis 2021, évoque les interactions qu’il a avec le monde ecclésial. «Beaucoup de gens se font de fausses idées sur nous, et ne réalisent ce qu’on fait réellement que lorsqu’ils assistent à une de nos célébrations.»

La laïcité comme une invitation

L’idée que la laïcité signifie l’exclusion de tout aspect religieux, surprend Matthias Neri : « Je n’ai jamais vu les choses comme ça, pour un célébrant laïc, c’est tout le contraire. Nous cherchons à ce que chacun se sente à l’aise d’amener avec lui sa propre religion et sa propre spiritualité». Dans ce type de cérémonie, la religion sous toutes ses formes est la bienvenue. C’est une démarche profondément inclusive. Concevoir et animer une célébration qui réunit plusieurs confessions est un vrai défi. Et le célébrant d’ajouter: «Certains protestants, même très pratiquants, font appel à mes services, pour que tous leurs proches, même d’autres confessions, puissent se reconnaître dans la cérémonie et ne pas se sentir exclus.»

Mathias Neri, célébrant laïc
Mathias Neri, célébrant laïc

Dieu au travers de l’humain

Pour lui, chaque cérémonie est différente, car chacune se basera sur la spiritualité des mandants qui font appel à ses services. Si parfois Dieu est absent des cérémonies, il peut être fortement mobilisé dans d’autres. Pour Matthias Neri il n’y a là pas de contradiction avec son statut de laïc : «Dieu n’est évoqué qu’au travers des gens et de leurs propos. C’est le vrai centre de notre travail. Nous relatons la foi et les croyances de nos mandants sans avoir d’agenda religieux.»

Une spiritualité de l’accompagnement

Bien qu’il soit né dans un foyer catholique, la nourriture spirituelle de Matthias Neri ne réside pas dans la tradition chrétienne. Il estime que les moteurs de son activité sont l’accueil et l’accompagnement des personnes dans des moments importants de leur vie. «Je me considère comme très ouvert et très spirituel.» Et d’ajouter: «Pendant de longues années, je me suis réalisé dans l’accompagnement des personnes en fin de vie et des polyhandicapés. j’ai été aide-soignant pendant 22 ans. C’est lors du mariage de deux amis voulant être unis par un célébrant laïc que je me suis vu en devenir un. La place de l’accompagnement est centrale dans cette profession».

Laïc en Eglise

Pour lui, les célébrants laïc n’ont rien inventé: «Nous sommes très proches de ce qu’offre un service religieux.» Cette proximité peut parfois causer des problèmes. «Je crois que certains ministres ont peur qu’on leur vole leur travail. Il y a la question de nos tarifs, qui n’est pas toujours bien comprise non plus», poursuit-il : en effet, les célébrants laïques sont des indépendants payés pour leur services directement par les mandants, et non par l’église ou une autre institution. En certaines occasions, il se rend dans des églises protestantes à la demande de familles endeuillées. «C’est regrettable qu’il n’y ait pas de moments de rencontre avec les pasteurs et les diacres outre le moment où ils nous ouvrent l’église. Nous avons beaucoup à nous dire. Nous pouvons briser les clichés que nous avons les uns sur les autres par le dialogue» conclut Matthias Neri, membre de l’ACOR, l’association des célébrants laïcs de Romandie.

 

Dans les médias :

Le 19:30 du 19 mai 2022

Une série Vacarme de 2021

Une émission Temps Présent de 2009

Des outils pour coopérer dans les Églises

Auteure du livre « coopérer sur la durée dans l’Eglise locale » sorti en 2022, la sociologue Marie Carayol invite à une meilleure collaboration ecclésiale. Témoignages et analyses de terrain sont au menu de cet ouvrage qui interroge la gouvernance d’Église et la coopération sur le long terme. Interview.

D’où vient votre démarche d’accompagnatrice en coopération ?

Dans mes années de jeune travailleuse sociale, j’ai permis à des habitants de quartiers populaires de se prendre en main. Ils ont amélioré leurs conditions de vie pour eux-mêmes et l’endroit où ils habitent. J’ai innové dans ce milieu d’éducation sociale en adoptant une démarche humaniste qui autorise la personne à prendre une posture d’acteur capable et conscient.

Quelques schémas tirés du livre

Qu’avez-vous constaté dans le domaine ecclésial ?

En m’intéressant à la gouvernance d’église, j’ai vu que ses membres ne sont pas dans cette posture d’acteur. Alors qu’ils souhaitent l’avoir. Mais elle n’est pas facilitée par les dirigeants ecclésiaux. Résultat : il y a de la frustration des deux côtés. On reproche aux gens de ne pas assez s’engager et rien n’encourage à faire plus.

Quelles observations tirez-vous de cette situation paradoxale ?

J’ai étudié les représentations des deux côtés et les postures freinant la collaboration. Fondamentalement, mon texte traite de la peur qui nous empêche d’aller vers l’autre, de se confronter à lui et de collaborer. Se confronter à différentes personnes, c’est rencontrer nos propres angoisses. Il est nécessaire d’effectuer un travail sur soi qui passe par un constat de difficultés, d’échecs, de frustration, de découragement. C’est seulement après cette prise de conscience qu’on s’interroge sur la façon de construire quelque chose de différent avec les gens.

Et comment fait-on pour ne plus avoir peur ?

En s’inspirant des autres. J’ai travaillé pendant un an et demi avec quinze pasteurs des milieux évangéliques et réformés. J’ai recueilli les témoignages d’une quarantaine de personnes engagées dans des églises pour qu’elles parlent de ce qu’elles vivent. Ce livre mêle une approche théologique à une approche psycho-sociale systémique. C’est un ouvrage-outil pour questionner les postures qui facilitent ou non la coopération en milieu ecclésial. Le but est d’aboutir à des actions concrètes à impact collectif, quitte à faire bouger les lignes de forces hiérarchiques de l’institution.

Par exemple ?

Un des pasteurs participant au projet du livre a mis en place dans son église de manière très intentionnelle le « ensemble ou rien » dans une culture très hiérarchisée. Bien que chacun ait son mot à dire à égalité avec la parole des autres, les gens étaient complètement perdus. Grâce à un travail de mise en confiance et en sécurité, ce pasteur a pu mettre en place son projet. Résultat : le nombre de personnes qui fréquentent l’église n’a pas augmenté mais celui des personnes engagées a bondi. De plus, les personnes engagées dans cette église le sont en lien avec leurs dons, leurs souhaits, leurs envies.

Votre livre s’intéresse beaucoup au milieu évangélique. Or, il y a des différences de construction dans la dynamique des communautés protestantes et évangéliques, ainsi que dans leurs rapports institutionnels. Comment cela joue-t-il un rôle ?

Le milieu protestant est riche de gens qui soutiennent, parfois à bout de bras, des initiatives. Il y a des personnes très motivées qui en même temps composent avec les contraintes de leurs instances décisionnelles ecclésiales. J’ai été fasciné de constater que ces personnes envisagent les difficultés rencontrées comme un chemin de transformation, de croissance spirituelle. Cependant, dans chaque milieu, j’ai vu une souffrance de l’enfermement. Les personnes avec lesquelles j’ai travaillé ont été très heureuses de se rencontrer, au-delà de leurs peurs ou de leurs représentations de l’autre. Cela les sortait de la solitude.

La coopération, repose-t-elle sur de bonnes techniques ou de bonnes intentions ?

Les deux à la fois. Une personne seule qui a envie de vivre la gouvernance partagée par exemple, ne peut pas faire face à d’autres individualités qui ont des envies et des enjeux différents. Il faut mettre en place des outils qui permettent d’arriver à des décisions soutenues par un engagement commun et qui induisent une responsabilité collective. L’intention seule conduit à un éparpillement. En mettent trop de poids sur les personnes on en oublie l’objectif à atteindre. C’est la porte ouverte aux conflits. La technique est un garde-fou. On met l’intention au service de l’outil.

S’il fallait résumer le but de ce livre, quel est-il ?

Pour construire une communauté et faire des choses ensemble, il faut que la confrontation avec l’autre soit constructive. Grandir en conscience de soi, même en présence de personnes dysfonctionnelles, c’est possible. Ce qu’on n’aime pas chez l’autre, ce qui nous dérange, nous rappelle ce qu’on ne veut pas pour soi. L’inverse est aussi vrai quand on admire quelqu’un. C’est dans la rencontre et le travail avec l’autre que l’on s’interroge sur la manière de s’améliorer en tant que personne. Finalement, le projet est de vivre ensemble en nous confrontant les uns aux autres, pour nous transformer et savoir coopérer sur la durée dans chacun de nos choix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des cultes à la carte

Dans la Paroisse du Pied du Jura, de nouvelles formes de cultes adaptées aux goûts de chacun ont vu le jour. Coup de projecteur sur ces façons de célébrer dans cette série d’articles [1/8].

Une énergie renouvelée

Rassembler une communauté sur onze lieux de cultes et onze villages différents, le défi qui se présente est complexe. L’enjeu est d’éviter l’épuisement, de valoriser les temples et de permettre aux habitudes d’évoluer. Un long processus de transformation commence en 2017. Plusieurs éléments contribueront à nourrir cette mutation. Une lettre du Conseil Synodal de l’époque enjoint les paroisses à ne proposer qu’un seul culte le dimanche. La missive précise que le culte n’est pas d’abord un service à la population, mais le rassemblement de la communauté. La phrase génère un déclic auprès du Conseil paroissial. Un autre facteur déclenchant sera apporté par le pasteur, Etienne Guilloud, qui termine une formation en leadership interpersonnel. Il y puise des outils lui permettant de faciliter la mise en place du projet. En l’espace d’un été, une équipe se met sur pied et élabore les grandes lignes en lien avec le Conseil paroissial.

Cinq couleurs pour célébrer

Au terme de ce minutieux processus d’élaboration, de maturation et de concertations, cinq formes de célébration voient le jour. Certaines sont présentées comme des événements sous les labels “C’est la fête” ou “Sans limites”. D’autres signifient un attachement à l’héritage, c’est le cas des formes “Patrimoine” ou “Spéléo-bible”. Enfin, une forme “Oasis” cherche à rejoindre un public plus familial souhaitant se ressourcer.

La réflexion s’oriente également sur la communication puisque chaque public-cible est identifié. La recherche d’une optimisation des moyens d’information s’ajuste à l’effet recherché. La démarche de valorisation passe par une approche de type marketing. Mais celle-ci ne se résume pas à une simple opération cosmétique. Une réflexion en profondeur et un intense engagement dans la prière accompagnent la démarche avec pour but de mieux profiler les priorités paroissiales. Deux axes complémentaires sont élaborés en forme de slogan : “Diversifier pour rejoindre et rassembler pour stimuler”.

Innovation, tradition, évangélisation

Les innovations cultuelles ne sont pas reçues de la même manière par tous. « Certaines personnes se sont levées durant les annonces du culte pour manifester leur désapprobation, d’autres sont venues me dire qu’elles ne se reconnaissaient plus dans ces façons de faire », confie le pasteur, en observant l’impact des changements sur les paroissiens. Si les habitudes de célébrer sont bousculées par certaines formes liturgiques nouvelles, les cultes« Patrimoine » visent à montrer que le  changement n’est pas un reniement de l’héritage protestant. Les cultes« Spéléo-bible », permettent aussi d’approfondir de manière participative la compréhension du texte biblique.

Des ajustements sont encore nécessaires afin que chaque célébration trouve son public et sa forme optimale. De plus, au moment de la mise en œuvre, le pasteur a rejoint une autre paroisse et le covid-19 a grandement perturbé les plans. L’adversité n’a heureusement pas fait capoter le projet. Le Conseil ainsi que la nouvelle pasteure poursuivent le travail. En point de mire, la dimension de l’évangélisation est un axe fort. L’objectif est de faciliter l’accès des cultes à de nouvelles personnes.

Une série d’articles

Cette série d’articles entend lever un coin de voile sur l’expérience menée au Pied du Jura. Son ambition est de générer de l’intérêt pour une diversification dans les formes de célébration, de valoriser les démarches entreprises et de comprendre les difficultés. Plus largement, elle pose la question des pratiques liturgiques, des attentes, des traditions et des résistances au changement. L’histoire de ces formes de culte diversifiées n’est pas terminée. Elle se poursuit avec de nouvelles perspectives et de nouvelles questions. Nous en parlerons dans l’article conclusif. Tout d’abord, nous nous intéresserons aux différents aspects de ce projet au long cours. A son histoire, à la façon dont le projet a évolué, aux expériences menées et à leurs effets. Il y a de quoi s’en inspirer pour générer de nouvelles formes de célébration et rejoindre d’autres publics et d’autres manières de vivre et d’exprimer sa spiritualité réformée.

Une invitation de taille

« Je suis le cep, vous êtes les sarments et mon Père est le vigneron ». On aime utiliser cette image en Église. En particulier pour les croyant.e.s en tant qu’individus. Mais on pourrait l’employer pour l’Église en tant qu’institution, pour notre Église Réformée vaudoise. Et ici l’affaire se corse, car il est question de discernement, de renoncement et de conversion collectifs.

Combien d’activités maintenues parce que cela s’est toujours fait ? Combien de formes cultuelles conservées parce que la tradition est importante ? Combien de structures, dont les lourdeurs nous pèsent, mais que l’on conserve et entretient avec fidélité — ou servilité, c’est selon ?

Que faire ici du verbe émonder ? La question est difficile parce que dans le texte de l’Évangile de Jean (chapitre 15), ce ne sont pas les croyants qui tiennent le sécateur, mais le vigneron divin. Peut-être faudrait-il lire dans la désertion de certains lieux, événements ou activités, le signe qu’un sarment est desséché, prêt à être coupé. Peut-être faudrait-il parfois avoir le courage de regarder la réalité en face, sans se cacher derrière la beauté du petit troupeau ou du petit reste fidèle ?

À Paris, certaines communautés l’ont fait, comme la paroisse du Marais. Oser couper là où l’Esprit l’indique, sans critiquer les personnes qui jusque-là, souvent au prix de gros efforts, ont maintenu la flamme, ou plutôt les braises. Oser renoncer à une activité ou à un service, non pas par esprit frondeur ou volonté de se démarquer, mais parce que la vie ne les anime plus.

Renoncer à ce que l’on sait faire si cela ne fonctionne plus, à ce que l’on connaît si cela ne parle plus, à ce que l’on cultive si cela ne produit plus de fruit, c’est accepter d’entrer dans une terre inconnue. Autrement dit, c’est un Exode. Et cela devrait plutôt nous parler !

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Le renoncement est la pierre angulaire du changement, parce que le travail, le temps, l’énergie investis dans des activités et des offres qui ne touchent et ne mobilisent plus que quelques personnes habituées et fidèles empêchent de regarder en avant. Imaginer du neuf, être créatif ou simplement explorer, expérimenter, prospecter demande du temps et de l’énergie. La question est : comment l’Évangile peut-il aujourd’hui rejoindre le mieux le plus grand nombre de personnes et les personnes les plus diverses. On peut imaginer que cette question soit débattue avec les habitués et les fidèles qui savent comment et en quoi l’Évangile les transforme. Les explorations se lanceront toujours à partir des motivations de ceux et celles qui sont conscients de cette richesse.

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