Sous les échafaudages, l’Église !

L’engagement et la formation des bénévoles d’une communauté paroissiale constitue sa structure fondamentale. Leur donner de la place, favoriser les mises en lien et valoriser les personnes est la sève et le ciment de l’ensemble. 

Il est 10h, j’ai de l’avance, le culte ne commence qu’à 10h30. J’entre dans le temple du Marais, construit, ironie de l’histoire, au temps de la Contre-Réforme et dédié à Marie et mis à la disposition des protestants en 1802 ! Un invraisemblable montage d’échafaudages m’accueille, masquant le plafond de la grande coupole et rendant l’utilisation de l’espace très compliquée ! C’est ainsi depuis février, depuis qu’un gros bloc de pierre s’est écrasé au sol, signe que le bâtiment bouge.

Caroline Bretones, pasteure au Temple du Marais (Paris)
Il n’y a pas que le bâtiment qui bouge. La communauté aussi. Elle vit au rythme de deux cultes par dimanche. Celui du matin se déroule selon la liturgie réformée. Il est coprésidé par un homme et une femme, l’un chargé de la liturgie et l’autre de la prédication, laïque ou ministre. Le culte de 17h30 est moins traditionnel, avec un temps fort de louange et un public plus jeune. Mais Caroline Bretones, pasteure de cette paroisse parisienne, constate qu’avec le temps et la venue des enfants, le public de 17h30 se dirige vers le culte de 10h30 où les bambins sont pris en charge après le début du culte.

Les échafaudages, qui sont là semble-t-il pour durer, évoquent pour moi les piliers de cette paroisse articulée autour des cultes, des « miniglises » (des Églises de maison se réunissant chaque semaine) et de l’accompagnement spirituel. Chacun des piliers fait l’objet de formations adaptées et très suivies. Une douzaine de personnes sont mobilisées chaque dimanche pour rendre la célébration possible : prière, musique, technique, accueil, buffet, liturgie, prédication… Au total, une centaine de bénévoles se rassemble chaque mois de septembre pour lancer l’année et s’engager à faire vivre la communauté forte de quelques 250 fidèles.

Sous les échafaudages, la communauté bouge, riche de sa diversité et soucieuse du soin spirituel à apporter à chaque personne qui le souhaite. À la fin de chaque culte, une prière personnalisée est proposée pour qui en fait la demande.

Bernard Bolay

Les impulsions du Labo Khi

Belle perspective de favoriser un maximum d’engagements bénévoles : les solliciter, les reconnaître, les former, les accompagner, les faire fructifier. Au final, ce modèle génère des acteurs et non des consommateurs. Ces actrices et acteurs se sentent alors porteurs de la vie paroissiale. Ils sont liés par un engagement commun. Ils construisent une communauté basée sur une solide démonstration du sacerdoce universel. Bien entendu, nos vies trop remplies ne s’y prêtent pas toujours. On peut y répondre en favorisant les engagements ponctuels ou limités dans le temps et surtout en favorisant la convivialité et le plaisir partagé.

Tradition et modernité se donnent la main dans une messe pop

Pour chercher de nouveaux publics, la paroisse catholique de Boulogne-Billancourt (Paris) associe liturgie classique et musique contemporaine. Le pari semble assez réussi.

Dimanche 17h45, les cloches de l’église de l’Immaculée conception à Boulogne-Billancourt sonnent brièvement. Le lieu est encore quasi vide, une trentaine de personnes au plus dans l’espace immense. Des jeunes à l’entrée accueillent les paroissiens.

Les musiciens s’affairent autour des instruments. Depuis septembre 2019, la messe de 18h est animée par le groupe Hopen — leur nom joue sur les mots hope et open, entre espérance et ouverture. Quatre frères, musiciens professionnels depuis cinq ans, donnent une couleur pop-rock à la célébration.

Il est 18h, la messe débute avec les mots de bienvenue de Charles, le chanteur du groupe, qui demande joyeusement si l’on va bien. Puis, les enfants de chœur, le prêtre et un diacre entrent solennellement. Des personnes continuent d’affluer dans l’église. L’assemblée en compte désormais plus de 200. Elle est très hétéroclite. De jeunes enfants côtoient des personnes âgées. Blancs et noirs se mélangent. Les styles vestimentaires me révèlent qu’ils proviennent plutôt de milieux aisés.

La liturgie est celle de l’Eglise catholique que le prêtre semble respecter à la lettre. Mais elle est régulièrement soutenue par la musique douce et harmonieuse, par les chants proches de la sensibilité évangélique, certains composés par le groupe.

Les paroles liturgiques et la musique s’enchaînent paisiblement créant une belle atmosphère. L’eucharistie — distribuée par les ministres et deux laïques — se déroule sur fond de ballade.

Ici, la liturgie traditionnelle et la musique contemporaine se donnent la main pour construire une belle célébration, entre modernité et fidélité.

 
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La musique classique ne constitue pas une nécessité impérieuse de nos célébrations. Comme nous avons pu le constater à New York, la diversification des genres musicaux permet de rejoindre d’autres publics aux goûts variés. De nouveaux comportements apparaissent (se lever, frapper des mains) qui transforment la dynamique des célébrants et l’enthousiasme des fidèles. Pour suivre cette piste, il est parfois nécessaire d’engager d’autres musiciens. Dans le canton de Vaud et ailleurs, nombre d’organistes sont payés par les communes et non par les paroisses. Ceci constitue une contrainte forte et a conduit à une forme de monoculture de l’orgue. La question est sensible et peut conduire à des crispations. Certaines paroisses ont pourtant trouvé moyen de profiler leurs cultes en fonction de styles, de formes liturgiques et musicales. Évitant une guerre des notes, elles ont compris tout le bénéfice d’élargir la palette des genres. Étonnamment cela a même permis une meilleure collaboration et co-construction des célébrations pour lesquelles les organistes étaient demandés et, par conséquent, une mise en valeur de leur apport spécifique.

L’attrait de la convivialité

Construire une communauté en partant de rien n’est pas une affaire banale en contexte réformé. L’expérience de la paroisse de Créteil est de nature à redonner de l’espoir.

En 2014, lors du premier culte à Créteil dans les locaux paroissiaux, il n’y avait que six personnes, les quatre membres de la famille des pasteurs Rafi et Mary Rakotovao et deux autres paroissiens. Aujourd’hui la communauté rassemble chaque dimanche jusqu’à 70 personnes, dans un climat fraternel et convivial.

Lors de ma visite au début des vacances de la Toussaint, une bonne trentaine de personnes sont présentes. Quelques enfants participent également au déroulement de la célébration. Si le culte ne commence pas à l’heure, c’est que l’on prend le temps de se saluer, d’accueillir les personnes nouvelles et d’attendre celles et ceux qui viennent de loin.

La convivialité est au cœur de la démarche du couple pastoral. Le visiteur qui entre dans la salle de culte est immédiatement frappé par de grands panneaux disposés au fond du local. Ils contiennent les photos de tous les paroissiens qui ont accepté d’y figurer. Les images sont organisées thématiquement, par exemple autour, de la prière, de l’accueil ou de la musique. Chacune et chacun trouve ainsi symboliquement une place au sein de la communauté qui s’affiche. On peut ainsi rapidement repérer les engagements des uns et des autres. Rafi explique que lors du temps d’intercession ouvert à tous, les panneaux permettent de mettre un visage sur un nom mentionné dans la prière.

Deux panneaux encore disent la force des liens au sein de la communauté et le désir de les nourrir. Le premier signale les anniversaires du mois. C’est dire l’importance de chacune et de chacun. Le second, placé vers la table de communion, porte les visages de celles et ceux qui, selon son intitulé, ont « rejoint la maison du Père ». Une manière de dire que la convivialité s’étend par-delà le seul présent pour unir ainsi l’Église visible et l’Église invisible.

Le jour de ma visite, un deuxième culte a lieu au début de l’après-midi à la demande d’une famille originaire du Cameroun. Un culte de reconnaissance, une année après le décès d’une maman et grand-maman. Une partie des membres de la famille se joint à la communauté à l’issue du culte du matin, au moment de l’apéritif. Pour certains, ce sera l’occasion d’entendre l’Evangile, peut-être pour la première fois.

Honorer les liens tissés dans et hors de l’Eglise, c’est cela la convivialité.

Bernard Bolay

 
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Il y aurait beaucoup à dire sur la construction d’une dynamique communautaire. L’utilisation habile des photographies des membres de cette paroisse n’est probablement qu’un élément parmi une foule d’autres. En cinq ans, le couple pastoral n’a sans doute ménagé ni son temps, ni ses forces, ni ses espoirs. La convivialité représente d’ailleurs l’un des huit facteurs de développement identifiés par les chercheurs de l’Église d’Angleterre. Or, s’il n’est pas suffisant pour générer une dynamique, sa déficience conduit irrémédiablement à une désaffection. Interrogeons-nous donc sur le centre de gravitation de la communauté. Comment l’identifier ? Comment le stimuler ? Le communiquer ? L’exemple de Créteil nous indique que les liens solidaires sont au cœur de la démarche. Il y a de quoi s’en inspirer.

Les jeunes catholiques au rythme de la louange

A l’instar des communautés évangéliques, la paroisse de Boulogne-Billancourt organise des soirées louange. Spots disco et fumigènes créent une ambiance propice à des recueillements juvéniles, sonores et festifs portés par des musiciens-liturges.

J’arrive sur le coup de 20h30, juste à temps pour le début de la célébration. Les bancs ont été déplacés pour former un arc de cercle. Des bougies sont déposées sur des palettes au sol et sur les escaliers qui conduisent vers le chœur. Il y a même de la fumée, comme un mélange entre soirée rock et liturgie encensée !

Depuis plus d’un an, les quatre frangins Auclair du groupe Hopen organisent ces rencontres de louange. Un mercredi soir par mois, ils font trembler les murs de la grande église de l’immaculée conception à Boulogne-Billancourt.

L’accueil adressé à une assemblée d’une bonne centaine de personnes est chaleureux et décontracté. Il est clairement destiné aux jeunes qui sont nettement en majorité ce soir.

Placer Dieu au centre, c’est la « révolution copernicienne » à laquelle Armand Auclair invite l’assemblée. Au lieu d’être soi-même, avec ses soucis, préoccupations, désirs au cœur de la prière, donner à Dieu la place qui lui revient. C’est le cœur du message transmis ce soir tant par la musique que par la parole.

La musique est de qualité, les quatre frères sont des professionnels. Ce soir-là, ils se sont entourés de trois autres musiciens. Le style rappelle la musique pop-rock distillée par la méga-église australienne Hillsong, à la pointe dans le domaine. Les mélodies sont douces, répétitives, faciles à reprendre et à chanter ensemble. Les textes font référence à la vie de tous les jours, aux joies comme aux peines. Ils disent la conviction que Dieu est à l’œuvre dans la vie de chacune et de chacun. Plusieurs fois, un fond de musique accompagne une prière prononcée par l’un des musiciens.

Si l’arc de cercle est orienté vers les musiciens, la dimension fraternelle n’est pas absente. À deux reprises, je suis invité à me retourner pour échanger avec la personne qui se trouve derrière moi. Beaux moments de communion, simples et joyeux.

La paroisse de Boulogne-Billancourt fait le pari de s’adapter aux goûts des plus jeunes en faisant confiance à ces quatre musiciens engagés et désireux de faire part du bonheur qu’ils ont à être en Christ, sans en cacher les aspérités.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Richard Charles, l’ancien évêque de Londres n’aimait pas le style de musique pop-rock des soirées de louange et il le disait. Mais il disait aussi qu’il voyait la foi de ces jeunes, que l’Évangile était prêché et qu’ils touchaient de nouvelles personnes. Il y est régulièrement retourné à tel point que les jeunes lui tendaient, dès son arrivée, des tampons auriculaires… À Boulogne-Billancourt ces soirées de louange attirent régulièrement une centaine de jeunes. Ce qui les fait venir et revenir est clair : le plaisir de se laisser emporter par le rythme et les sons de la musique. Celui de partager une pratique spirituelle dynamique, l’accueil simple et chaleureux. La facilité avec laquelle ils s’intègrent à la communauté qui leur fait sentir qu’ils font partie de la tribu. Les moments d’échange en pleine célébration. Chacun de nous ne peut que souhaiter de vivre cela en Église. Et si nous nous laissions inspirer par ces éléments et non uniquement par le style de musique ? Si nous réfléchissions localement comment répondre à cette recherche de lien simple, de pratique spirituelle dynamique, de célébrations interactives et ouvertes ? Par étapes, beaucoup peut être fait pour accueillir ces « nouvelles personnes » en expérimentant de « nouvelles formes ».

22 mètres carrés de bienveillance

Allier soutien pratique et engagement de prière, le rêve d’un pasteur retraité s’est concrétisé. Depuis 2017, il a ouvert une antenne pour venir en aide aux SDF, dont le nombre explose dans les rues de Paris, et à toute autre personne.

L’Escale est située à quelques pas de Port-Royal et de l’hôpital Cochin. La nuit commence à tomber et par les fenêtres filtre une lumière douce. J’entre. Les conversations s’arrêtent, les visages se tournent vers moi. Je suis accueilli, invité à m’asseoir et boire quelque chose si le cœur m’en dit.

Il y a là un SDF, l’entrejambe trempé et la parole abondante, un Camerounais en difficulté avec l’administration française, France et Christian, les deux bénévoles catholiques de ce jour. Ils sont 19 à se relayer du mardi au samedi, de 16h à 20h, à l’initiative de Christian Tanon, pasteur retraité.

Ici, dans ce petit espace de 22 m2 aménagé chaleureusement, des hommes et des femmes sont accueillis pour un moment, avec bienveillance et une écoute attentive. Chaque fois qu’une personne nouvelle arrive, les discussions cessent pour lui laisser toute la place. Chacune et chacun se présentent, donnant l’occasion aux autres de découvrir une facette nouvelle de leur personne. Régulièrement la Bible est ouverte, offerte aux commentaires ou aux questions des uns et des autres. Nulle envie de convaincre, seulement le désir de mettre en relation la lettre ancienne et la vie d’aujourd’hui.

Chaque personne est invitée à respecter les règles qui favorisent l’écoute — et sur ce point les bénévoles se montrent directifs — tout en exprimant librement ses opinions ou convictions.

Depuis longtemps Christian Tanon avait ce projet à cœur, inspiré par la lecture du livre de Catherine de Hueck Doherty : Le désert au coeur des villes – Poustinia. Cadre d’une grande entreprise, il entreprend des études de théologie à l’heure où d’autres s’inquiètent de leur retraite. Ainsi, il termine sa carrière professionnelle en poste pastoral à Reims. Dès lors, il trouve le temps de concrétiser son rêve : offrir un espace d’écoute et d’amitié.

L’Escale est ouverte depuis 2017. Au cœur de la démarche : écoute et prière, prière et écoute. L’une ne va pas sans l’autre. L’écoute proposée s’inspire de Carl Rogers : compréhension empathique, acceptation inconditionnelle (accueillir chacune et chacun comme fille et fils de Dieu) et authenticité de l’écoutant.

Ecoute de Dieu, écoute des hommes, tout est dit dans ces quelques mots.

Bernard Bolay

(Photo : Youna Rivallain)

 
Les impulsions du Labo Khi

Les nombreuses actions de solidarité et d’accueil de nos paroisses sont régulièrement confrontées à la question de la place du message chrétien. Parfois il est rendu si discret qu’il en est éclipsé par l’action. Celle-ci risque alors de perdre son sens pour les bénévoles engagés. D’autres fois, il s’affiche comme une bannière, à tel point que la charité passe au second plan. L’enjeu est de lui permettre de trouver une place sereine, assumée et joyeuse, en évitant aussi bien l’idéologie que l’invisibilité. Lorsque les paroles rejoignent les actes, l’Évangile se déploie.

Le goût et la saveur

Qui s’agit-il d’engager pour prendre des responsabilités dans une paroisse ? Le choix radical d’Albert Rouet, évêque émérite, prête à réflexion.

« Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ». Cette parole de l’apôtre Paul est au cœur de la réflexion d’Albert Rouet quand, archevêque de Poitiers, il réorganise l’Église. Il raconte avec un regard malicieux le jour où il provoque l’étonnement de quelques théologiens quand il leur révèle que la responsabilité pastorale d’une communauté locale a été confiée à une vieille dame sans grande instruction plutôt qu’à un professeur d’Université.

S’affranchissant tant de la dictature du nombre que du recours obligé aux prêtres, il fait confiance à des équipes réduites, locales, sans les qualifications académiques généralement attendues pour présider à la vie des communautés locales. C’est qu’une conviction l’habite, le Christ ne nous appelle pas à être nombreux — ni des puits de science —, mais à avoir du goût et de la saveur. Et qu’est-ce qui a de la saveur sinon des femmes et des hommes qui cherchent à vivre simplement et pleinement la prière, l’exercice de l’amour et l’annonce de l’Évangile ?

Albert Rouet en conférence à Clarens (VD), octobre 2019
Ce n’est pas d’abord de connaissance que les gens ont besoin mais d’expérimenter la profondeur et la pertinence de l’Évangile. Et cela ne peut se faire que dans l’action concrète, quand hommes et femmes prennent leurs responsabilités.

C’est pourquoi, convaincu que l’Esprit distribue ses dons librement à chaque baptisé.e, il ose aller chercher les personnes qui appartiennent au cercle des croyants non pratiquants et non d’abord les fidèles parmi les fidèles pour devenir responsables d’une communauté locale. Ils feront l’expérience de l’Évangile dans l’exercice de leur fonction.

Et l’ecclésiastique de citer en exemple ce mécanicien, auquel personne n’aurait pensé, qui devient l’intendant d’une communauté locale. Autrefois son garage était ouvert à l’heure de la messe. Depuis, il n’y a plus de voiture en panne le dimanche matin quand la communauté se rassemble pour la prière !

Si Dieu choisit les choses folles du monde, comment l’Eglise pourrait-elle faire autrement ? Si Dieu fait confiance aux faibles, pourquoi l’Eglise n’ose pas la même confiance à l’égard de ses paroissiens. Faut-il vraiment avoir toutes les qualifications théologiques pour présider la prière, annoncer la foi et exercer l’amour concret ?

Bernard Bolay, pasteur

 
Les impulsions du Labo Khi

Comment retrouver une forme de simplicité ? Les structures institutionnelles de nos Églises réformées sont charpentées et solides. Seraient-elles des colosses aux pieds d’argile ? Trop d’institution tue l’institution. Peut-on élaguer les règlements devenus trop contraignants ? Jusqu’où peut-on tricher avec le système lorsqu’il devient trop étouffant ? Et comment permettre aux règles de soutenir la dynamique plutôt que de chercher à pallier tous les cas de figure ? La réponse n’est pas simple. Il convient de cheminer avec le souci de garder le cap en restant fidèle à un Jésus qui a allègrement transgressé nombre de règles religieuses de son temps au profit d’une loi d’amour supérieure, source de goût et de saveur.

Une expérience de fragilité assumée

Comment apprivoiser le changement et, peut-être, l’issue d’un projet dans lequel on a investi ses efforts et ses espoirs jusqu’à y engager sa vie de famille ? La réponse ne s’improvise pas comme l’illustre l’aventure de Marie et Alexandre Sokolovitch.

En arrivant à la Ferme de La Chaux, sous la pluie, j’ai le sentiment d’une forme d’abandon. Bien sûr, en pleine campagne dans un lieu tenu par des Jesus freaks, je ne m’attendais pas au propre en ordre helvétique. Mais c’est autre chose qui me saisit, comme une tristesse imprégnant les murs, une certaine désillusion. Comme un décalage entre le prospectus, les reportages vidéo et la réalité. Quelque chose avait dû se passer qui avait blessé un élan.

La ferme de la Chaux à Bussière-sur-Ouche (F)
Depuis dix ans, l’éco-hameau chrétien situé à trente kilomètres de Dijon témoigne d’une expérience originale. Le pari est celui de vivre et partager une spiritualité communautaire et une insertion dans des réseaux alternatifs. Chaque année, l’endroit accueille près d’un millier de personnes dans une ambiance décontractée et libre, bienveillante et festive.

Dans l’échange chaleureux avec Alexandre Sokolovitch autour de la table généreuse, je comprends que la communauté a traversé une crise, des couples brisés, la maladie d’un des membres fondateurs, le départ du maraîcher chargé de la permaculture… Pourtant, les aléas de la vie, les deuils à vivre par rapport à l’intuition de départ et les remises en question n’ont pas eu raison du désir d’Alexandre d’être humble témoin. Par contre, assumer la fragilité actuelle l’autorise à penser la fin possible de l’aventure. Sans regret. Avec une immense reconnaissance pour tout ce qui a pu être vécu là.

Je suis touché par cette capacité à accueillir la fragilité, sans amertume et sans s’accrocher à l’intuition première, en acceptant l’impermanence, le provisoire, le caractère éphémère d’un projet. Et cela tout en restant ouvert à un renouveau éventuel.

À l’heure où « notre » Eglise s’interroge sur son avenir, cette humilité rejoint mes interrogations, parce qu’au fond, l’essentiel n’est pas que l’EERV demeure, mais que l’Heureuse Annonce continue d’être proclamée, quelle qu’en soit la forme.

Bernard Bolay, pasteur

 
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Loin des sécurités institutionnelles, l’expérience de la ferme de la Chaux révèle l’intensité d’un élan de foi qui brille par-delà les changements. Il ne se cabre pas sur des acquis, ne cherche pas les succès faciles, et ne sombre pas dans les désillusions mortifères. Pourrait-on imaginer des projets fragiles, peut-être limités dans le temps, qui ont pour objectif de tâtonner vaillamment à la recherche de nouveaux interlocuteurs ? Des projets qui s’éloignent de nos zones de confort et répondent à des besoins contemporains.

La richesse de l’Eglise, c’est le peuple de Dieu

Lorsque les forces de travail diminuent et que les vocations sont en berne, l’évêque Albert Rouet se retrousse les manches et prend son bâton de pèlerin pour générer un nouveau dynamisme.

L’archevêque émérite de Poitiers a le regard pétillant, le verbe vif et l’humour coloré quand il rend compte de l’expérience qu’il a conduite dans son diocèse. En conférence à Clarens (VD), en ce mois d’octobre 2019, il ponctue d’anecdotes le récit de la mue profonde qui s’est opéré dans son diocèse en l’espace de quinze ans. Face à la diminution du nombre de prêtres et à l’impossibilité de répondre à l’attente souvent exprimée comme une équation incontournable : « un clocher, un curé », Albert Rouet dit clairement le deuil qu’il faut faire d’une époque révolue. Aujourd’hui la forme de l’Eglise catholique ne correspond plus à la situation de la société contemporaine.

À celles et ceux qui acceptent de faire ce deuil, il leur annonce comme une bonne nouvelle qu’ils auront des responsabilités à partager. C’est qu’il croit que l’Esprit Saint ne cesse de doter chaque baptisé.e de charismes au service de la communauté. C’est qu’il croit que la plus grande richesse de l’Eglise, ce n’est pas sa liturgie, sa science, ses églises et chapelles, ni même ses prêtres. C’est le peuple de Dieu. Les femmes et les hommes que Dieu rassemble en un corps.

Et l’archevêque émérite se désole de constater que 20 siècles de christianisme ont fabriqué un peuple d’impuissants. Trop souvent, à l’invitation à prendre des responsabilités, il entend : « Nous ne savons pas faire », « Nous n’y arriverons pas ».
Ce n’est pas cela qui l’a fait renoncer à son projet. Au contraire. Il a su voir dans la crise autant une chance de changement qu’une réponse de Dieu à la prière. Cette supplique, souvent faite depuis Vatican II, que l’Eglise devienne une Eglise pauvre, une Eglise de pauvres. Espiègle, l’homme d’Église se plaît à souligner qu’elle a été exaucée. Aussi affirme-t-il que la survie oblige à s’ouvrir aux ministères de chacune et de chacun, puisque là est la richesse de l’Eglise.

À n’en pas douter, je perçois pour « notre » Église encore bien confortablement installée quelque chose à entendre.

Bernard Bolay, pasteur.

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Albert Rouet a bien compris que les laïques, sont une richesse et un facteur essentiel pour le développement des communautés. Peut-être vaut-il la peine de commencer par identifier les activités qui peuvent fonctionner sans la présence d’un ou d’une ministre. Il s’agit ensuite de discerner les personnes qui pourraient en assumer la conduite et la responsabilité. L’expérience montre qu’en engageant des personnes nouvelles, cela amène une plus-value qui favorise le développement.

Après la fin du religieux

Ils sont légion, les sociologues et théologiens qui analysent le décrescendo du christianisme. Ils élaborent des thèses pour en déceler les mécanismes fins. Ils esquissent les contours précis d’une société qui a parqué le religieux en certains lieux. Parmi eux, l’historien et sociologue Marcel Gauchet a fait date, au milieu des années 1980, à la publication de son livre «le désenchantement du monde». De passage à l’Université de Genève à la fin du mois de septembre 2019, il a livré quelques éléments de sa lecture. En voici une appréciation critique.

D’emblée, Marcel Gauchet oriente son regard sur l’exception européenne et nord-américaine. Il y voit deux phénomènes concomitants et liés. La sortie du religieux et l’affaiblissement de la cellule familiale. Ces symptômes de l’individualisation radicale des sociétés s’inscrivent dans un processus plus vaste de globalisation décrit comme « occidentalisation culturelle et désoccidentalisation politique » de notre monde. L’historien et philosophe y voit là une explication de l’explosion des fondamentalismes religieux. Ils naissent en réaction à une domination de la culture occidentale qui balaie et déstructure les sociétés jadis marquées par le religieux et la famille.

De nombreux sociologues avaient décrit la sécularisation comme une disparition des éléments politiques du religieux. Le conférencier va plus loin. Il décrit le processus qui a conduit à la dissolution de l’idée même de sacralité (au sens de la capacité à se sacrifier). Désormais, l’économie est seule « garante de dynamisme collectif et d’une transformation future dont personne ne sait où elle va ». La religion qui était « la chose collective par excellence » devient « la chose individuelle par excellence ». Marcel Gauchet énumère alors quatre éléments dont la lente disparition témoigne de ce phénomène. Les institutions s’affaiblissent, les rites ne sont plus pratiqués ou compris, le langage symbolique s’évanouit et les communautés se délitent.

« Nous assistons à la dissolution du christianisme sociologique » ajoute le conférencier. Il ajoute : « la religion n’a pas disparu pour autant, elle est même appelée à revivre d’une autre façon ». Il décrit alors le glissement du religieux dans la sphère existentielle et intime. Le bricolage individuel, comme construction des croyances, induit pour lui l’émergence d’un nouveau continent dont il n’est possible de décrire que le périmètre. Marcel Gauchet termine son intervention en précisant que pour lui la condition humaine est d’ordre symbolique. Elle échappe aux seules réalités juridiques, politiques ou économiques. Et même si le langage des religions ne convient plus pour la décrire correctement, le domaine du spirituel est « tout ce que nos sociétés ignorent ou refoulent ». De ce point de vue, il se réjouit « des surprises de ce retour du refoulé ».

Ecouter la conférence (lien externe)

 
Les impulsions du Labo Khi

Les multiples constats de la fin du religieux sont de nature à générer chez les croyants un sentiment de stress intense mêlé de culpabilité. Comment éviter de sombrer dans un fatalisme dépressif, un déni de réalité ou une spiritualisation excessive ou fondamentaliste ? L’enjeu est de rester lucide sur les chiffres tout en ouvrant des pistes nouvelles. Seul l’engagement et ses conséquences peuvent faire mentir les projections statistiques. L’essor du pentecôtisme en constitue une démonstration frappante. Peut-être s’agit-il précisément de profiter de la disparition de ce christianisme sociologique pour générer un vent de liberté et de créativité nouvelle, affranchi de tant de lourdeurs héritées, tout en restant fidèle à nos racines émancipatrices.

Un langage pour dire l’Évangile

A la « ferme de la Chaux », le langage n’est pas un obstacle entre les chrétiens qui y vivent leur foi et les visiteurs qui, souvent, ne savent rien du dictionnaire des sacristies.

À l’Éco-hameau de la ferme de La Chaux, les résidents ont fait le choix, en accord avec leurs convictions intimes, d’user du langage des milieux alternatifs. Et pas seulement sur le seul plan du vocabulaire. Des graffitis, une fresque murale, le symbole des anarchistes récupéré et détourné en Alpha et Oméga, une salle de concert et de forum meublées de bric et de broc, les abords de l’Éco-hameau en friche, tout me rappelle que celles et ceux qui vivent là ne s’inscrivent pas dans la société de consommation et désirent s’adresser aux personnes qui partagent avec eux une même sensibilité écologique, altermondialiste ou autogestionnaire.

C’est qu’ils ont fait le constat que les Églises, quelles qu’elles soient, sont devenues inaudibles et illisibles pour nombre de jeunes et de moins jeunes. En cause, leurs langages, leurs symboles, leurs cultures fermées sur elles-mêmes, aujourd’hui étrangères pour beaucoup.

Les résidents de La Chaux n’ont pas eu besoin d’apprendre le langage des milieux alternatifs puisque c’est le leur. Ils ont simplement osé l’utiliser pour dire leur foi. Pour eux, il n’y a pas d’incompatibilité entre la culture alternative et l’Évangile et c’est pour et dans cette culture qu’ils sont témoins.

Il est temps, pour « notre » Église, d’apprendre de nouvelles langues — ou de laisser en Église s’exprimer d’autres langages — si son désir demeure d’annoncer l’Heureuse Nouvelle à quiconque.

Bernard Bolay

 
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On ne peut pas beaucoup reprocher aux réformés le sérieux avec lequel ils mettent l’accent sur la prédication, la théologie et le choix de leurs textes liturgiques. On oublie souvent que la communication n’est pas qu’une question de fond, mais aussi une affaire de mise en forme. On oublie souvent aussi que la communication nécessite un intérêt soutenu pour les destinataires. Un message qui ne tient pas compte des codes de lecture du récepteur manque son but.

Les déficits en la matière contribuent souvent à donner une image qui ne rend pas justice à la qualité des contenus. Un dépliant, la décoration d’une salle de paroisse, le style littéraire d’une lettre de nouvelles, une célébration sont autant de cartes de visites distribuées au long de l’année. Le célèbre axiome « on ne peut pas ne pas communiquer » de Paul Watzlawick nous rattrape toujours.

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