L’histoire des « Église émergentes »

Les Églises émergentes ne peuvent pas se targuer de connaître une histoire linéaire. Il faudrait plutôt parler d’un essor multipolaire de formes d’Églises créatives dont l’évolution tend à former une image cohérente. On peut néanmoins situer quelques figures tutélaires, quelques ouvrages emblématiques et quelques réseaux identifiés.

En 1970, Ralph Osborne et Bruce Larson, deux pasteurs presbytériens américains publient « The emerging church ». Ce livre part du constat de l’élargissement croissant du fossé culturel entre les formes d’Églises et la société. Loin de céder aux sirènes du découragement ou de la méthode Coué, il en appelle à de nouvelles émergences et en esquisse sommairement quelques pistes. Les églises du XXIe siècle auront une approche expérimentale, elles s’affranchiront des lourdeurs institutionnelles, seront à l’écoute du changement, devront gérer leur héritage et trouver de nouvelles orientations. Elle manieront le « et » plutôt que le « ou ».

Presque dix ans plus tard, un évêque anglican, John Spong publie un article qui fait date : « The emerging church : A new form of era ». Dans une brève analyse, il observe l’adaptation des formes d’Églises aux grandes tendances sociétales. Il en déduit la nécessité d’opérer en permanence un travail d’ajustement culturel.

D’autres racines des courants émergents sont à chercher auprès du développement académique des « Congregational studies ». Dès les années 1980, des groupes de sociologues, de psychologues, d’historiens et de théologiens s’unissent pour analyser l’évolution des pratiques religieuses et proposer des adaptations aux communautés. La première conférence nationale américaine, en 1982, voit ses actes publiés l’année suivante sous le titre « Building effective ministry : theory and practice in the local church ». C’est le début d’une série de manuels et d’événements qui tissent un réseau et contribuent à irriguer les responsables de communautés.

Dans ces mêmes années, Bob Budford, riche héritier d’une chaîne de télévisions lance, en compagnie de sa femme Linda, un vaste réseau centré sur la croissance et le développement d’Églises. Le « Leadership Network » fonctionne comme une entreprise de services et s’oriente, dans un premier temps, sur les groupes de plus de 1’000 membres. Il fournit du matériel, organise des séminaires de motivation et des conférences à succès. Il engage des animateurs expérimenté et forme des pionniers. En 1995 démarre une branche dédiée à la jeunesse avec le « Young Leadership Network » à la tête duquel Tony Jones sera bientôt l’une des figures de proue du courant émergent.

Au début des années 1990, l’association de Brad Smith, alors directeur du Leadership Network, avec l’éditeur de livres religieux Zondervan, marque l’arrivée d’une maison d’éditions dans la course. L’expression « émergente » prend son envol avec l’arrivée d’auteurs comme Doug Pagitt, Darrell Guder, Mark Driscoll ou Brian McLaren. Ce dernier publie en 1998 un opus de référence  « Church on the other side » dans lequel il fait état de son expérience de mise en route d’une Église émergente dans le Maryland. Cette communauté, « Cedar Ridge« , devient rapidement un fleuron d’Église émergente.

Dans les années 2000, les groupes et les initiatives se multiplient. Un collectif appelé « Emergent village » se présente comme un réseau prolifique. Après une bisbille, en 2008, il se réorganise et devient patheos.com.

Une première conférence nationale américaine centrée autour des Églises émergentes se tient en 2002 à San Diego. L’année suivante, les réformés américains lancent l’idée de démarrer 900 nouveaux projets de communautés d’ici 2018, date de leur 400e anniversaire. Le pasteur Timothy Vink est nommé coordinateur du projet « Church Multiplication« .

Dans le monde francophone, le site internet temoins.com constitue sans doute la source la mieux documentée.

L’histoire des « fresh expressions »

L’idée de stimuler la croissance des communautés, en cherchant à adapter les formes à l’évolution sociale, arrive en Angleterre au milieu des années 1970. Celle-ci a pris racine aux États-Unis dès les années 1950 avec une littérature et une théologie missionnaires. Depuis la fin des années 1970, l’Angleterre est le théâtre d’un développement de groupes de croyants qui se rassemblent en marge des paroisses classiques. Sous l’impulsion d’initiatives personnelles de laïcs, parfois soutenus par leurs ministres, et encouragés par des campagnes d’évangélisation, des groupuscules commencent à poindre sur les écrans radars des sociologues au tout début des années 1980. Divers organes s’y emploient et la publication, en 1984, de « How to Plant Churches » par la British Church Growth Association, peut être vu comme le premier jalon d’une abondante littérature.

Dès 1987 et durant 20 ans, l’Église Holy Trinity Brompton organise une conférence annuelle sur l’implantation d’Églises. Avec le développement des « cours Alpha », elle se place rapidement en pôle position du développement de nouveaux groupes. Les actes de ces conférences sortent de presse en 1991 sous le label « Planting New Churches ». Alors que les médias commencent à s’intéresser à ce phénomène, la hiérarchie anglicane leur emboîte le pas et constitue un groupe de travail. L’enjeu double concerne aussi bien la gestion de quelques groupes « sauvages » que les inquiétudes grandissantes des paroisses traditionnelles.
En 1994 paraît un rapport qui marque un premier tournant dans l’histoire de ces formes d’Églises émergentes. « Breaking New Ground : Church Planting in the Church of England » identifie le phénomène, lui donne un cadre licite au sein de l’institution et formule quelques recommandations pour son développement. Tout en reconnaissant l’importance des paroisses territoriales, il parle de la nécessité de toucher le voisinage des populations non touchées par les structures en place. L’expansion se nourrit de cette reconnaissance et se poursuit dans un nouvel élan.

Un important travail de documentation et de visibilité de ces groupes se met en place dès 1999 avec les publications de George Lings et Claire Dalpra. Le magazine « Encounters on the Edge » s’intéresse à plus de 50 « fresh expressions » jusqu’en 2012. Il est aujourd’hui remplacé par la diffusion d’une série de clips vidéo.

Soucieuse de suivre la progression de ces groupes, l’Église anglicane d’Angleterre mandate un nouveau rapport évaluant l’état de la situation. En 2004, « Mission-Shaped Church : church planting and fresh expressions of church in a changing context » fait l’effet d’une bombe. Il popularise la notion de « fresh expressions », déjà présente dans le livre de 1993 de Gerald Arbuckle : Refounding the church. Ce document inscrit le développement de ces groupes dans ce qu’on peut qualifier de stratégie d’Église. Il pose des éléments d’une théologie missionnaire et d’un cadre de développement. Il utilise également la notion de « mixed economy » pour désigner la nécessité de pacifier la coexistence entre les nouvelles formes et les paroisses établies.

Dès lors, le nombre de ces groupes  connait une explosion, son intérêt international va grandissant et l’une des branches développe son propre label sous la désignation de « Messy churches« . Aujourd’hui, plusieurs milliers de groupes sont présents en Angleterre, Irlande et en Ecosse sous l’oeil attentif de nombreux sociologues. L’Université de Durham, au nord-est de la Grande-Bretagne, possède même un centre de recherche en matière de croissance d’Église. Deux autres documents d’importance sont à signaler. En 2014, un groupe de recherche soutenu par l’Église anglicane publie les résultats d’une vaste enquête effectuée dans dix diocèses de l’Église anglaise. « From anecdote to evidence » cherche à identifier statistiquement quels sont les paramètres de la croissance de l’une de ces micro-églises. Il se penche sur huit critères de développement qui sont exploités, dès 2015, dans du matériel destiné à stimuler les initiants de ces groupes.
« From evidence to action » prend les contours d’un site internet qui propose des formations, de la documentation et un réseau d’acteurs.

Le réseau des « fresh expressions » est présent en Suisse et le Labo Khi est impliqué dans son élaboration. Les informations sont présentes sur le site freshexpressions.ch

L’évangélisation en Europe : tour d’horizon radiophonique

logoespace2En octobre 2014, l’émission A vue d’Esprit sur Espace 2 diffusait une série de 5 émissions consacrées à l’évangélisation en Europe.

Les Eglises d’Europe évangélisent à nouveau

Les rapides changements culturels, sociaux et religieux ont marginalisé les Eglises en Europe. Loin de baisser les bras devant la progression de la sécularisation, elles cherchent de nouvelles pistes.
Un tour d’horizon des grandes traditions chrétiennes présentes en Europe nous révèle des initiatives créatives, des lieux “laboratoires” et des changements profonds qui affectent ces institutions séculaires.
Le christianisme n’est pas moribond. Bien que sa présence dans l’espace public et la fréquentation de ses cérémonies soient en diminution constante, sa vitalité ne semble pas entamée. Depuis plus de quarante ans, les constats de recul ne laissent pas indifférents les responsables religieux. Mais les solutions ne sont pas évidentes et les recettes ne fonctionnent qu’un temps. Entre tradition et modernité, les Eglises sont contraintes à faire preuve de créativité pour se réinventer.
Les invités de cette série nous brossent le tableau des lieux dans lesquels se forgent les nouvelles offres, les incidences sur les institutions et les enjeux posés par cette évolution.
Une série proposée par Jean-Christophe Emery


lundi 6 octobre 2014

L’Eglise d’Allemagne à la reconquête de ses terres

Une recherche, publiée en mars 2014, montre que la pratique religieuse diminue dramatiquement en Allemagne. L’Eglise protestante allemande (EKD) s’en inquiète et cherche des parades à ces mouvements de désaffiliation. A mi-chemin entre la culture et la religion, de nombreuses initiatives génèrent de l’enthousiasme et du débat. Faut-il privilégier la tradition chrétienne au risque de ne pas être entendu ou faut-il chercher à tout prix des formes nouvelles au risque de quitter le giron du christianisme ? Fritz Lienhard, pasteur et professeur de théologie pratique à l’Université de Heidelberg ainsi que Frank Thomas, sociologue, nous donnent leur éclairage et montrent les enjeux d’une Eglise qui se cherche.

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mardi 7 octobre 2014

La nouvelle évangélisation catholique

Dès la fin des années 1980, l’expression “nouvelle évangélisation” s’est popularisée dans l’Eglise catholique romaine. Sa progression remonte au soutien de Jean-Paul II qui l’a trouvée en Amérique latine et l’a disséminée aux quatre coins du globe. Benoît XVI s’en est saisi et l’a réinterprété dans son exhortation apostolique “Evangelii Gaudium” (2013). Ce texte fait suite au synode des évêques qui, en 2012, a donné un nouvel élan à la dynamique missionnaire du catholicisme. Claire Lesegretain, grand reporter au journal La Croix (Paris), parcourt cette histoire et évoque avec nous l’actualité et les enjeux de cette “nouvelle évangélisation”.

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mercredi 8 octobre 2014

Les protestants français : une minorité active

Elle ne représente que quelques pour-cent de la population française, mais elle se montre très active. L’Eglise protestante unie de France (EPUF), résultant de la récente fusion entre réformés et luthériens, dispose même d’un poste à mi-temps dédié à l’évangélisation. Andy Buckler, titulaire du poste, est un pasteur issu de l’Eglise d’Angleterre. Il évoque les stratégies qu’il met en place et les initiatives locales ou régionales. Il évoque également les spécificités de l’approche réformée par rapport aux initiatives évangéliques ou catholiques.

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jeudi 9 octobre 2014

Le pragmatisme britannique fait ses preuves

L’Eglise d’Angleterre suis de près son déclin progressif. Non pas pour s’apitoyer sur son sort, mais bien pour chercher à mieux motiver ses troupes. A l’affût des moindres soubresauts statistiques, plusieurs organismes s’intéressent à l’évolution de la société pour fournir à l’Eglise anglicane de quoi travailler son avenir. Deux spécialistes des chiffres nous permettent de dresser le portrait d’une Eglise qui s’engage résolument dans un combat contre la sécularisation. Bev Botting est responsable des statistiques pour l’Eglise d’Angleterre. Peter Brierley est consultant indépendant. Il évoque la situation particulière de Londres qui enregistre, dans certains quartiers, des signes de progression religieuse.

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vendredi 10 octobre 2014

Le bourgeonnement des « fresh expressions »

Depuis dix ans, des formes de micro-Eglises ont colonisé progressivement le territoire britannique. On estime à 2’000 le nombre de ces groupes d’environ 40 personnes qui se rassemblent pour vivre leur vie chrétienne. Appelés “fresh expressions”, ces groupes sont très variés. Certains sont plus litugiques et méditatifs. D’autres s’intéressent aux businessmen de la city londonnienne. D’autres encore s’adressent aux familles avec enfants ou aux mères célibataires. George Lings est l’un des meilleurs connaisseurs de ces “fresh expressions”. Il nous résume leur histoire et nous explique le fonctionnement de ce que l’Eglise d’Angleterre nomme désormais son “économie mixte”, une cohabitation de l’ancien et du nouveau.

Cette évolution génère de l’intérêt de la part de nombreuses Eglises en Europe et aux Etats-Unis. En Suisse, la pasteure zurichoise Sabrina Muller est devenue la cheville ouvrière du mouvement. Elle consacre actuellement une thèse à cette nouvelles forme de communautés et nous explique comment elle inscrit ses propres initiatives paroissiales dans la créativité induite par les “fresh expressions”.

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Les « fresh expressions » s’organisent en Suisse romande

A la grande surprise des organisateurs, les romands ont été plus nombreux que les alémaniques lors de la deuxième Table Ronde consacrée aux « Fresh expressions » [fx] en Suisse. Plus de 50 personnes se sont rassemblées dans les locaux de l’Eglise Méthodiste de Berne pour une journée de partage d’expérience et de structuration du mouvement à l’échelon Suisse.

Le pasteur réformé Thomas Schaufelberger, l’un des membres du noyau actif, évoque le courage d’envisager des engagements pionniers sans garantie de résultat. Il parle également de la passion comme d’un ingrédient de base. Il poursuit par un tour d’horizon de la situation actuelle des fx en Suisse. Quatre groupes de travail sont à l’œuvre autour de la « journée d’impulsion » prévue le 1er Novembre à Zürich. L’invité sera le théologien américain Brian McLaren. Un second groupe documente les fx déjà répertoriées en Suisse, un troisième se charge du site web, un quatrième prépare les Tables rondes destinées à jalonner l’essor du mouvement. La prochaine se tiendra le 5 mars au Kirchgemeindehaus de Neumünster (Zürich).

Thawm Mang prend la parole pour nous présenter la « Sonntagszimmer » de Bâle dont il est le coordinateur. Cette fx de l’Eglise réformée est issue d’un projet socioculturel lié au quartier défavorisé entourant la « Matthäuskirche ». Un travail autour de la multiculturalité, de l’accueil à seuil bas, de l’implication de bénévoles a permis l’essor d’une journée du dimanche riche en offres. Entre 150 et 200 repas sont servis hebdomadairement et de nombreuses familles se sont rapprochées de l’Eglise.

Chris Forster des Eglises Chrichona présente le projet « Venue » à Diessenhofen (Th). Encore très embryonnaire, celui-ci consiste à conduire les personnes à vivre un premier service religieux. Une phase de lancement de deux ans s’oriente essentiellement vers le contact personnel au travers de la vie associative, de l’intérêt pour la culture, un travail avec des guides touristiques et une étude sinus milieus sont envisagés. Pour exprimer la nécessité de maintenir un lien avec son « église mère », il utilise l’image de l’explorateur ou du migrant qui, bien qu’éloigné de chez lui, maintient un lien avec son pays d’origine. En évoquant les changements culturels liés au développement de cette fx, son credo est très clair : « Il faut une génération pour change la culture. Il ne faut pas lutter contre la culture existante, mais s’engager pour développer une offre pour d’autres cultures ».

Outre ces contributions, les participants ont été invités à travailler à un document intitulé « mission statement ». Il servira de référence pour le développement du mouvement en Suisse.

A l’issue de la rencontre, les Romands ont fait un cercle autour des deux pasteures qui ont porté l’initiative de la participation des « Welsches ». Aude Roy-Michel (EERV) et Vanessa Trub (EPG) ont fait circuler la parole pour mieux cerner les attentes des participants francophones. Une table ronde francophone pourrait voir le jour et un voyage en Angleterre a été évoqué. Un noyau s’est constitué dans le but de faire progresser les fx en Romandie.

Une instigatrice des fresh expressions en Suisse

Sabrina Müller est probablement l’une des meilleures spécialistes des « fresh expressions » [fx] en Suisse. Et pour cause : cette pasteure vient de rédiger une thèse à l’université de Zürich sur la question. Loin des seules perspectives académiques, la jeune femme s’implique dans sa paroisse pour faire émerger ces nouvelles formes de communauté. De plus, elle donne 20% à 30% de forces bénévoles pour faire progresser le mouvement en Suisse. Interview.

Que peut-on dire sur l’état des fx en Suisse aujourd’hui ?

Il y a un intérêt grandissant d’Eglises de dénominations différentes et de nombreuses personnes qui s’intéressent à titre individuel ou commencent quelque chose. Avec notre Table Ronde, nous essayons de mettre ces personnes en réseau. Nous avons déjà quelques fx en Suisse, mais la documentation à ce sujet est encore très pauvre. J’ai moi-même commencé ce travail depuis cet été. Un exemple s’intitule la Sonntagzimmer (chambre du dimanche, à Bâle). Pour le moment, je dirais qu’il en existe une douzaine en cours de documentation, mais il en existe certainement davantage.

Comment réagissent les grandes Eglises à cette idée ?

De manière très contrastée. Quelques directions d’Eglises ont manifesté de la bonne volonté, mais aussi des remarques du genre : tant que cela ne coûte rien, vous pouvez vous lancer. J’ai l’impression que les plus grandes réticences viennent des pasteurs qui ont l’impression que leur travail n’est pas assez bon ou qui ont peur que l’on marche sur leurs plates-bandes. Mais il ne s’agit pas de cela. Les fx proposent des compléments à l’offre existante.

Y a-t-il de l’intérêt de la part de l’Eglise catholique ?

Oui, l’une de ces fx répertoriées est catholique. Dans le noyau qui cherche à coordonner le mouvement en Suisse, il y a Rudolf Vögele délégué pour l’Eglise catholique.

Comment le mouvement est-il organisé en Suisse ?

De manière très légère. C’était simplement des personnes qui avaient de l’intérêt. Dans mes rencontres j’ai proposé à différentes personnes de voyager en Angleterre et l’intérêt a grandi. Nous avons organisé une première rencontre suite à laquelle s’est constitué un groupe de pilotage interconfessionnel. Des Evangéliques, des Méthodistes, des Réformés des Catholiques, le mouvement Chrichona.

En Suisse on est parfois un peu méfiant vis-à-vis de l’étranger et ce type de mouvement pourrait être considéré comme un produit d’importation. Cela pose-t-il des difficultés ?

C’est parfois problématique. Des gens disent : oui, c’est très bien ce que vous faites, mais en Suisse c’est tout différent. Mais je le constate bien moins que pour d’autres mouvements qui viennent d’Australie ou des Etats-Unis. On peut dire qu’il s’agit ici d’une Eglise d’Etat. Et que l’Eglise anglicane d’Angleterre soit capable de se réformer est encore plus exceptionnel que d’imaginer la chose de la part de nos Eglises. Et pourtant ceci s’est produit au sein même de la structure institutionnelle. De plus les fx sont en phase avec la tradition comme avec l’innovation. Elles ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain.

Quels sont les prochains pas et les objectifs en Suisse ?

La Table ronde nous permet à la fois de créer du réseau et de valider le travail du noyau de pilotage. A la dernière Table ronde, le noyau a été légitimé. Nous n’avons pas de structure associative et aucun financement. On nous a dit : faites quelque chose et invitez-nous. Nous voulons faire connaître la chose auprès des directions d’Eglises et trouver des pionniers actifs sur le terrain. Je rêve de former des bénévoles capables de porter la chose et d’en faire la promotion.

Quels sont, à vos yeux, les principaux obstacles à l’arrivée des fx en Suisse ?

J’en vois plusieurs. L’idée que le ou la pasteur est responsable de tout. Là où est le pasteur se trouve l’Eglise. C’est un obstacle et c’était aussi le cas en Angleterre. Notre ecclésiologie très attachée au bâtiment Eglise et au culte dominical. L’autre question est celle de la tolérance. Pouvons-nous laisser d’autres formes et d’autres théologies cohabiter ? Les fx n’ont pas une seule théologie, mais des styles très variés et on parle d’économie mixte pour exprimer une collaboration entre ces formes. Cela implique une générosité et même une promotion de l’autre qui perçoit les choses différemment.

Et puis, les finances, bien sûr… il faudra des finances ! Dans le noyau, certains peuvent prendre un peu de temps professionnel, pour ma part, je travaille entre 20 et 30% de manière bénévole.

Quelles sont les grandes forces, comme vous les percevez ?

Je trouve que les fx sont très orientées vers les personnes, vers leur contexte, qu’elles croient et développent l’Eglise avec les gens. Elles ne partent pas de modèles ou d’images d’Epinal, mais de cette question : comment pouvons-nous trouver et vivre Dieu avec les gens ? Il ne s’agit pas de dispenser un enseignement, mais d’apprendre ensemble ce que peut être l’Eglise. Je suis moi-même en train de construire une fx. J’ai écrit une thèse et suis pasteure depuis cinq ans et je constate que je dois toujours et encore réviser mes clichés, malgré que je sois autant impliquée dans ce développement.

Pour moi c’est une grande chance pour l’Eglise d’être plus près des gens, de redécouvrir son caractère communautaire et sa dimension missionnaire. Les Eglises ont une responsabilité.

Vous pouvez m’en dire davantage sur la fx que vous construisez ?

Il y a différentes choses. Je suis dans une paroisse traditionnelle. Nous avons un projet de législation qui projette la création de trois à cinq fx d’ici quatre ans. Actuellement, je construis une fx de tradition contemplative. C’est pour des personnes qui aiment l’extérieur et ne sentent peut-être pas bien dans une Eglise, des personnes qui ont une sensibilité ésotérique et sont intéressées au spirituel. J’ai remarqué qu’en allant promener mes chiens, j’ai de nombreux contacts avec les gens. La plupart ont quitté la paroisse, mais les recherches et les questions sont présentes. Ce que nous construisons avec quatre femmes, c’est pour ces personnes : comment combiner la nature, les animaux et Dieu ? Contempler, manger ensemble et être une église de l’extérieur.

Pour montrer à ma paroisse que l’Eglise doit sortir de ses murs, nous avons pris en banc d’Eglise. Nous avons fêté le déménagement de ce banc et nous l’avons installé à l’extérieur. Et nous avons parcouru le village avec ce banc. Nous sommes allés à la kermesse du village avec le banc. Et puis, le premier août, les organisateurs nous ont écrit : « cher banc d’Eglise serais-tu d’accord de venir à notre fête ? » Et nous avons voulu dire : l’Eglise est présente là où sont les gens ! Et chaque fois il s’est passé des choses ! Nous avons plaisanté au sujet de l’Eglise ou simplement joué avec des enfants autour du banc. A la kermesse nous avons offert du thé sur le banc et fait des causeries. Nous avons constaté que beaucoup de personnes ont peur des locaux Eglise, c’est pourquoi nous avons chaque année un marché de Noël dans et autour de l’Eglise. Chez nous à Bäretswil (Zh) cela n’existait pas avant. Il n’y a pas non plus de place de jeux dans notre village. Nous avons donc installé une petite place de jeu à côté de l’Eglise qui est entretenue par des bénévoles et nous devons maintenant en faire une place plus conséquente de manière à combiner la chose avec des activités créatives pour les familles. C’est quelques éléments de base, nous avons encore bien d’autres idées. Le plus fort a sans doute été lorsque durant une année nous avons fait une action intitulée : l’Eglise de Bäretswil écoute. Nous avons envoyé les paroissiens dans le village pour récolter des indications sur les besoins et les joies. Et nous en sommes à la phase « l’Eglise de Bäretswil sort de ses murs » et nous avons développé un logo pour ces activités.

Quelles ont été les résistances à ces nouveautés ?

C’est très contrasté. Le conseil d’Eglise est très créatif et motivé. Ils me font confiance et je leur fais confiance. Nous formons un groupe soudé. Je ne pars pas sans eux. Je m’interroge sur le sens et ils me soutiennent et participent à ces actions. Il y a des résistances de fidèles qui ont l’impression qu’on leur enlève quelque chose. Ils ont peur du changement. Je leur dit que nous n’allons pas supprimer la tradition. C’est une bonne chose, et je le pense sincèrement ! Mais la vie est aussi dans le changement. Et certains domaines doivent changer. Et la balance entre ces deux discours n’est pas facile à trouver.

Propos recueillis par Jean-Christophe Emery.

Interview de George Lings, spécialiste des « fresh expressions »

Quelle est votre trajectoire personnelle ?
Ma vie professionnelle a commencé à la Banque d’Angleterre. Il y a quatorze ans, j’ai changé pour l’Eglise d’Angleterre. Depuis un quart de siècle, j’ai travaillé dans des Eglises paroissiales parfois comme assistant et finalement comme vicaire ou pasteur. Depuis les années 1980, j’ai développé un intérêt pour ce que l’on appelait à l’époque l’implantation d’Eglises, qui a été nommé « Fresh expressions of Church » (FXoC) par la suite. Et je m’y suis intéressé presque comme un hobby. Au milieu des années 1990, la « Church Army » a lancé une unité de recherche. Comme ils cherchaient un responsable, j’ai décroché cet emploi. Depuis 1997, nous étudions cette discipline par le biais d’exemples localisés mais aussi en essayant de comprendre les réalités plus larges.

En quoi consiste ce groupe « Church Army » ?
La « Church Army » a été fondée à la fin du XIXe siècle par Wilson Carlile. Cet homme a pris conscience que l’Eglise d’Angleterre était en contact bien plus étroit avec les classes aisées qu’avec les nécessiteux et les pauvres. Il était situé à Londres et a commencé à travailler avec des personnes pauvres, des sans-emplois. Ses préoccupations étaient doubles : d’une part de partager le message de Jésus-Christ, mais aussi d’aider ces personnes à améliorer leurs vies sur le plan social et économique. La Church Army travaille depuis 130 ans avec des groupes très éloignés de l’Eglise. Aujourd’hui ce ne sont pas que des pauvres, mais aussi des personnes bien intégrées. De nombreuses personnes n’ont aucune expérience de l’Eglise vivante et ne connaissent rien de l’essence du message de Jésus.

Quelles sont les relations entre la « Church Army » et l’Eglise anglicane d’Angleterre ?
Nous pensons que nous faisons partie de l’Eglise d’Angleterre, mais une partie du génie de cette église est qu’elle ne cherche pas à contrôler tout ce qui lui appartient. Donc, même comme membres de cette Eglise, nous dirigeons notre affaire de manière autonome. Nous formons nos collaborateurs dont la plupart travaillent avec et pour l’Eglise d’Angleterre. D’une certaine manière nous sommes comme un ordre religieux missionnaire ou monastique qui a sa propre vie, mais appartient à un corps plus large.

En quoi consiste votre travail et pour qui travaillez-vous ?
Je suis donc employé de la Church Army, mais les bénéficiaires de mon travail sont l’Eglise d’Angleterre et d’autres dénominations. Si je regarde les quinze dernières années, nous avons principalement fait deux choses : nous avons collecté un grand nombre d’histoires de ces initiatives particulières. Elles stimulent l’imagination des gens et montrent les possibilités réelles de ce que l’on peut faire. Plus récemment, depuis 2011 c’est devenu l’essentiel de notre travail, nous avons pris conscience que nous avons besoin de statistiques plus complètes sur ce phénomène appelé « Fresh expressions of church » (FXoC). Les personnes avec un esprit ouvert étaient disposées à tester de nouvelles formes d’Eglises, mais personne ne savait si elles fonctionnaient et si elles duraient. Et nous nous sommes intéressés à ces deux questions.

Peut-on situer quelques éléments de l’histoire de ces FXoC ?
Je dirais que leur histoire remonte au moins aux années 1970. L’Eglise d’Angleterre a décidé de fonder de nouvelles Eglises dans les régions où les habitants étaient trop éloignés des communautés existantes. Durant les années 1980, 1990, les gens ont pris conscience qu’il est aussi important de créer de nouvelles Eglises pour des personnes éloignées sur le plan culturel et non pas seulement géographique. Des groupes ont donc démarré et l’Eglise d’Angleterre a dit : « nous devons étudier la chose ». Le document le plus fameux a été publié en 2004. C’est un rapport national intitulé : « L’Eglise orientée par la mission ». J’ai d’ailleurs contribué à rédiger ce document. Ce document a montré à l’Eglise ce qu’elle était en train de faire et a poussé l’Eglise à poursuivre plus intensément dans cette direction. Notre dernière recherche a montré qu’en matière de démarrage de nouvelles communautés, nous avons aujourd’hui quatre fois plus d’activité qu’il y a dix ans.

Y a-t-il eu une influence de la part du mouvement de croissance d’Eglise né dans les années 50 aux Etats-Unis ?
Historiquement, il y a une faible influence. Le mouvement de croissance d’Eglises américain est arrivé dans le grand public en 1975 en Angleterre. Il a aidé l’Eglise à considérer la croissance comme un phénomène normal auquel on peut réfléchir de manière intelligente. Cette influence n’a pas été très forte et aujourd’hui l’intérêt part plutôt d’Angleterre en direction des Etats-Unis. Cette semaine je rencontre des responsables de l’Eglise presbytérienne américaine qui s’intéressent à ce que nous découvrons dans les FXoC. Je crois que les FxoC vont au-delà de ce que le mouvement de croissance américain envisageait.

L’émergence des FxoC a-t-elle généré des tensions avec les paroisses traditionnelles ?
Je dirais que longtemps le niveau de conscience de la formation de ces nouveaux groupes a été très faible. Il y a eu des désaccords à propos de l’utilité de ces groupes, mais l’ancien évêque, Dr Rowan Wiliams, et l’actuel, Justin Welby, ont permis de maintenir ces tensions à un niveau acceptable. Nous utilisons l’expression d’« économie mixte », qui nous permet de valoriser l’ancien et le nouveau. Nous n’essayons pas d’uniformiser et nous aimerions que chacun puisse respecter et valoriser l’autre. Notre recherche a montré que l’arrivée des FXoC n’a, en règle générale, pas conduit à des tensions. Il ne serait pas correct de dresser un tableau angélique non plus. Au cours des dix dernières années, un certain nombre de livres critiques à l’égard du mouvement des FXoC a été publié. Dans une Eglise ouverte, nous n’avons pas peur du débat. Les points de vue des uns et des autres nous permettent de progresser.

Qui peut revendiquer le label « FXoC » et prendre le logo ? La chose doit-elle passer par une autorité de l’Eglise qui valide le groupe ?
L’Eglise d’Angleterre n’essaie pas de contrôler trop strictement tout ce qui émane d’elle. Nous apprenons à accueillir la créativité et le cadre est à comprendre dans un sens plutôt relationnel que légal ou managérial.

Y a-t-il des limites ?
L’évolution du mouvement nous montre que nous devons changer nos conceptions à propos des limites. Comme exemple, nous aurions, dans le passé posé des limites comme « il faut se réunir le dimanche », « le groupe doit être conduit par un ecclésiastique – à l’époque, seul un homme pouvait le faire » , « il faut reconstruire une structure paroissiale au niveau des responsabilités » , « il faut offrir ce type de services », etc. Nous prenons conscience qu’il se passe quelque chose de plus profond. Une FXoC a besoin d’un jour pour se rencontrer, d’une forme de célébration, d’une forme de gestion de la direction, mais cela n’a pas toujours besoin d’être identique à ce qui s’est toujours fait. Ainsi parlons-nous souvent de l’ADN de l’Eglise. Dans le sens qu’au plus prof de la réalité de l’Eglise, il y a des instincts, des principes importants, mais il en va comme pour l’ADN humain, deux personnes ne sont jamais identiques et certaines ne se ressemblent pas beaucoup. Nous apprenons que c’est aussi vrai au sein de l’Eglise.

Avez-vous constaté des excès de certains groupes qui allaient trop loin ?
Les exemples de ceci sont très rares. En fait votre question pourrait être retournée dans l’autre sens. Certaines FXoC pourraient d’elles-mêmes se désolidariser de l’Eglise d’Angleterre. Notre recherche des deux dernières années s’est étendue sur 500 exemples de FXoC. Seules deux d’entre elles ont quitté l’Eglise d’Angleterre. Aucune n’a été fermée d’autorité par l’Eglise d’Angleterre. Il ne faut pas surévaluer les risques de dérive. L’immense majorité est en très bons termes avec les paroisses desquelles elles sont issues et elles sont valorisées au sein de leurs diocèses.

Ces FXoC sont-elles perçues, par le grand public, comme étant rattachées à l’Eglise d’Angleterre ?
La plupart de la population anglaise sécularisée n’a pas même conscience de ce phénomène. Mais ces personnes ne savent pas grand-chose non plus au sujet de l’Eglise d’Angleterre elle-même. Ce qui est intéressant, à mon sens, c’est que les personnes qui ont commencé à fréquenter ces FXoC sans expérience religieuse préalable nous disent « oh ! C’est donc ça l’Eglise ! ». Lorsqu’il s’agit de parler de l’Evangile et de prêter attention aux plus faibles, ces personnes se rendent bien compte que c’est l’Eglise. Et les responsables leur permettent de prendre progressivement conscience que cette offre s’inscrit dans une réalité plus vaste appelée « l’Eglise d’Angleterre ».

Ces FXoC sont-elles destinées à regarnir les bancs des paroisses traditionnelles ?
Non. Ce n’est pas le cas. Dans la définition des FXoC l’objectif est d’être orienté sur des personnes qui ne fréquentent pas de paroisse. Ainsi ces nouveaux groupes deviennent leur Eglise. Le but n’est pas de ramener ces personnes aux paroisses classiques. Nous nous percevons comme une famille d’Eglises dans laquelle l’ancienne génération et la nouvelle génération vivent ensemble.

Certaines paroisses traditionnelles bénéficient-elles de l’émergence de nouvelles FXoC ?
Les bénéfices vont dans les deux sens. Au début, les paroisses traditionnelles peuvent fournir des ressources financières et humaines. Au moment où ces nouvelles formes progressent en nombre et en vigueur, elles peuvent enseigner certaines leçons aux paroisses.

L’Eglise d’Angleterre est traversée de plusieurs courants théologiques. Peut-on qualifier les FXoC comme étant plus fortement typées comme « évangéliques » ?
On parle de quatre courants au sein de l’Eglise d’Angleterre, les anglo-catholiques, les libéraux, les évangéliques et les charismatiques. Fréquemment, les membres se définissent comme appartenant à plusieurs courants. Notre recherche a montré que pour cette raison, il est assez difficile de répondre à votre question. Je dirais néanmoins que la tradition évangélique est associée plus étroitement aux FXoC, les charismatiques et les libéraux dans une moindre mesure. Dans certains diocèses, le courant central (libéraux) est même le mieux représenté. L’image est très diversifiée, il existe également des exemples au sein du courant anglo-catholique. Ce qui me semble déterminant, c’est que tous les courants théologiques peuvent envisager ces nouvelles formes s’ils le souhaitent.

Ces FXoC sont-elles essentiellement un phénomène urbain ?
Répondre à cette question était précisément l’un des buts de notre recherche. Nous avons donné aux sondés 11 catégories différentes pour définir l’environnement de leur Eglise. Du cœur des villes, aux banlieues riches ou pauvres, des villages-dortoirs ou des régions reculées. Des FXoC sont présentes dans tous les contextes. Les villes sont le mieux représentées avec 17% des réponses. Le spectre est très large, ce qui nous réjouit parce que notre réflexe anglican nous pousse à être en lien avec des personnes à travers tout le pays.

Ces FXoC sont-elles un phénomène de marque et de mode ?
Il est vrai que certaines FXoC ressemblent plutôt à des marques. Par exemple, ce que l’on appelle les « messy churches » (les églises en désordre). Une Eglise en désordre fonctionne sur un dispositif de valeurs qui l’identifie facilement. Un autre exemple serait celui des églises-café qui utilisent certains codes du monde du marketing. L’approche des marques concerne peut-être 2/5 des FXoC, je pense que cette accusation est partiellement correcte, mais on peut retourner la chose : l’Eglise d’Angleterre n’a-t-elle pas offert durant longtemps de la musique classique à des femmes de classe moyenne de manière très analogue ? Je pense que nous devons dépasser cette question pour apprendre à reconnaître qu’il y a une grande santé à reconnaître la variété des formes de communautés.

J’aimerais en savoir un peu plus sur les « messy churches »
Ce mouvement est né en 2004 à Portsmouth, sur la côte sud de l’Angleterre, avec Lucy Moore. Quelques valeurs sont présentes dans ces communautés. L’une d’entre elles est que l’Eglise doit s’adresser aux personnes de tout âge. Elle est donc orientée sur les familles, non seulement les enfants. La créativité est particulièrement soulignée, en particulier dans les formes de célébration. L’hospitalité est une autre valeur centrale, et la rencontre d’une « messy church » inclut en général un repas. D’autres éléments comme l’importance du culte et la centralité de Jésus Christ sont plus communs. Avec la présence de ces cinq éléments, on considère un groupe comme une « messy church », mais la forme des rencontres n’est pas normative.

Certaines critiques sur ces FXoC estiment que ces nouvelles formes porteraient ombrage aux formes plus anciennes.
Oui, il est vrai que le mot « fresh » peut faire penser que les autres formes sont à considérer comme l’opposé, c’est à dire « stagnantes » [stale]. A mon avis ce n’est pas le cas. D’ailleurs l’une des vingt formes de FXoC que nous avons identifiées consiste à réinventer les services religieux traditionnels. La question n’est pas de jouer l’ancien contre le nouveau, mais de poser la question : cela permet-il d’entrer en proximité avec les personnes auprès desquelles Dieu nous envoie. Parfois la réponse tout à fait traditionnelle est la bonne. Dans d’autres cas, cela ne servirait à rien et les questions à se poser devraient engendrer de la créativité. Il ne faut pas voir d’opposition.

Pourrait-on avoir quelques chiffres sur l’expansion de ces FXoC ?
Durant les deux dernières années, notre petite équipe a effectué une vaste recherche dans dix diocèses. Ceci représente un quart de l’Eglise d’Angleterre. A ce stade, nous ignorons si les trois autres quarts nous donneraient confirmation de ces chiffres. Nous avons néanmoins ciblé des diocèses représentatifs en terme de taille et de contexte. Nous y avons trouvé plus de 500 FXoC, ce qui pourrait nous indiquer qu’il en existe environ 2’000 en Angleterre. On peut considérer d’une communauté sur six est aujourd’hui une FXoC. Nous savons que les personnes qui fréquentent ces FXoC représentent 10% des fidèles. Nous savons encore que, dans une très large mesure, la croissance de ces groupes parvient à endiguer le déclin des diocèses. Une autre découverte très encourageante, c’est le fait que 40% des participants à ces FXoC est âgé de moins de 16 ans. Ce qui est deux fois plus que dans les paroisses traditionnelles. Ceci nous donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

Comment expliquez-vous ce succès ?
Un certain nombre de responsables religieux ont évolué dans un climat qui a reconnu qu’il « fallait faire quelque chose de différent ». De plus en plus de personnes ont été disposées à prendre des risques pour faire des expériences. Nous vivons dans une Eglise qui laisse une grande marge à la créativité et qui apprend en cours de route plutôt que d’avoir la certitude absolue avant de commencer quelque chose. Tous ces facteurs ont beaucoup aidé. Nous vivons aussi dans un climat spirituel dans lequel beaucoup de personnes se disent : « il y a des choses très importantes dans la vie qui ne sont pas d’ordre mercantile » . Les gens cherchent des réponses et du signifiant. Voici quelques éléments, mais il y en a sans doute bien d’autres.

Comment voyez-vous l’avenir ? Les FXoC vont-elles prendre le dessus à terme ?
Bien entendu, je n’en sais rien. Je pense à un diocèse, au milieu de ce pays, dans lequel l’évêque a déclaré publiquement : « en 2030, nous estimons que la moitié de nos Eglises devraient être des FXoC ». Il a commencé à préparer des responsables pour travailler dans cette direction. Cela pourra-t-il se généraliser, ce n’est pas certain. Nous avons des raisons de penser que l’Eglise traditionnelle va continuer à être utile à une partie de la population. Et je m’en réjouis. Et nous devons continuer à penser en termes d’économie mixte.

Propos recueillis par Jean-Christophe Emery, mai 2014.

L’Eglise anglicane britannique et les statistiques

Interview de la Dr Bev Botting, responsable du département des statistiques du Conseil de l’archevêque.

En quoi consiste votre travail ?
Mon travail consiste à collecter des données sur la base desquelles l’Eglise anglicane anglaise peut définir sa politique. Je m’assure également que nos églises et paroisses aient des informations relatives à leurs régions et les populations qui y vivent pour qu’elles puissent disposer des meilleures données leur permettant de faire croître l’Eglise.

Vous collectez des données pour les mettre à disposition des paroisses et Eglises ?
La plupart des données que je traite viennent des Eglises et des paroisses. Nous transformons les données numériques en informations exploitables. De nombreux volontaires récoltent ces données et nous en tirons le meilleur.

Quelle est la différence ente votre travail et celui d’un sociologue indépendant ?
La situation de l’Angleterre est complexe. Nous avons environ 60’000 paroisses qui offrent une grande variété de formes. Les données utilisées au niveau national – ce que je faisais lorsque je faisais de la recherche sociale – ne tiennent pas vraiment compte de la diversité en taille, en population des paroisses. C’est le premier facteur explicatif. Le second c’est de prendre en considération que les données statistiques nationales s’intéressent à toutes les croyances et même à ceux qui n’ont pas d’appartenance. Nos statistiques concernent uniquement les personnes qui participent à des groupes de l’Eglise anglicane britannique.

Chaque groupe, chaque paroisse remplit régulièrement des informations statistiques ?
Nous demandons à toutes les Eglises de nous envoyer chaque année deux indications statistiques. La première concerne le nombre de personnes dans la congrégation, ce qui inclut le nombre de visiteurs en moyenne le dimanche. Nous comptons les personnes présentes les 4 premiers dimanches d’octobre, ce qui nous permet de mesurer la variation en taille. Nous avons aussi des informations sur les baptêmes, les mariages, les enterrements. Les autres informations sont de nature financières.

D’après vos chiffres, que sait-on de la progression ou de la régression des paroisses ?
Les dernières statistiques publiées datent de 2012. Elles ont été récoltées sur une base volontaire. Tout le monde ne joue pas le jeu. Nous avons des information de 85% des paroisses, et ce sur une période de 8 à 10 ans. Nous avons pu montrer que la moitié des Eglises maintient son affluence. Un quart diminue et un autre quart progresse. Ceci nous semble intuitivement correspondre à l’image globale qui montre que ces dernières années, la fréquentation totale de nos congrégations évolue de moins d’un pourcent par année.

Quelles sont les communautés qui progressent ?
Nous sommes chanceux en Angleterre, parce que la Commission ecclésiastique a dégagé un budget important pour comprendre les facteurs liés à la croissance des paroisses. Les premiers résultats sont disponibles et je dois tout de biblessuite signaler que nos conclusions ne sont pas définitives. Mais nous avons pu suggérer de bonnes pistes d’exploration. Manifestement les « fresh expressions » sont une forme d’Eglises qui connaissent un immense succès avec l’implantation d’Eglises. Ce sont donc des paroissiens qui essaiment et démarrent une nouvelle communauté. Ces nouveaux groupes ont progressé de 350%. Donc si quatre personnes ont démarré un nouveau groupe, ils sont dix de plus aujourd’hui, ce qui est une excellente nouvelle. Cette recherche a montré d’autres résultats que nous cherchons à interpréter. Nous avons pu identifier des motifs de croissance numérique, mais nous n’en avons pas encore analysé les relations de cause à effet. Nous nous intéressons en particulier aux jeunes, l’évidence suggère que les Eglises qui grandissent ont davantage d’enfants et de jeunes. Nous avons découvert que la moitié des 60’000 Eglises n’ont que 5 enfants au maximum qui participent régulièrement aux cultes. Et si les Eglises qui grandissent sont celles dont les enfants participent activement aux cultes, nous avons besoin de mieux comprendre cela. Nous travaillons aussi sur les « fresh expressions » et la manière dont ces groupes sont capables de nourrir les nouveaux arrivants, et ce indépendamment du destin des « fresh expressions ». Nous savons que certaines d’entre-elles ne durent pas longtemps. Par exemple, si elles rejoignent des paroisses existantes.

Nous venons de démarrer l’analyse de la pratique qui consiste à fusionner des paroisses, ce que nous appelons un amalgame. Certains estiment que ce n’est pas une bonne idée, mais nous avons des exemples marginaux qui montrent d’autres signes. Selon le type d’Eglises, par exemple une congrégation vieillissante, il s’agira peut-être de faire un meilleur usage des compétences du ministre ordonné. Nous avons encore beaucoup de travail pour comprendre l’impact de ces amalgames de paroisses. Certains ministres sont convaincus qu’en formant une équipe avec d’autres le travail serait plus efficace parce que les compétences des uns et des autres seraient réunies.

Le problème se situe lorsque les paroisses qui fusionnent sont dans des régions rurales et qu’elles sont très éloignées les unes des autres. Il y a alors peu de ministres qui doivent couvrir d’énormes superficies pour aller d’une Eglise à l’autre. Nous n’avons pas encore les réponses, et nous avons encore beaucoup d’énigmes à résoudre pour mieux comprendre cela.

Y a-t-il de grandes différences entre les milieux urbains et ruraux ?
Il y a des différences. Je ne dirais pas de grandes différences. Mais les contextes sont très différents. Dans un contexte urbain on a tendance à trouver de la croissance. Je prends l’exemple du diocèse de Londres. Faut-il attribuer la progression au contexte urbain ou au fait que la population y est plus jeune que la moyenne nationale ? Dans les milieux ruraux la population qui fréquente les paroisses est vieillissante. Nous avons besoin de mieux comprendre ce qui, dans le contexte rural, ne parvient pas à intéresser les jeunes. Cela pourrait simplement être lié au fait que la population rurale est, en général, plus âgée que la moyenne.

Quelle est la relation entre les courants théologiques au sein de l’Eglise anglicane et la progression des paroisses ?
C’est une excellente question parce que c’était l’une des questions principales que les gens se posaient lorsque nous avons débuté ce travail de recherche sur la croissance de l’Eglise. L’hypothèse était que le courant plus évangélique, au sein de l’Eglise anglicane serait davantage en croissance. Mais les premiers résultats montrent qu’il n’y a pas de différence statistique significative entre les membres de ces différents courants. C’est une grande surprise pour beaucoup.

Peut-on identifier si les progressions et régressions sont plutôt liées à des facteurs internes (motivation, stratégie) ou à des facteurs externes (environnement, migration) ?
Les deux choses se combinent en une image complexe. Nous savons que dans les villes, la croissance des Eglises par la migration est importante. L’impact de la population environnante est incontestable. Mais nous cherchons aussi du côté des facteurs internes. Par exemple nous nous sommes intéressés aux paroisses qui ont élargi leur offre pour les enfants. Et des signes de croissance sont présents. C’est aussi le cas dans les paroisses qui font preuve de motivation pour grandir.

Une des choses qui a été faite dans ce programme de croissance c’est de suggérer que certaines congrégations devaient envisager de changer. Certains sont très heureux avec leurs membres actuels et ne voient pas que c’est leur rôle de grandir. Il y a certainement des facteurs internes que nous avons besoin de mieux identifier. Il se pourrait qu’il faille changer la culture au sein des Eglises pour qu’une croissance devienne effective.

Qu’en est-il des « fresh expressions » ?
Il y a deux types de « fresh expressions ». Les unes ne sont pas des congrégations au sein d’une paroisse. Elles ne se réunissent pas forcément dans une Eglise – donc le bâtiment – mais plutôt dans une école ou un café, mais elles sont associées à une paroisse locale. Alors que d’autres sont considérées comme des Eglises indépendantes des paroisses. Elles peuvent rester complètement autonomes. Au total il en existe 20 types différents. Les plus fameuses en Angleterre sont celles qui sont les Eglises « brouillon ». D’autres sont actives dans des centres communautaires, des cafés ou des bars. Plus de la moitié d’entre-elles ne se rassemblent pas dans un bâtiment ecclésial. L’élément le plus important est que ces groupes cherchent à être au service des gens hors du rayon d’action des paroisses.

Plus de la moitié sont menée par des laïcs et beaucoup de ces personnes n’ont pas même de formation académique. Elles sont dirigées à part égales par des hommes et des femmes. La taille de ces groupes est en moyenne plus petite qu’une paroisse. La taille moyenne est de 44 personnes. Environ 2/3 d’entre-elles enregistrent une croissance sur le long terme. Un quart environ diminue et 10% disparaissent. En comparaison aux paroisses traditionnelles, la croissance est importante, mais il y a aussi du déclin.

churchhQuelle est l’importance que l’Eglise Anglicane accorde à ces statistiques ?
Pour moi, évidemment, c’est essentiel. C’est utile pour les communautés locales de mieux connaître le contexte de leur congrégation. Cette information peut leur permettre de mieux profiler la forme de mission qui sera à même d’attendre les personnes du voisinage et donc la plus efficace pour faire grandir l’Eglise. Pour moi c’est la clé. Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre la croissance au niveau national de manière à définir des politiques au plan national et diocésain, donc régional. Par exemple pour l’allocation des ministres ordonnés.

J’ai entendu parler d’un laboratoire de recherche et développement. Est-il lié à l’Eglise anglicane ou est-il autonome ?
Ce n’est pas un laboratoire isolé. Nous avons identifié différents aspects de la vie d’Eglise pour offrir des recherches détaillés dans différents domaines. Une recherche a été conduite par le Dr David Voas de l’Université d’Essex. Il s’est intéressé aux facteurs qui ont eu une influence sur la croissance ou le déclin des Eglises et des paroisses. D’autres recherches ont été menées par un autre groupe de chercheurs situés à Durham (au Nord de l’Angleterre). Ils se sont intéressés à la croissance dans les cathédrales. En Angleterre, la fréquentation des cathédrales a enregistré une croissance continue ces 10 dernières années. C’est presque uniquement le fait de fréquentations durant la semaine qui a presque doublé. Ce groupe de Durham s’est donc intéressé aux offres de célébrations qui sont faites en semaine. Un autre groupe à Oxford a également mené des recherches. Ils se sont intéressés à l’implantation de nouvelles Eglises. Lorsqu’un groupe de paroissiens décide de fonder une nouvelle communauté en quelque sorte fille de la première. Donc il n’y a pas qu’un seul laboratoire et l’approche n’est pas statique puisque ce que nous faisons, c’est de collecter les données qui viennent de différents rapports et d’effectuer des propositions sur les choses à faire. Nous sommes donc en chemin vers la compréhension en vue de donner de bons conseils aux Eglises.

Il y a eu en 2013 un débat au sujet de la sécularisation. Un professeur écossais et un chercheur de l’université de Durham se sont affrontés pour savoir si la sécularisation progresse ou non. Comment vous situez-vous dans cette controverse ?
Je réponds avec un point de vue statistique à cette question. Il y a eu un recensement national en 2011. Il a montré que la proportion de personnes qui se déclarent chrétiennes a chuté depuis le dernier recensement de 2001. En 2011, 59% de la population se considère encore comme chrétienne. C’est toujours une majorité substantielle de la population. Les athées et les agnostiques sont en progression, de même que les croyants d’autres religions.

Pensez-vous que l’Eglise Anglicane touche-t-elle un plancher et va-t-elle désormais progresser ?
C’est mon espoir personnel. Les statistiques montrent que le déclin est bien moindre que ce que les médias présentent en général. Il y a des signes de croissance très prometteurs dans différentes régions. Et donc, oui, nous avons tous besoin de comprendre les bons exemples, pourquoi les choses fonctionnent, dans l’idée de les transposer ailleurs. Je crois qu’il y a encore un désir humain d’en savoir davantage et de faire partie de la communauté des croyants, mais manifestement, le message doit être concernant et montré de manière intéressante. Et dans ce sens, je crois que les « fresh expressions » ont vraiment trouvé des valeurs permettant de porter l’Eglise à des communautés de personnes qui n’avaient jusque là aucun engagement dans la vie d’Eglise.

Propos recueillis le 1er mai 2014 par Jean-Christophe Emery

L’Eglise d’Angleterre est fascinante

En séjour au pays de Sa Majesté, l’occasion m’est donnée de rencontrer quelques chercheurs et experts en matière de statistiques et d’autres (parfois les mêmes) en matière de Church Growth, c’est à dire « Croissance d’Eglise ».

De nombreux chiffres indiquent que les Eglises progressent dans certaines régions et régressent dans d’autres. L’intérêt réside non pas dans les grandes généralités, mais dans les motifs explicatifs de ces évolutions. Bien entendu, les facteurs externes sont nombreux : réalités économiques ou flux migratoires qui infléchissent la géographie des populations. D’autres facteurs sont liés à la globalisation du christianisme, aux mouvements charismatiques et aux méga-églises. Des éléments internes jouent également un rôle. Plusieurs chercheurs et instituts se sont spécialisés dans l’analyse des données statistiques en vue de proposer aux ministres et aux laïcs des outils de travail. Le pragmatisme britannique est en action permanente. La formule magique du graal de la progression numérique hante les uns et fait sourire les autres.

Peter Brierly

Selon Peter Brierley, réputé comme l’un des meilleurs connaisseurs des statistiques du christianisme britannique, l’Eglise d’Angleterre est au centre de toutes les attentions. La ville de Londres en particulier. Elle cumule le privilège de rassembler une large proportion des pratiquants anglais mais surtout, la progression numérique de certains quartiers intrigue largement. A ses yeux, cette évolution démontre pour la première fois un infléchissement de la sécularisation. Mais cette proposition fait débat. Selon Steve Bruce de l’université d’Aberdeen (Ecosse) la sécularisation progresse encore. Le révérend David Goodhew s’inscrit en faux dans un débat qui agite les milieux spécialisés depuis 2013.

David Goodhew

David Goodhew, à la tête du Centre for Church Growth Research, s’échine à promouvoir la progression du christianisme. Son institut, rattaché à l’Université de Durham, au nord de l’Angleterre s’efforce d’exploiter les résultats statistiques pour définir les causalités et élaborer des formations pour les personnes engagées dans les communautés. Dans ce processus, une mise en lumière théologique est un processus indispensable, ajoute le chercheur. Pour David Goodhew, les groupes évangéliques voire charismatiques ont le vent en poupe. Les statistiques londoniennes le confirment en ajoutant la notion d’église ethnique. Mais certains groupes « libéraux » enregistrent également des progressions. Ainsi, l’affluence dans les cathédrales du pays est-elle en forte augmentation et de nombreux programmes permettent aux touristes de passage d’assister à un service religieux ou de participer à une proposition spirituelle.

Bev Botting dirige le service des statistiques de l’Eglise anglicane d’Angleterre. Elle commente la récente recherche from anecdote to evidence publiée au début de l’année 2014. Nous avons tenté d’identifier les éléments qui entrent en corrélation avec les paroisses qui grandissent. Nous nous intéressons en particulier aux jeunes. L’évidence suggère que les Eglises qui grandissent ont davantage d’enfants et de jeunes. Nous avons découvert que la moitié des 60’000 Eglises du pays n’ont au maximum que 5 enfants qui participent régulièrement aux cultes. Et de toute évidence, les Eglises qui grandissent sont celles dont les enfants participent activement aux cultes. L’un des intervenants de la Conférence sur la croissance des Eglises londoniennes, le professeur émérite David Martin renchérit : je suis convaincu que le déclin des paroisses traditionnelles est moins lié aux personnes qui ont quitté la religion qu’à leur incapacité à socialiser les enfants.

Autre élément de progression : nous avons constaté que chaque personne engagée dans un mouvement pionnier a été capable de fidéliser 2,5 personnes nouvelles se réjouit Bev Botting. En filigrane, elle désigne les désormais fameuses Fresh Expressions of Church. Ces groupes ont émergé dès les années 70 explique George Lings, un autre sociologue engagé par un groupe indépendant, la « Church Army »., également expert dans ces nouvelles formes de communautés. Le phénomène alors marginal s’est très largement imposé comme l’Eglise montante dès 2004, à la publication d’un rapport sur l’Eglise d’Angleterre : mission-shaped church. Ce document, devenu un best-seller, a popularisé la notion de « Fresh Expression » et normalisé ainsi 15 types de groupes différents. Aujourd’hui ces églises sont estimées à 2’000, elles se déploient dans 20 formes canoniques. Certaines naissent et progressent, d’autres meurent. Environ un quart d’entre-elles enregistrent des progressions, précise Bev Botting. Quant on l’interroge sur les dérives de ces groupes très autonomes vis-à-vis de l’autorité ecclésiastique, George Ling se lance dans une nouvelle démonstration du pragmatisme flegmatique qui pétrit sa culture : « ces groupes ont un ADN commun qui permet à leurs membres de se sentir proche de l’Eglise Anglicane. Nous n’avons pas besoin de contrôle plus strict. Les groupes les plus marginaux s’éloignent d’eux-mêmes et les cas sont extrêmement rares ».

Influencées par cet élan de fraîcheur, certaines paroisses traditionnelles trouvent des forces pour soutenir de nouvelles implantations de Fresh Expressions. Et si Justin Welby, l’archevêque de Canterbury parle d’économie mixte, il faut constater que la cohabitation entre les différentes initiatives ne semble pas porter de préjudice. Un débat a néanmoins lieu autour de formes de concurrence entre groupes ou à propos de l’aspect éphémère de certains noyaux.

Pour poursuivre : Une édition de Hautes Fréquences, sur La Première, consacrée aux Fresh Expressions.

L’Église émergente en contexte anglophone

Andy Buckler est permanent de l’EPUF chargé de formation et d’évangélisation. Ancien ministre de l’Eglise anglicane d’Angleterre à Oxford. Il a également exercé en Russie, puis en France, à Mantes-la-jolie.

Andy Buckler est le « monsieur évangélisation » de l’Eglise Protestante Unie de France. Issu de l’Eglise anglicane du Royaume Uni, il nous propose une perspective historique et contemporaine sur la recherche autour de ce que le monde anglo-saxon appelle « l’Eglise émergente ».
Voici les notes de cette contribution faite le 31 mars 2014 à l’Université de Strasbourg, dans le cadre de la journée d’étude consacrée à l’évangélisation.

Le titre de cette contribution est ambigu : l’ « Eglise émergente » n’est pas un bloc uniforme. C’est un mouvement, un ensemble très divers et innovateur. Le contexte anglophone est fragmenté en une multitude de sous-cultures !

Les mots « évangélisation » et « mission » ont évoqué, dans l’histoire, deux dynamiques différentes. La mission désignait la réception de l’Evangile dans des cultures étrangères (inculturation). Alors que l’évangélisation était considérée comme la tâche de l’Eglise dans un contexte historiquement chrétien, destinée à renouveler le message. La mission est dialogue entre message évangélique et culture en vue de la création de quelque chose de nouveau. Cette démarche est plus complexe que la seule annonce de l’Evangile.

En vertu des bouleversements culturels actuels la distinction entre mission et évangélisation perd de sa pertinence. L’Eglise doit à nouveau devenir missionnaire. C’est un défi en Europe anglophone.

L’idée de percevoir le contexte socio-culturel comme une terre de mission vient de Brian McLaren (USA). Pour lui, un nouveau monde appelle à une nouvelle Eglise. Il s’agit de repenser la théologie. Ainsi naît le mouvement des Eglises émergentes en Amérique du Nord. Il se fonde en opposition aux Eglises historiques (main stream). En Angleterre, la dynamique s’exprime autrement. Au sein des structures de la Church of England (CoE), de nouvelles formes d’Eglises sont fondées en cohabitation souple et créative – il s’agit des fameuses « Fresh Expressions ».

Constatant l’écart grandissant entre Eglise et société, la CoE envisage un repositionnement radical. Ceci s’opère en trois temps successifs.

  1. 1945-1985 : la priorité consiste à présenter à nouveau une foi reçue dans l’enfance. Les outils principaux sont la prédication et la réunion d’évangélisation. De nombreuses paroisses organisent des « temps de mission » en sollicitant la présence d’un évangéliste dans le style Billy Graham. Au centre, la notion de réveil et donc l’appel à la conversion (relativement rapide). Cette perspective fait appel à du connu pour le stimuler.
  2. 1980-2000 : Le modèle précédent fait place à l’idée de présenter la foi à ceux qui n’ont pas grandi avec une éducation religieuse. Cependant les fruits sont décevants et le recul se poursuit. L’approche est de moins en moins frontale. Exemple avec les parcours de découverte de la foi (Alpha). On envisage l’adhésion par l’expérimentation et le cheminement collectif. Le modèle biblique est celui du chemin d’Emmaüs. La place de la communauté est mise en valeur. Il s’agit de souligner le lien avec la foi vécue localement. L’importance est placée sur les témoins (membres de l’Eglise).
  3. Depuis 2000, l’enjeu est d’entrer dans une logique centrifuge. On va vers ceux qui n’imaginent pas mettre les pieds à l’Eglise, les distancés voire les « non churched ». L’envoi missionnaire à destination de ces personnes passe par l’implantation de nouvelles formes de communauté contextuelles. Le modèle biblique est le schéma paulinien de fondation d’Eglises. En 1994, la CoE édite un rapport dans lequel il cherche un cadre pour ces essaimages de paroisses existantes. La validité du modèle est reconnue par l’institution. Cette stratégie d’implantation doit être complémentaire au modèle paroissial. En 2004, un nouveau rapport souligne une évolution importante. Il relève que de nouvelles formes locales émergent en beaucoup d’endroits. La question qui se pose est : Comment les encadrer ? Le rapport (Mission shaped church, Church planting and fresh expressions in a changing environnement) soutient cette évolution et signale un changement de stratégie de la CoE. En vertu d’une méthodologie contextuelle, un groupe de travail s’est mis à l’écoute des dynamiques locales. Il s’interroge sur la meilleure façon de soutenir ces initiatives. Le rapport identifie 12 types de nouvelles communautés en fonction des éléments suivants : Cultes innovants. Communautés de base. Eglises dans des cafés. Groupes de maison. Eglises issues d’engagements associatifs (social). Cultes en semaine. Eglises avec plusieurs cultes. Eglises de réseau. Eglises dans des Ecoles. Eglises de style adapté aux populations en recherche. Implantations traditionnelles. Formes de spiritualité traditionnelles renouvelées. Eglises pour jeunes. Par la suite, deux nouvelles catégories vont s’ajouter à cette liste : les Eglises pour les enfants et les Eglises pour familles avec jeunes enfants. Ce rapport se penche longuement sur les liens entre Eglise et société.Il souligne l’écart grandissant qui accompagne le déclin du christianisme. Mais il le relit théologiquement comme une occasion à saisir. Il développe la conviction que le déclin sera arrêté par la repentance de l’Eglise. Ainsi, la culture ambiante n’est pas perçue comme une menace, mais comme une chance. Ce rapport 2004 développe trois nouveaux concepts :
    1. Les « Fresh Expressions » représentent une transition vers une forme plus missionnaire de l’Eglise. La pratique précède la structure conceptuelle. Ces formes d’Eglise s’orientent vers une culture changeante. Elles sont tournées vers les personnes qui ne sont pas encore membres. Les valeurs de base sont l’écoute, la notion de service, l’idée de mission incarnée et le discipulat. Le texte déclare que ces communautés ont « un potentiel de pleine expression de l’Eglise ». Il reconnaît que ces groupes sont des formes à part entière. Le système paroissial traditionnel est toujours pertinent, mais ne peut plus accomplir son objectif missionnaire.
    2. L’idée d’économie mixte émerge. Elle désigne un partenariat actif dans un cadre plus large. Le cadre de la CoE permet aux nouvelles formes de coexister avec les formes traditionnelles avec une forte notion de solidarité et respect mutuels. Le modèle théologique s’appuie sur l’idée des relations trinitaires ainsi que le modèle biblique des Eglises de Jérusalem et d’Antioche. L’Eglise a besoin de ces deux approches. L’institution n’est pas là pour écraser, mais encourager et encadrer. Pour ce faire, elle dispose d’un fort élément d’unité : l’évêque. Celui-ci est garant des liens entre communautés.
    3. En troisième lieu, le rapport laisse émerger la notion de « double listening. » Il s’agit de se mettre à l’écoute de la culture comme de la tradition de l’Eglise. La dynamique est la suivante : A, Ecouter le contexte contemporain. B, valider certains éléments à la lumière de la foi. C, engendrer un processus initial de lancement de nouvelles formes de présence.

Cinq valeurs fondamentales permettent de valider et d’encadrer ces nouvelles démarches. 1 centré sur le Dieu de la trinité 2 « incarnationnel »3 transformationnel (rupture) 4 fait des disciples (croissance) 5 relationnel (communautaire).

L’encadrement passe par un processus d’accompagnement épiscopal qui s’oriente selon la philosophie suivante : quelle est la trajectoire pour arriver à définir les contours d’une « fresh expression » au sein du cadre fixé. Il s’agit non pas d’abord de sanctionner, mais de guider.

Quatre guides (marques) caractérisent toute démarche : le respect de la notion d’unité de l’Eglise ; la recherche de sanctification (verticalité) ; l’accent mis sur l’apostolat (démarche missionnaire) ; l’intégration dans l’idée de catholicité (universalité de l’ensemble – interdépendance avec les autres formes d’Eglises).

Rapport reçu avec enthousiasme – voté à l’unanimité par le synode et imprimé à 17’000 ex. Lancement du site web – En trois ans, plus de 700 expériences de nouvelles formes d’Eglises se manifestent. La CoE développe de nombreuses références et des documents pour encourager ces nouvelles formes. Des partenaires œcuméniques se joignent à la démarche – Eglises méthodiste, Eglises réformée unie, armée du salut, Eglise d’Ecosse, …

Un tiers des recommandations du rapport tourne autour de la formation (des ministres et laïcs). Economie mixte – 1, formation universitaire classique + modules d’évangélisation 2, nouvelle formation pour ceux qui ont une vocation spécifique. Ministère pionnier d’implantation de nouvelles Eglises pour laïcs et ministres. Encouragement pour discerner le charisme de pionniers. Formation menée à côté de l’exercice d’un ministère – en cours d’emploi. Dès 2005, la CoE définit les contours d’un ministère pionnier ordonné. En 2007, elle ajoute un ministère de pionnier laïc. Les outils à disposition des paroisses comprennent : des journées de sensibilisation à la dimension missionnaire de l’Eglise. Un parcours de 6 soirées pour introduire localement la dynamique de mission shaped church. Un parcours de formation d’un an (24 unités modulaire) pour leaders.

Eléments d’évaluation critique de cette démarche : 1, A propos de la stratégie : cette approche entre-t-elle en collusion avec la post-modernité (consumérisme, individualisme) ? La foi chrétienne est-elle capable de prendre de la distance. 2, Quid de la pérennité ? De la 2e génération ? Renouvellement permanent ? Réseau plus stable ? 3, Le principe de l’inculturation mène à un éclatement – une fragmentation de l’Eglise. Quid de l’aspect universel ? 4, Une économie mixe (paroisses traditionnelles et « fresh expressions ») peut-elle vraiment fonctionner ? Risque que les nouvelles expressions siphonnent les paroisses ?

Un nouveau rapport est édité en 2014. Il s’intéresse aux critères de croissance et de déclin. Il constate que l’idée d’une Eglise pour la mission traverse toutes les tendances de la CoE. Il enregistre que la croissance est aussi présente dans des paroisses plus traditionnelles (cathédrales, city churches). Les « Fresh expressions » restent en lien avec les paroisses traditionnelles. Depuis 2005, environ 2’000 nouvelles expressions sont nées dans la CoE (env. 50 par diocèse). Elles constituent le 10% des personnes qui fréquentent l’Eglise. La progression se poursuit entre 2004-2012. On distingue, en particulier, d’importants taux de croissance (250%) dans de petites équipes pionnières (3-12 personnes). Les « Fresh Expression » sont, en moyenne constituées : de 25% de fidèles, de 35% de sympathisants distancés et de 40% de néophytes complets. La recherche s’intéresse aux huit facteurs de croissance.

Quelques éléments autour du contexte français

Le contexte français, très différent. En particulier la notion d’Eglises issues de la migration.

Quelques défis :

  1. Changer de logique pour devenir une Eglise missionelle. EPUF – Eglise de témoins – il faut tout revoir par la perspective de l’évangélisation. Trouver notre place dans la mission de Dieu. Mourir à une certaine identité (une identité d’opposition – contre les catholiques, les évangéliques). Quitter l’idée de la maîtrise complète.
  2. Replacer l’évangélisation au cœur d’une dynamique communautaire.
  3. Avancer à plusieurs vitesses – pas de compétition, mais forces d’innovation.
  4. Développer une créativité tournée vers l’extérieur (double écoute)
  5. Soigner la formation de leaders et de laïcs. (notion de « mission shaped ministry » – ministère orienté sur la mission). Il s’agit de mettre en place une perspective dynamique et non pas statique.

L’évangélisation au centre des préoccupations de la « Conférence Femmes »

La dernière Conférence Femmes de la FEPS (Fédération des Eglises Protestantes de Suisse) s’est saisi du dossier de l’évangélisation. Au cours de la journée du 28 octobre, les participants ont pu s’initier, parmi un catalogue de huit ateliers, aux sinus milieux, aux Fresh expressions à Evangile en Chemin ou au Kirchentag-Bodensee.

 

Quelques documents (programme, informations et fichiers audio de cette journée – en allemand) sont disponibles sur le site web de la Conférence Femmes.

Un compte-rendu de cette manifestation, rédigé par Sophie Wahli-Raccaud est disponible au téléchargement. (pdf 79 Ko)

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