Trois communautés pour un culte

Depuis quelques mois à la Paroisse de Bellevaux – Saint-Luc, le diacre Jules Neyrand célèbre des cultes en commun avec des réformés suisses, des réformés camerounais, et des érythréens pentecôtistes. Coup d’œil sur ces cultes mixtes dit « mosaïques ».

Un vrai « tous ensemble »

Depuis quelques mois, la Paroisse réformée de Bellevaux – Saint-Luc propose, trois dimanches par mois, des célébrations  « mosaïques ». Celles-ci réunissent les membres historiques de la paroisse, mais aussi la communauté réformée camerounaise locale et la communauté érythréenne pentecôtiste de Lausanne. Jules Neyrand, diacre nouvellement arrivé dans la paroisse, est le moteur et le principal célébrant de ces temps de spiritualité. Lui et les pasteurs des deux communautés africaines mettent les traditions de chacun sur un pied d’égalité dans un esprit de dialogue.

L’histoire d’un rapprochement

« Tout est parti d’une étude de terrain quand je suis arrivé en poste à la paroisse » explique le diacre. « J’ai vu qu’il y avait deux communautés d’origines africaines qui étaient des forces vives dans le quartier. Notre paroisse leur prêtait les locaux le week-end, mais on se croisait sans vraiment se parler. Chacun avait beaucoup de clichés sur les autres ». Jules Neyrand a donc démarché les deux communautés, qui se sont montrées très enthousiastes à l’idée de collaborer. En basant le rapport sur la confiance, l’ouverture et l’égalité, l’idée d’un culte « mosaïque » a émergé. « Il s’agit d’un projet collectif, porté par toutes les communautés, pas seulement par moi », assure le professionnel avec énergie. Célébrés depuis 6 mois, ces temps partagés de spiritualité ont servi de tremplin à un rapprochement plus large. « Aujourd’hui, le Conseil de paroisse compte un représentant de chacun des deux groupes », explique avec fierté Jules Neyrand, heureux d’avoir contribué à bâtir un dialogue entre les communautés.

Les valeurs du culte mosaïque

« Une des lectures qui a le plus stimulé ma réflexion paroissiale est le livre sur l’Église interculturelle d’Espoir Adadzi, le pasteur genevois originaire du Togo », raconte encore le bouillonnant diacre. Il ne s’agit pas simplement de cohabiter mais de créer une véritable mosaïque de pratiques. «Il y a de très beaux éléments liturgiques de ces communautés que j’ai voulu mettre en avant et qui, je pense, peuvent être une réelle source d’inspiration pour d’autres» . Et de citer des gestes  de bénédiction en binôme ou des chants liturgiques d’origine africaine.

«Mettre en place ces cultes et y participer, c’est une vraie initiation au pluralisme religieux, pour les Suisses comme pour les autres». Dans ces cultes, l’idée est de mettre en avant la diversité des paroissiens, les invitant à prier et à chanter dans différentes langues. « Tout le monde doit se sentir un peu déplacé par la rencontre et le dialogue », affirme le diacre. « Une autre chose très belle que j’ai prise de ces communautés, c’est l’intergénérationnalité », ajoute-t-il. « Aux cultes mosaïques, on essaie de mettre en avant les enfants, petits et grands, et de les faire participer au maximum. Nous nous souhaitons inclusifs à plus d’un titre».

Des défis et des espoirs

Si le pari du rapprochement semble réussi, il existe encore des défis à relever. L’ambitieux diacre rêve de mettre les trois communautés sur un pied d’égalité. « Le problème que je rencontre n’est souvent pas tant le racisme qu’une forme de condescendance. C’est la principale chose à combattre dans notre effort de dialogue. Aujourd’hui, je suis toujours l’officiant principal , mais on œuvre pour que les choses changent, et pour laisser une place égale à chacun. Ce qui soulève parfois des résistances : la barrière de la langue est parfois aussi un obstacle, surtout pour la communauté érythréenne.  Je milite pour que la paroisse se fasse appeler ‘paroisse mosaïque’ au lieu de simplement ‘paroisse réformée’, afin de pleinement embrasser notre nouvelle identité et ce nouveau dynamisme venant de la rencontre. Mais il y a encore du chemin à parcourir avant que tout le monde saisisse l’enjeu de cette démarche » confie le jeune ministre, déterminé mais pragmatique. S’il n’y a pas encore eu de projet analogue dans d’autres paroisses du Canton de Vaud, Jules Neyrand assure que de plus en plus de personnes se disent séduites par la proposition et envisagent de suivre l’exemple.

Ce vent de fraîcheur liturgique ne souffle pas que sur les membres des trois communautés : « La semaine dernière, nous avons eu notre premier nouveau venu au culte grâce aux réseaux sociaux : il a vu nos cultes sur notre compte Instagram et est venu célébrer avec nous. C’est une victoire pour notre équipe, qui travaille depuis plusieurs mois sur l’identité digitale de la paroisse et de nos cultes particuliers. On espère que ce nouveau participant sera le premier d’une longue série », conclut Jules Neyrand.

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Un espace pour élargir la paroisse

L’espace 4C de l’église de la Sallaz à Lausanne est un endroit pensé pour les projets de paroissiaux. En 2017, les bancs sont remplacés par de moelleux canapés à l’heure du culte. Aujourd’hui, labyrinthes méditatifs, expositions de photographies et soirées jeux s’y côtoient. Bilan de six années d’un espace de vie pas comme les autres.

La vision 4C associe les mots cultuel, chrétien, culturel et communautaire. « Nous avions besoin d’un outil de travail performant et innovant pour accueillir les paroissiens et leur famille lors  des cultes du dimanche, mais pas seulement ! » résume Emmanuel Schmied, diacre pour la région Sallaz-les Croisettes. Et de poursuivre : « L’église de la Sallaz était impersonnelle, sans âme. L’endroit était très peu utilisé en dehors des cultes. Nous voulions réinvestir le lieu différemment pour que la communauté s’y sentent bien et que des activités se développent en dehors des cultes dominicaux. » Un comité de pilotage – composé de ministres, laïques et une personne du conseil de paroisse –  4 mois de travail en 2017 et une réunion d’assemblée de paroisse plus tard, le projet « espace 4C » est lancé. 

Cultuel et communautaire

Emmanuel Schmied explique le sens du mot cultuel: « c’est important de se centrer sur les cultes. Ils rassemblent une communauté stable qui fait vivre l’Église. » Une part est donc réservée à l’aspect communautaire : « Nous voulions prendre soin des gens qui sont  là,  construire ce projet avec la communauté existante  ». Peu avant le premier culte 4C, le comité de pilotage demande aux paroissiens d’amener ce qu’ils n’utilisent plus pour meubler l’église, comme des canapés et des chaises. « La communauté a activement participé à l’aménagement de son église », se souvient le diacre.

Une attention particulière est réservée aux nouveaux venus.. Un groupe badgé « accueil » les guide dès leur arrivée en leur offrant à boire. Valérie Bronchi, membre du conseil de paroisse et du groupe de pilotage souligne : « On veille à créer une atmosphère conviviale pour ouvrir des espaces où la communauté peut se retrouver avant et après le culte avec des agapes. »  Des temps de prière personnels après le culte sont prévus pour les paroissiens.

Culturelle et chrétien

Outre les cultes avec canapés, l’église de la Sallaz désire accueillir  des expositions de peinture ou de photographie, des concerts, des pièces de théâtre ou des soirées de jeux de société.  « Nous voulons une offre culturelle qui permette de faire des liens avec la foi chrétienne » explique Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Ce n’est pas un centre de loisir. Notre ancrage chrétien est affirmé. » Quand le comité de pilotage 4C reçoit une nouvelle proposition, il examine les liens avec la spiritualité chrétienne. Par exemple, l’idée a été  évoquée d’un cours de dégustation de vin en lien avec sa place dans le récit biblique. 

Un brassage générationnel

Qui dit offre culturelle diversifiée dit aussi croisement générationnel. Certaines activités attirent un public paroissial différent des cultes du dimanche. « Les habitués viennent aux événement comme les terrasses estivales, le labyrinthe à Pâques », déclare Valérie Bronchi, « pour les soirées jeux, des gens du quartier et externes à la communauté sont présents. » Et son collègue diacre de renchérir : « J’aime dire que cet espace 4C constitue un carrefour, un lieu de croisement entre les générations qui se découvrent grâce à leurs intérêts communs. »

Se réapproprier son église

Emmanuel Schmied explique : « En développant le projet 4C, nous voulions disposer entièrement du lieu de la Sallaz. » En conséquence, les contrats de location fixe de la salle de paroisse sont rompus. « Même si nous perdons un peu d’argent, la liberté gagnée est très appréciable. Elle nourrit le projet en nous offrant un espace pour développer et personnaliser le lieu. » Auparavant, la salle devait être neutre car différentes communautés religieuses l’utilisaient. « Maintenant ce lieu n’est plus anonyme. Cela change tout. On peut faire de cet espace un vrai outil de travail. »

Temps et confiance

Valérie Bronchi, conseillère de paroisse, explique : « J’apprécie la confiance de la communauté pour développer et expérimenter des projets.  » Gourmand en ressources humaines, l’espace 4C offre aux bénévoles de participer selon leurs intérêts et dans un cadre limité dans le temps. Ceux qui réalisent les projets changent selon leurs affinités avec les activités créées. « Comme bénévole on peut s’impliquer en bonne complémentarité avec les professionnels ecclésiaux », souligne la conseillère de paroisse. Et son collègue diacre de continuer : « Dans ce projet 4C, je réalise l’importance d’avoir une communauté existante qui fonctionne, une paroisse qui a des habitudes. » Avoir la confiance d’un groupe stable offre un point de départ solide pour innover. « Il faut prendre soin de cette confiance pour continuer à faire de nouvelles choses. » déclare Emmanuel Schmied. Et d’ajouter : « Les multiples projets 4C m’ont fait redécouvrir la notion du temps. C’est un facteur très important dans la réalisation de projets. Par moment j’avais envie de le presser. J’ai appris qu’en pressant le temps souvent on malmène quelque chose, que ce soit le projet ou quelqu’un. »

Au service de la stratégie paroissiale

L’espace 4C s’inscrit dans une stratégie paroissiale plus large : « C’est un modèle, un état d’esprit et une dynamique que l’on veut pour notre paroisse », affirme le professionnel. Les paroissiens ont adopté la vision ouverte du projet, Valérie Bronchi explique : « Cette perspective que nous avons développée dans le groupe de pilotage est devenue une vision pour la paroisse sur le modèle de « que voulons-nous pour notre Église et comment le voulons-nous ? » ». Complètement intégré, le projet 4C est devenu celui de la paroisse et de ses membres. « Il y a un renouveau dans la dynamique qui contribue à changer les habitudes des participants. Ils passent de consommateurs à consom’acteurs. » conclut la conseillère.

Pour en savoir plus sur l’espace 4C et ses activités, suivez le lien.

L’inclusivité en Eglise, ce n’est pas ce que l’on croit !

L’inclusivité est un terme que l’on tend à réduire à la question LGBTIQ+. Pourtant cette expression recèle  un potentiel plus large pour les communautés. C’est la conviction de la conseillère paroissiale Eloïse Miceli et du pasteur Nicolas Lüthi. Ils proposent des éléments pour comprendre la réflexion sur l’inclusivité des églises protestantes romandes.

«Limiter l’inclusivité en Eglise à la question LGBT, c’est passer à côté de toute la richesse du mot.» Affirme Eloïse Miceli, ex-conseillère paroissiale du LAB de Genève, que nous avons interviewée avec Nicolas Lüthi, également pasteur au LAB. « Le fait que l’on confonde souvent le LAB avec l’Antenne LGBT en dit long sur la tendance à limiter l’action en termes d’inclusivité du LAB à la question LGBT », ajoute le pasteur. L’Antenne LGBT est maintenant une structure indépendante du LAB de Genève, qui, d’après Eloïse Miceli et Nicolas Lüthi, n’a pas perdu en dynamisme par ce changement : « L’inclusivité, c’est également prendre en compte les questions d’âge, de genre, d’œcuménisme, d’interculturalité, de background religieux et de conditions sociales. Le LAB essaie d’œuvrer sur tous ces tableaux.»

Agir pour tous

Pour agir sur chacun de ces plans, le LAB a construit une offre adaptée, et mis en place des propositions nouvelles, plus horizontales. Plutôt que des prêches, des sessions de Godly Play sont proposées, avec des moments d’échange. Des groupes de parole se sont formés pour créer un cadre de confiance favorisant le dialogue. Le culte du dimanche s’est changé en « Sun Day », plus inclusif et chaleureux. « Pour mettre en place une activité participative en Eglise, le principe fondamental est d’admettre qu’on est tous capables d’avoir une parole juste, peu importe ses origines ou son parcours » commente Eloïse Miceli.

Les changements pour plus d’inclusivité se font autant sur la forme que sur le fond. Nicolas Lüthi, pasteur au LAB, s’inscrit dans la pratique du lieu qui consiste à chanter deux fois la prière traditionnelle du “Notre Père” en remplaçant par “Notre Mère” la seconde fois. Il n’hésite pas à affirmer: « je n’ai pas conscience de Dieu comme un ‘Père’, mais comme un ‘Parent’, et je précise que nous pardonnons à ceux et celles qui nous ont offensé.e.s ».

Les limites de l’inclusivité

L’inclusivité promue par le LAB n’est pas sans risque.Ses acteurs en sont conscients. « Lors des prises de parole , on a vu des personnes tenir des propos racistes, haineux, et éloignés du message de l’Evangile » nous dit Eloïse Miceli. Mais le danger se trouve ailleurs : « le vrai risque, c’est que les protestants ne se retrouvent pas dans le LAB car nous prenons nos distances avec les codes classiques. »

Des portes ouvertes sur l’avenir

Néanmoins, pour le pasteur et la conseillère, le LAB n’est pas un concurrent aux paroisses traditionnelles. Il essaie de toucher un autre public qui ne se rend pas aux cultes. De plus, les autres paroisses ne se montrent pas insensibles aux propositions du LAB. Le groupe de femmes encadré par le LAB va  être répliqué par d’autres paroisses en Suisse Romande. « Beaucoup de choses peuvent être mises en place pour l’Evangile. Le tout, c’est de ne pas rester les bras croisés », conclut Eloïse Miceli.

Photo : Rencontre au Lab durant la Grève des femmes 2022 – crédit : EPG/Anne Buloz

Des cultes à la carte

Dans la Paroisse du Pied du Jura, de nouvelles formes de cultes adaptées aux goûts de chacun ont vu le jour. Coup de projecteur sur ces façons de célébrer dans cette série d’articles [1/8].

Une énergie renouvelée

Rassembler une communauté sur onze lieux de cultes et onze villages différents, le défi qui se présente est complexe. L’enjeu est d’éviter l’épuisement, de valoriser les temples et de permettre aux habitudes d’évoluer. Un long processus de transformation commence en 2017. Plusieurs éléments contribueront à nourrir cette mutation. Une lettre du Conseil Synodal de l’époque enjoint les paroisses à ne proposer qu’un seul culte le dimanche. La missive précise que le culte n’est pas d’abord un service à la population, mais le rassemblement de la communauté. La phrase génère un déclic auprès du Conseil paroissial. Un autre facteur déclenchant sera apporté par le pasteur, Etienne Guilloud, qui termine une formation en leadership interpersonnel. Il y puise des outils lui permettant de faciliter la mise en place du projet. En l’espace d’un été, une équipe se met sur pied et élabore les grandes lignes en lien avec le Conseil paroissial.

Cinq couleurs pour célébrer

Au terme de ce minutieux processus d’élaboration, de maturation et de concertations, cinq formes de célébration voient le jour. Certaines sont présentées comme des événements sous les labels “C’est la fête” ou “Sans limites”. D’autres signifient un attachement à l’héritage, c’est le cas des formes “Patrimoine” ou “Spéléo-bible”. Enfin, une forme “Oasis” cherche à rejoindre un public plus familial souhaitant se ressourcer.

La réflexion s’oriente également sur la communication puisque chaque public-cible est identifié. La recherche d’une optimisation des moyens d’information s’ajuste à l’effet recherché. La démarche de valorisation passe par une approche de type marketing. Mais celle-ci ne se résume pas à une simple opération cosmétique. Une réflexion en profondeur et un intense engagement dans la prière accompagnent la démarche avec pour but de mieux profiler les priorités paroissiales. Deux axes complémentaires sont élaborés en forme de slogan : “Diversifier pour rejoindre et rassembler pour stimuler”.

Innovation, tradition, évangélisation

Les innovations cultuelles ne sont pas reçues de la même manière par tous. « Certaines personnes se sont levées durant les annonces du culte pour manifester leur désapprobation, d’autres sont venues me dire qu’elles ne se reconnaissaient plus dans ces façons de faire », confie le pasteur, en observant l’impact des changements sur les paroissiens. Si les habitudes de célébrer sont bousculées par certaines formes liturgiques nouvelles, les cultes« Patrimoine » visent à montrer que le  changement n’est pas un reniement de l’héritage protestant. Les cultes« Spéléo-bible », permettent aussi d’approfondir de manière participative la compréhension du texte biblique.

Des ajustements sont encore nécessaires afin que chaque célébration trouve son public et sa forme optimale. De plus, au moment de la mise en œuvre, le pasteur a rejoint une autre paroisse et le covid-19 a grandement perturbé les plans. L’adversité n’a heureusement pas fait capoter le projet. Le Conseil ainsi que la nouvelle pasteure poursuivent le travail. En point de mire, la dimension de l’évangélisation est un axe fort. L’objectif est de faciliter l’accès des cultes à de nouvelles personnes.

Une série d’articles

Cette série d’articles entend lever un coin de voile sur l’expérience menée au Pied du Jura. Son ambition est de générer de l’intérêt pour une diversification dans les formes de célébration, de valoriser les démarches entreprises et de comprendre les difficultés. Plus largement, elle pose la question des pratiques liturgiques, des attentes, des traditions et des résistances au changement. L’histoire de ces formes de culte diversifiées n’est pas terminée. Elle se poursuit avec de nouvelles perspectives et de nouvelles questions. Nous en parlerons dans l’article conclusif. Tout d’abord, nous nous intéresserons aux différents aspects de ce projet au long cours. A son histoire, à la façon dont le projet a évolué, aux expériences menées et à leurs effets. Il y a de quoi s’en inspirer pour générer de nouvelles formes de célébration et rejoindre d’autres publics et d’autres manières de vivre et d’exprimer sa spiritualité réformée.

Une invitation de taille

« Je suis le cep, vous êtes les sarments et mon Père est le vigneron ». On aime utiliser cette image en Église. En particulier pour les croyant.e.s en tant qu’individus. Mais on pourrait l’employer pour l’Église en tant qu’institution, pour notre Église Réformée vaudoise. Et ici l’affaire se corse, car il est question de discernement, de renoncement et de conversion collectifs.

Combien d’activités maintenues parce que cela s’est toujours fait ? Combien de formes cultuelles conservées parce que la tradition est importante ? Combien de structures, dont les lourdeurs nous pèsent, mais que l’on conserve et entretient avec fidélité — ou servilité, c’est selon ?

Que faire ici du verbe émonder ? La question est difficile parce que dans le texte de l’Évangile de Jean (chapitre 15), ce ne sont pas les croyants qui tiennent le sécateur, mais le vigneron divin. Peut-être faudrait-il lire dans la désertion de certains lieux, événements ou activités, le signe qu’un sarment est desséché, prêt à être coupé. Peut-être faudrait-il parfois avoir le courage de regarder la réalité en face, sans se cacher derrière la beauté du petit troupeau ou du petit reste fidèle ?

À Paris, certaines communautés l’ont fait, comme la paroisse du Marais. Oser couper là où l’Esprit l’indique, sans critiquer les personnes qui jusque-là, souvent au prix de gros efforts, ont maintenu la flamme, ou plutôt les braises. Oser renoncer à une activité ou à un service, non pas par esprit frondeur ou volonté de se démarquer, mais parce que la vie ne les anime plus.

Renoncer à ce que l’on sait faire si cela ne fonctionne plus, à ce que l’on connaît si cela ne parle plus, à ce que l’on cultive si cela ne produit plus de fruit, c’est accepter d’entrer dans une terre inconnue. Autrement dit, c’est un Exode. Et cela devrait plutôt nous parler !

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Le renoncement est la pierre angulaire du changement, parce que le travail, le temps, l’énergie investis dans des activités et des offres qui ne touchent et ne mobilisent plus que quelques personnes habituées et fidèles empêchent de regarder en avant. Imaginer du neuf, être créatif ou simplement explorer, expérimenter, prospecter demande du temps et de l’énergie. La question est : comment l’Évangile peut-il aujourd’hui rejoindre le mieux le plus grand nombre de personnes et les personnes les plus diverses. On peut imaginer que cette question soit débattue avec les habitués et les fidèles qui savent comment et en quoi l’Évangile les transforme. Les explorations se lanceront toujours à partir des motivations de ceux et celles qui sont conscients de cette richesse.

Le livre et le rouleau

De nouvelles formes de présence de l’Église surgissent. Elles ouvrent à une compréhension qui ne se limite pas à l’horizon paroissial et qui invite à valoriser la diversité.

Sur l’icône que l’on appelle volontiers l’icône de l’amitié, le Christ tient contre lui un livre alors qu’Abba Mènas tient dans sa main un rouleau. Janine Aeby, membre de la paroisse réformée de St-Saphorin dans Lavaux, a écrit cette icône de façon moderne tout en respectant la belle tradition de prière. Lors de l’inauguration de l’icône, elle relevait avec finesse que le Christ tient tout l’Évangile dans sa main alors que Mènas n’en tient qu’une infime partie.

Ainsi, Mènas n’est pas responsable de l’Évangile entier, seulement de la part qui lui a été confiée. Mais il n’est pas seul. Il est membre du corps du Christ dans lequel chacun.e a reçu son rouleau, sa part à méditer, à faire grandir et fructifier. La vérité de l’Évangile se dit dans le rassemblement des rouleaux, non dans la mise en évidence d’un seul.

Ce qui est vrai au niveau des individus ne vaut-il pas aussi au niveau des Églises et des communautés chrétiennes ? En découvrant plusieurs d’entre elles à Paris au-delà des frontières ecclésiales, l’icône de l’amitié s’est toujours plus imposée à moi. Chaque communauté développe le rouleau reçu, son charisme, sa vision du monde, sa compréhension de l’Évangile. Elle le fait comme elle le peut, à partir de son histoire, de toutes les histoires qui la composent. À partir de son lieu et de son contexte. Pourquoi vouloir vivre à La Défense ce qui se vit au Marais ou à L’Escale ce qui se vit à Boulogne-Billancourt ? Et pourquoi, depuis St-Gervais juger de ce qui se passe à Hillsong et inversement ?

Mais rien n’interdit de s’inspirer du rouleau de Mènas, d’ouvrir son horizon à l’horizon d’autrui. Rien n’oblige non plus à rester prisonnier du rouleau reçu. Lui rester fidèle, oui ! mais en accueillant ce que d’autres ont reçu et compris.

La visite de plusieurs Églises ou communautés parisiennes me conduit au respect de la vocation d’autrui, dans la recherche aimante de ce qui lui est spécifique mais dont il n’est pas le propriétaire exclusif. Plus encore, elle m’invite à l’humilité, dans la confession que le génie d’autrui est source d’apprentissage et dans la reconnaissance que mon génie propre — et celui de mon Église — ne me place au-dessus de personne. L’aventure n’est pas terminée. Elle m’appelle à ne pas considérer mon rouleau comme le livre entier.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

Ne disposant pas d’une autorité hiérarchique, le protestantisme réformé a dû gérer, dès ses origines, la tension entre particularité locale et reconnaissance globale. « L’unité dans la diversité » a été un slogan qui reste aujourd’hui d’actualité. Comment faire pour que la diversité ne conduise pas à l’éclatement et que l’unité ne devienne pas uniformité ? On peut envisager cette question de manière dynamique en distinguant des phases. Dans l’idéal, il conviendrait d’alterner entre des temps de recentrement et des temps de recherche. Dans la réalité de la décroissance, on constate que presque toute l’énergie passe à soigner les personnes encore présentes. Parfois, l’idée même de rejoindre d’autres groupes sociaux n’est plus possible. Or la diversité des rapports au religieux, des références culturelles et des habitudes devrait induire une vaste recherche de nouvelles formes. Un fossé se creuse. Faut-il chercher à former les acteurs présents à faire du neuf au risque d’échouer lamentablement en considérant qu’on ne peut pas changer les mentalités ? Faut-il plutôt chercher à générer du neuf avec de nouveaux acteurs au risque de ne pas pouvoir les intégrer à l’institution ? Des options stratégiques se posent. Le débat est complexe, mais nécessaire. Le simple maintien d’un status-quo est sans aucun doute la pire des stratégies.

« Pause Monge », l’Évangile au service d’un quartier

Faire correspondre la dimension spirituelle aux besoins socio-culturels d’un quartier, c’est le défi que s’est lancé et qu’a réussi la Maison de l’Espérance de l’Église adventiste, située aux abords de la Place Monge dans le 5e arrondissement de Paris.

Juan Arnone, pasteur adventiste et directeur de la Maison de l’Espérance, est en fonction depuis deux ans, quand je le rencontre en novembre 2019. À peine arrivé, il s’est mis en tête d’enquêter auprès du voisinage. Que pensent-ils de la Maison de l’Espérance implantée ici depuis dix ans ? Ont-ils des attentes ou des désirs concernant l’animation du quartier ? La maison de l’Espérance peut-elle y contribuer ? Fort des informations recueillies, Juan a rencontré la mairie d’arrondissement et la mairie de Paris pour faire l’inventaire de ce qui se fait et de ce qui serait possible de faire.

Les « maîtres-maux » identifiés sont le stress, la solitude et la crise de la famille (divorce, famille monoparentale, etc.). Dès lors, le pasteur est convaincu qu’il faut développer le lien et l’amitié. Désormais, il s’emploie à faire de cette maison un lieu de rencontres, de formation, de découvertes et d’expérimentation. Il met sur pied le programme « Pause Monge » dont l’intitulé fait écho à la Place Monge située à quelques pas de là.

Le programme varié et coloré est en lien avec les valeurs de la communauté adventiste : valorisation de la famille, soutien à la culture, exercice concret de la solidarité, promotion de la vie et de la santé. Différents ateliers sont proposés : parler espagnol, découvrir l’hébreu, débuter la guitare, cuisiner végétarien, travailler la musculature et le cardio, communiquer dans le couple, s’exercer à la parentalité, révéler sa voix… Au-delà du développement personnel, Juan Arnone défend un vrai projet pédagogique : mettre des personnes en relation et ouvrir des pistes possibles de changement personnel. Quand cela se présente, il convient de prendre acte de l’écart existant entre ce qui est appris et ce qui est vécu, entre un désir et la réalité. C’est ici que la dimension spirituelle trouve sa place, comme une proposition de sens, jamais imposée, jamais contrainte.

La recherche du bien commun, au service de la communauté humaine, c’est aussi cela l’Évangile.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

L’intuition présente dans cette démarche nous semble porteuse. Non seulement elle part d’une enquête qui recherche une adéquation avec les besoins de la population, mais elle vise à remettre en question les offres et activités présentes. Complétant cette recherche de terrain avec des données objectives, obtenues de la mairie, elle profile une offre qui se donne toutes les chances d’être bien reçue parce qu’en réponse à des besoins. Fortes de cette idée, les paroisses pourraient effectuer ce type de démarches de proximité pour comprendre comment elles sont perçues et comment elles peuvent le mieux contribuer au bien commun. Elles pourraient même se donner comme objectif de renouveler régulièrement cette opération pour l’installer dans un questionnement qui perdure. Nous sommes convaincus que l’adaptation permanente à une société qui change rapidement offre des clés de proximité avec un Évangile réputé prophétique.

Les bras ouverts du Dorothy

Depuis 2017, un havre de générosité a ouvert ses portes dans le 20e arrondissement de Paris. Ce café-atelier rayonne de mille activités qui décloisonnent le religieux avec un esprit pionnier.

Rue de Ménilmontant, le Dorothy, café et atelier, accueille quiconque en pousse la porte. Je suis seul cet après-midi et Fanny m’accueille avec le sourire en me proposant de m’asseoir et de prendre à boire. L’échange est amical, fraternel et profond. Fanny, le mercredi, assure bénévolement la permanence du café et pour cela elle a limité son temps de travail.

L’espace est immense, meublé avec de la récupération et le savoir-faire d’un membre de l’équipe. Ce lieu doit son nom à la militante du catholicisme social américain Dorothy Day (1897-1980).

La question que se posent ici les membres du collectif est la suivante : «Comment vit-on la charité concrètement ?» D’abord en cherchant à répondre aux besoins des gens de ce quartier populaire. Pour cela, une palette d’ateliers enseigne comment fabriquer une table, installer une robinetterie ou faire soi-même des produits cosmétiques écologiques.

Plusieurs membres du collectif sont de jeunes intellectuels désireux d’articuler savoir, action et foi. Chaque mois, ils organisent des cycles de conférences sur des thèmes de société et d’actualité : «Féminisme et libéralisme», «Mourir au XXIe siècle», «Médecine et santé» …

Le collectif n’a pas la prétention de répondre à tous les besoins. Aussi le Dorothy accueille-t-il d’autres associations qui respectent l’esprit du lieu : des cours de français pour la population étrangère, le Carillon pour la distribution de nourriture aux personnes sans-abris, du conseil administratif, de l’aide aux personnes sans-papiers, du soutien scolaire. En écrivant ces lignes, je remarque le souci éthique évangélique qui caractérise la démarche. Il n’est pas question de sans-abris ou de sans-papiers, mais de personnes sans papiers ou abris. Et cela change tout. D’ailleurs Fanny se fait un point d’honneur à retenir que telle personne aime son café avec deux sucres et que telle autre ne boit que du thé.

Chaque semaine, un temps de prière, de louange et de lectio divina rassemble les membres du collectif dans une recherche commune de cohérence entre vie et foi. Toujours dans un esprit non dogmatique et une pratique du débat qui autorise les désaccords. Chacun se considère comme en recherche de vérité.

Le Dorothy est un point de repère dans le quartier. Depuis quelques temps, une voisine vient nourrir les chats du coin. C’est sa manière d’apprivoiser les lieux, sans encore oser en pousser la porte. Et personne ne la forcera.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

L’optique du Dorothy est clairement de créer du lien social. La capacité à être centré sur les besoins des usagers rend le lieu dynamique. La composante spirituelle s’intègre harmonieusement et fait sens sans être perçue comme du racolage. La variété et la complémentarité des offres génèrent une mise en réseau dont le rayonnement dépasse largement les frontières paroissiales.
Il fait penser à cette église rurale de l’Est de la Grande-Bretagne qui a ouvert un café villageois dans ses locaux pour élargir son horizon socio-culturel.
Dans les deux cas, la recherche d’adéquation au contexte joue un rôle clé. Ainsi, la démarche de foi est-elle intégrée par l’exemplarité vécue en toute simplicité.

Un culte au théâtre

Depuis quelques années le mouvement des méga-églises impacte les grandes villes européennes. Les cultes-spectacles séduisent beaucoup de jeunes. Ils y trouvent un style qui leur correspond et ils se laissent immerger dans une masse croyante qui leur procure sécurité et stimulation.

La communauté Hillsong se réunit à Bobino, le célèbre music-hall parisien. À 9h45, une foule bigarrée se presse déjà dans la cour et dans l’entrée. Un important personnel d’accueil propose du café. L’ambiance est amicale, des rires et des salutations joyeuses jaillissent de toutes parts.

Un homme d’un certain âge m’aborde et me demande si c’est la première fois que je viens. La discussion se noue, nous nous découvrons des connaissances communes. J’apprends qu’il a été pasteur dans des communautés évangéliques jusqu’au milieu des années 90. Un divorce, une compagne avec laquelle il n’est pas marié. Il est devenu persona non grata au sein de sa propre Eglise. Ce n’est qu’ici, à Hillsong, qu’il retrouve une communauté accueillante dans laquelle il peut vivre la louange.

Avec un quart d’heure de retard, les portes qui conduisent à la salle s’ouvrent. Les places se remplissent rapidement. Le personnel se charge de guider les quelques retardataires vers les sièges encore inoccupés. Un journal attend chacun. Le show peut commencer, comme au théâtre !

La musique est bonne ! La musique sonne ! Une demi-heure de louange conduite par des professionnels : une chorale d’une quinzaine de personnes, six musiciens, deux chanteurs dans la lumière et quatre autres à leurs côtés. L’assistance, debout, reprend les refrains, les mains en l’air pour certains. La sono est si forte que je dois me boucher les oreilles. Je n’ai pas pensé à prendre des tampons auriculaires !

Brendan White, le pasteur principal prend la parole. En anglais, traduit par une jeune femme. C’est l’occasion d’entendre deux fois le même message. Simple et direct : Dieu est présent, il va répondre à toutes les prières que l’assistance a pu écrire sur des feuilles de couleur disposées à l’entrée. Le pasteur invite régulièrement à dire Amen ! L’assemblée y répond joyeusement, avec des applaudissements.

Je filme depuis quelques minutes. Une tape sur mon épaule. Un des équipiers me signale que je ne suis pas autorisé à filmer de longs moments.

Le pasteur annonce une pause de trois minutes pour faire connaissance avec une personne voisine. Pour moi, une jeune femme de couleur qui désire savoir si c’est la première fois que je viens à Hillsong. Ce n’est qu’à la fin du temps imparti que je peux lui demander qui elle est !

Les cinquante minutes suivantes sont consacrées à deux offrandes. L’offrande dominicale ordinaire, suivie d’une offrande spéciale intitulée « Un cœur pour la maison ». Si la première offrande est rapidement présentée, la seconde fait l’objet d’une attention très particulière : présentation d’un film-témoignage, quasi publicitaire d’une vingtaine de minutes suivi d’une exhortation à donner « pour aller de l’avant », pour « agrandir l’espace de la tente » (Es 54,2-3). On comprend que Hillsong se trouve à l’étroit dans ses locaux actuels. Le don que chacun.e est invité à faire est comparé à un sacrifice auquel Dieu répondra en ouvrant les « écluses des cieux » (Ml 3,10). Pour discerner ce qu’il faut offrir, la chanteuse du jour interprète une ballade.
Un piano et une guitare soulignent des paroles qui demandent à Dieu de faire de sa vie une « chambre haute » et lui promettent de donner le peu qu’elle possède. Enfin, le pasteur et son épouse prient encore pour cette offrande et pour celles et ceux qui vont donner.

Le culte se termine abruptement sur un appel à la conversion et un dernier chant.

Je sors un peu déboussolé de tout ce bruit dans mes oreilles. Personne ne m’arrête ni ne cherche à prendre contact. C’est que, déjà, le public du prochain culte emplit la cour.

Pourquoi va-t-on à Hillsong ? Pour l’accueil, sans doute, et l’atmosphère décontractée. Pour la musique participative employant les tempi, rythmes et lignes mélodiques de la musique anglo-saxonne contemporaine. Pour l’affirmation répétée de la présence de Dieu et la conviction que c’est ici et maintenant qu’à lieu la rencontre avec Dieu.

Bernard Bolay

 
Les impulsions du Labo Khi

L’avantage des méga-églises c’est la foule, justement. On peut y vivre un moment incognito, tisser des liens et se faire connaître à son propre rythme. Progressivement, on en vient à faire partie des réguliers qui se réjouissent de retrouver des visages connus. C’est libre ! Le récit de Bernard Bolay nous amène à analyser quelques ingrédients qui font la qualité de l’accueil.

Le café, le guide pour les retardataires, l’ambiance musicale et le sourire des bénévoles favorisent l’intégration dans le groupe. L’expérience immersive de la masse vient alors renforcer le sentiment d’appartenance. Tout est fait pour que l’expérience de cette rencontre soit marquante parce qu’elle est « orientée utilisateur ».

Et si on se mettait « dans la position » des visiteurs de nos cultes ? Quels seraient les ingrédients à adapter, à renouveler et à créer ? Et quelles seraient les personnes le mieux à même de générer une expérience communautaire positive ?

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