Interview de la Dr Bev Botting, responsable du département des statistiques du Conseil de l’archevêque.
En quoi consiste votre travail ?
Mon travail consiste à collecter des données sur la base desquelles l’Eglise anglicane anglaise peut définir sa politique. Je m’assure également que nos églises et paroisses aient des informations relatives à leurs régions et les populations qui y vivent pour qu’elles puissent disposer des meilleures données leur permettant de faire croître l’Eglise.
Vous collectez des données pour les mettre à disposition des paroisses et Eglises ?
La plupart des données que je traite viennent des Eglises et des paroisses. Nous transformons les données numériques en informations exploitables. De nombreux volontaires récoltent ces données et nous en tirons le meilleur.
Quelle est la différence ente votre travail et celui d’un sociologue indépendant ?
La situation de l’Angleterre est complexe. Nous avons environ 60’000 paroisses qui offrent une grande variété de formes. Les données utilisées au niveau national – ce que je faisais lorsque je faisais de la recherche sociale – ne tiennent pas vraiment compte de la diversité en taille, en population des paroisses. C’est le premier facteur explicatif. Le second c’est de prendre en considération que les données statistiques nationales s’intéressent à toutes les croyances et même à ceux qui n’ont pas d’appartenance. Nos statistiques concernent uniquement les personnes qui participent à des groupes de l’Eglise anglicane britannique.
Chaque groupe, chaque paroisse remplit régulièrement des informations statistiques ?
Nous demandons à toutes les Eglises de nous envoyer chaque année deux indications statistiques. La première concerne le nombre de personnes dans la congrégation, ce qui inclut le nombre de visiteurs en moyenne le dimanche. Nous comptons les personnes présentes les 4 premiers dimanches d’octobre, ce qui nous permet de mesurer la variation en taille. Nous avons aussi des informations sur les baptêmes, les mariages, les enterrements. Les autres informations sont de nature financières.
D’après vos chiffres, que sait-on de la progression ou de la régression des paroisses ?
Les dernières statistiques publiées datent de 2012. Elles ont été récoltées sur une base volontaire. Tout le monde ne joue pas le jeu. Nous avons des information de 85% des paroisses, et ce sur une période de 8 à 10 ans. Nous avons pu montrer que la moitié des Eglises maintient son affluence. Un quart diminue et un autre quart progresse. Ceci nous semble intuitivement correspondre à l’image globale qui montre que ces dernières années, la fréquentation totale de nos congrégations évolue de moins d’un pourcent par année.
Quelles sont les communautés qui progressent ?
Nous sommes chanceux en Angleterre, parce que la Commission ecclésiastique a dégagé un budget important pour comprendre les facteurs liés à la croissance des paroisses. Les premiers résultats sont disponibles et je dois tout de suite signaler que nos conclusions ne sont pas définitives. Mais nous avons pu suggérer de bonnes pistes d’exploration. Manifestement les « fresh expressions » sont une forme d’Eglises qui connaissent un immense succès avec l’implantation d’Eglises. Ce sont donc des paroissiens qui essaiment et démarrent une nouvelle communauté. Ces nouveaux groupes ont progressé de 350%. Donc si quatre personnes ont démarré un nouveau groupe, ils sont dix de plus aujourd’hui, ce qui est une excellente nouvelle. Cette recherche a montré d’autres résultats que nous cherchons à interpréter. Nous avons pu identifier des motifs de croissance numérique, mais nous n’en avons pas encore analysé les relations de cause à effet. Nous nous intéressons en particulier aux jeunes, l’évidence suggère que les Eglises qui grandissent ont davantage d’enfants et de jeunes. Nous avons découvert que la moitié des 60’000 Eglises n’ont que 5 enfants au maximum qui participent régulièrement aux cultes. Et si les Eglises qui grandissent sont celles dont les enfants participent activement aux cultes, nous avons besoin de mieux comprendre cela. Nous travaillons aussi sur les « fresh expressions » et la manière dont ces groupes sont capables de nourrir les nouveaux arrivants, et ce indépendamment du destin des « fresh expressions ». Nous savons que certaines d’entre-elles ne durent pas longtemps. Par exemple, si elles rejoignent des paroisses existantes.
Nous venons de démarrer l’analyse de la pratique qui consiste à fusionner des paroisses, ce que nous appelons un amalgame. Certains estiment que ce n’est pas une bonne idée, mais nous avons des exemples marginaux qui montrent d’autres signes. Selon le type d’Eglises, par exemple une congrégation vieillissante, il s’agira peut-être de faire un meilleur usage des compétences du ministre ordonné. Nous avons encore beaucoup de travail pour comprendre l’impact de ces amalgames de paroisses. Certains ministres sont convaincus qu’en formant une équipe avec d’autres le travail serait plus efficace parce que les compétences des uns et des autres seraient réunies.
Le problème se situe lorsque les paroisses qui fusionnent sont dans des régions rurales et qu’elles sont très éloignées les unes des autres. Il y a alors peu de ministres qui doivent couvrir d’énormes superficies pour aller d’une Eglise à l’autre. Nous n’avons pas encore les réponses, et nous avons encore beaucoup d’énigmes à résoudre pour mieux comprendre cela.
Y a-t-il de grandes différences entre les milieux urbains et ruraux ?
Il y a des différences. Je ne dirais pas de grandes différences. Mais les contextes sont très différents. Dans un contexte urbain on a tendance à trouver de la croissance. Je prends l’exemple du diocèse de Londres. Faut-il attribuer la progression au contexte urbain ou au fait que la population y est plus jeune que la moyenne nationale ? Dans les milieux ruraux la population qui fréquente les paroisses est vieillissante. Nous avons besoin de mieux comprendre ce qui, dans le contexte rural, ne parvient pas à intéresser les jeunes. Cela pourrait simplement être lié au fait que la population rurale est, en général, plus âgée que la moyenne.
Quelle est la relation entre les courants théologiques au sein de l’Eglise anglicane et la progression des paroisses ?
C’est une excellente question parce que c’était l’une des questions principales que les gens se posaient lorsque nous avons débuté ce travail de recherche sur la croissance de l’Eglise. L’hypothèse était que le courant plus évangélique, au sein de l’Eglise anglicane serait davantage en croissance. Mais les premiers résultats montrent qu’il n’y a pas de différence statistique significative entre les membres de ces différents courants. C’est une grande surprise pour beaucoup.
Peut-on identifier si les progressions et régressions sont plutôt liées à des facteurs internes (motivation, stratégie) ou à des facteurs externes (environnement, migration) ?
Les deux choses se combinent en une image complexe. Nous savons que dans les villes, la croissance des Eglises par la migration est importante. L’impact de la population environnante est incontestable. Mais nous cherchons aussi du côté des facteurs internes. Par exemple nous nous sommes intéressés aux paroisses qui ont élargi leur offre pour les enfants. Et des signes de croissance sont présents. C’est aussi le cas dans les paroisses qui font preuve de motivation pour grandir.
Une des choses qui a été faite dans ce programme de croissance c’est de suggérer que certaines congrégations devaient envisager de changer. Certains sont très heureux avec leurs membres actuels et ne voient pas que c’est leur rôle de grandir. Il y a certainement des facteurs internes que nous avons besoin de mieux identifier. Il se pourrait qu’il faille changer la culture au sein des Eglises pour qu’une croissance devienne effective.
Qu’en est-il des « fresh expressions » ?
Il y a deux types de « fresh expressions ». Les unes ne sont pas des congrégations au sein d’une paroisse. Elles ne se réunissent pas forcément dans une Eglise – donc le bâtiment – mais plutôt dans une école ou un café, mais elles sont associées à une paroisse locale. Alors que d’autres sont considérées comme des Eglises indépendantes des paroisses. Elles peuvent rester complètement autonomes. Au total il en existe 20 types différents. Les plus fameuses en Angleterre sont celles qui sont les Eglises « brouillon ». D’autres sont actives dans des centres communautaires, des cafés ou des bars. Plus de la moitié d’entre-elles ne se rassemblent pas dans un bâtiment ecclésial. L’élément le plus important est que ces groupes cherchent à être au service des gens hors du rayon d’action des paroisses.
Plus de la moitié sont menée par des laïcs et beaucoup de ces personnes n’ont pas même de formation académique. Elles sont dirigées à part égales par des hommes et des femmes. La taille de ces groupes est en moyenne plus petite qu’une paroisse. La taille moyenne est de 44 personnes. Environ 2/3 d’entre-elles enregistrent une croissance sur le long terme. Un quart environ diminue et 10% disparaissent. En comparaison aux paroisses traditionnelles, la croissance est importante, mais il y a aussi du déclin.
Quelle est l’importance que l’Eglise Anglicane accorde à ces statistiques ?
Pour moi, évidemment, c’est essentiel. C’est utile pour les communautés locales de mieux connaître le contexte de leur congrégation. Cette information peut leur permettre de mieux profiler la forme de mission qui sera à même d’attendre les personnes du voisinage et donc la plus efficace pour faire grandir l’Eglise. Pour moi c’est la clé. Il y a encore beaucoup à faire pour comprendre la croissance au niveau national de manière à définir des politiques au plan national et diocésain, donc régional. Par exemple pour l’allocation des ministres ordonnés.
J’ai entendu parler d’un laboratoire de recherche et développement. Est-il lié à l’Eglise anglicane ou est-il autonome ?
Ce n’est pas un laboratoire isolé. Nous avons identifié différents aspects de la vie d’Eglise pour offrir des recherches détaillés dans différents domaines. Une recherche a été conduite par le Dr David Voas de l’Université d’Essex. Il s’est intéressé aux facteurs qui ont eu une influence sur la croissance ou le déclin des Eglises et des paroisses. D’autres recherches ont été menées par un autre groupe de chercheurs situés à Durham (au Nord de l’Angleterre). Ils se sont intéressés à la croissance dans les cathédrales. En Angleterre, la fréquentation des cathédrales a enregistré une croissance continue ces 10 dernières années. C’est presque uniquement le fait de fréquentations durant la semaine qui a presque doublé. Ce groupe de Durham s’est donc intéressé aux offres de célébrations qui sont faites en semaine. Un autre groupe à Oxford a également mené des recherches. Ils se sont intéressés à l’implantation de nouvelles Eglises. Lorsqu’un groupe de paroissiens décide de fonder une nouvelle communauté en quelque sorte fille de la première. Donc il n’y a pas qu’un seul laboratoire et l’approche n’est pas statique puisque ce que nous faisons, c’est de collecter les données qui viennent de différents rapports et d’effectuer des propositions sur les choses à faire. Nous sommes donc en chemin vers la compréhension en vue de donner de bons conseils aux Eglises.
Il y a eu en 2013 un débat au sujet de la sécularisation. Un professeur écossais et un chercheur de l’université de Durham se sont affrontés pour savoir si la sécularisation progresse ou non. Comment vous situez-vous dans cette controverse ?
Je réponds avec un point de vue statistique à cette question. Il y a eu un recensement national en 2011. Il a montré que la proportion de personnes qui se déclarent chrétiennes a chuté depuis le dernier recensement de 2001. En 2011, 59% de la population se considère encore comme chrétienne. C’est toujours une majorité substantielle de la population. Les athées et les agnostiques sont en progression, de même que les croyants d’autres religions.
Pensez-vous que l’Eglise Anglicane touche-t-elle un plancher et va-t-elle désormais progresser ?
C’est mon espoir personnel. Les statistiques montrent que le déclin est bien moindre que ce que les médias présentent en général. Il y a des signes de croissance très prometteurs dans différentes régions. Et donc, oui, nous avons tous besoin de comprendre les bons exemples, pourquoi les choses fonctionnent, dans l’idée de les transposer ailleurs. Je crois qu’il y a encore un désir humain d’en savoir davantage et de faire partie de la communauté des croyants, mais manifestement, le message doit être concernant et montré de manière intéressante. Et dans ce sens, je crois que les « fresh expressions » ont vraiment trouvé des valeurs permettant de porter l’Eglise à des communautés de personnes qui n’avaient jusque là aucun engagement dans la vie d’Eglise.
Propos recueillis le 1er mai 2014 par Jean-Christophe Emery